Laurent De Smet alias Dr Sales
“Gratuit” et “bas coût”: le prix de la casse
L’industrie du marketing, qui use du “gratuit” et du “bas coût” depuis des décennies, en révèle aussi les limites : ces stratégies déforment la perception de la valeur et finissent par abîmer l’image d’une entreprise, voire d’une industrie tout entière. Pourtant, d’autres voies sont possibles.
Depuis la nuit des temps, nous envisageons la disponibilité d’une ressource par rapport à l’effort nécessaire pour l’obtenir. Le “bas coût” et le “gratuit” exercent sur nos cerveaux une puissante attraction qui capte l’attention, incite à l’action et provoque en général une satisfaction immédiate propice à générer plus d’achats. Mais, proposé gratuitement ou à bas prix, un produit peut aussi paraître sans intérêt, voire suspect. La motivation du rabais, qu’elle soit surplus, liquidation ou appât, soulève souvent des doutes sur sa valeur réelle.
Les promotions spectaculaires comme le Black Friday, désormais complémentaires des soldes traditionnels, génèrent effectivement des pics de vente importants. Mais elles finissent par banaliser les ristournes, le consommateur intégrant peu à peu les prix bradés comme une référence. Cette standardisation érode la valeur perçue des produits et complique leur écoulement hors périodes de promotion. Pire, l’euphorie des achats impulsifs sous la pression de la “bonne affaire” laisse souvent place à des frustrations profondes et durables.
En miroir de l’effet psychologique provoqué sur les clients, il est de plus en plus difficile pour les entreprises et les marques de résister à l’envie de mettre en place ces leviers d’opportunités à “prix cassés” pour engranger rapidement de très nombreuses ventes, même à faibles marges. Mais faut-il y céder systématiquement ? Comment préserver la valeur tout en répondant aux attentes du marché ? Quelles stratégies s’offrent aux entreprises qui veulent créer des effets d’opportunité sans détruire leur valeur ?
La motivation du rabais, qu’elle soit surplus, liquidation ou appât, soulève souvent des doutes sur sa valeur réelle.
Leçon de luxe
Ce n’est pas un hasard si les marques de luxe refusent de brader leurs articles, privilégiant la rareté et l’expérience d’achat exclusive. Éditions limitées, ventes privées et services personnalisés permettent de renforcer l’exclusivité tout en stimulant les ventes, sans diluer leur image. Dans ce secteur, la gratuité est bannie : tout produit ou service offert est un geste rare et ciblé, véhiculant une intention claire.
Certaines marques adaptent ces principes, réservant des remises à un cercle restreint en échange de données personnelles. L’effet d’exclusivité génère plus de ventes tout en favorisant une fidélisation mieux ciblée. Ces enseignes nous montrent qu’il est possible de gagner la bataille de la valeur par le haut.
L’envol du “early bird”
Dopées par l’apparition des plateformes de financement participatif, les méthodes de tarification anticipée (déjà bien connues dans l’univers du voyage et de l’hôtellerie) se sont imposées comme stratégie de vente à bas prix avec une concession faite sur l’attente de l’aboutissement d’un projet ou d’une fabrication.
En plus d’être un excellent “crash test” à concepts, le cash-flow positif dégagé et la capacité à générer une demande concrète en amont de la création réelle de l’offre promet à ce modèle de discount un bel avenir, à condition pour l’acheteur de savoir repérer les arnaques potentielles.
Engagez-vous !
Toujours efficaces, les stratégies d’engagement tarifaire et de rabais sur volume récompensent la fidélité ou les achats importants sans altérer la valeur perçue. Un abonnement annuel réduit incite à s’engager, tandis que des prix dégressifs sur volume, fréquents en B to B, favorisent les grosses commandes.
Ces modèles équilibrent stabilité pour l’entreprise et économies pour le client en créant un lien plus fort entre eux.
Tous pour moins
Le bundle pricing regroupe plusieurs produits ou services complémentaires ou apparentés dans une offre unique à prix attractif. Cette approche crée une opportunité économique sans diminuer l’attrait de chaque élément pris séparément. En valorisant l’association des articles, elle préserve l’image de marque tout en séduisant les clients en quête de bonnes affaires.
La simplicité-prix
Le downselling consiste à proposer une version simplifiée d’un produit ou service à un prix inférieur, tout en maintenant la qualité essentielle. Particulièrement compatible avec une tendance à la frugalité, cette approche permet d’adapter l’offre à des budgets plus restreints sans compromettre la valeur perçue.
Contrairement à une simple réduction de prix, le downselling repose sur une reconfiguration intelligente de l’offre, souvent en retirant des fonctionnalités secondaires, en réduisant le contenu ou en limitant les options, ce qui permet de créer une solution plus accessible sans éroder la perception globale de la marque.
La remise sur le retour
Le trade-in deal offre au client de bénéficier d’une remise ou d’un à-valoir sur un produit neuf à condition de rapporter un ancien article. L’entreprise peut valoriser l’ancien produit, parfois en le recyclant, en le revendant ou en l’utilisant comme composant dans un circuit de seconde vie.
Ce retour implique le client dans la ristourne qui lui est faite en lui offrant en outre la satisfaction de participer à une bonne action et de s’affranchir plus facilement d’un ancien modèle.
Pour la bonne cause
Le cause-related marketing associe une partie des ventes d’une entreprise à une cause philanthropique, écologique ou sociale, remplaçant la ristourne par un don.
Cette approche renforce l’engagement émotionnel des consommateurs tout en positionnant la marque comme un acteur responsable, transformant l’achat en un acte porteur de sens sans nuire à la valeur perçue.
“Offert” mais pas “gratuit”
Enfin, maniez le “gratuit” avec prudence. La gratuité s’inscrit dans une logique transactionnelle de court terme, souvent associée à la méfiance ou à une dévalorisation de son objet. En revanche, l’”offert” véhicule une intention claire : il suppose un coût pour l’offrant, transformant l’acte en un geste généreux qui active le biais de réciprocité. Cette nuance explique pourquoi il nous paraît inconcevable d’offrir en cadeau quelque chose de “gratuit” à une personne qui nous est chère. Le gratuit suppose l’absence de coût, donc de valeur. L’offert indique que le coût est pris en charge par l’offrant. La loi française Egalim a d’ailleurs formalisé cette distinction en bannissant le mot “gratuit” des promotions alimentaires, au profit de “offert”, réintroduisant ainsi la notion d’intention et de valorisation dans l’échange, preuve supplémentaire que les mots dans le commerce ont un poids important.
Les lecteurs les plus attentifs remarqueront qu’une règle générale transcende toutes les stratégies de remise visant à conserver de la valeur : elles reposent sur une participation active du client dans le deal. Comme en négociation, la logique des concessions met en balance un effort d’une partie contre un geste d’une autre. Plus le client est impliqué dans l’obtention de sa remise, plus elle lui paraîtra sensée et satisfaisante à long terme. Ainsi, ces méthodes réintroduisent de la relation dans la transaction.
Les promotions doivent donc rester des outils stratégiques ponctuels, fondés sur une logique claire et cohérente. Bien conçues, elles soutiennent la rentabilité tout en renforçant l’engagement client.
Retrouvez la chronique de Laurent De Smet, alias Dr Sales, spécialiste dans l’expérience commerciale, managériale et marketing B to B, tous les deuxièmes jeudis du mois dans Trends-Tendances.
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