Dans les coulisses du ski de luxe, les “chalet girls”, petites mains d’un gros business

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Derrière l’image glamour des stations de ski de luxe se cache un monde bien moins scintillant : celui des “chalet girls”, ces jeunes femmes – et hommes – qui bichonnent les plus riches vacanciers des Alpes. Un univers où le rêve des uns repose sur l’effort discret des autres.

Elles se lèvent avant l’aube, marchent parfois vingt minutes dans la neige pour atteindre leur lieu de travail, enfilent leur tablier et accueillent les vacanciers les plus fortunés d’Europe avec un sourire. Derrière les portes vitrées des chalets ultra-luxueux de Courchevel, Verbier ou Les Gets, les “chalet girls” assurent le service. Mais si le cadre fait rêver, leur quotidien est bien plus rude qu’il n’y paraît. Derrière l’image de carte postale se cache une réalité économique bien rodée : celle d’un micro-secteur du tourisme de luxe qui génère beaucoup, mais ne redistribue pas toujours équitablement.

Un job glamour… en apparence

Cuisine gastronomique, lits au carré, skis fartés et champagne servi au retour des pistes : les clients, souvent milliardaires ou célébrités, ne voient que la perfection. En coulisses, les jeunes employés, appelés encore parfois “chalet girls” – bien que le métier s’adresse aussi aux hommes –, enchaînent les longues journées : réveil à 6h30, fin de service vers minuit. Le tout avec peu de temps de repos, une hiérarchie exigeante et des clients au niveau d’attentes très élevé. A cela s’ajoute un logement du personnel souvent exigu, partagé, et parfois bruyant. « C’est un marathon, pas un sprint », confie Sophie, ex-cheffe dans un chalet des Alpes françaises à CNN. « On est là pour tout faire, tout le temps, avec le sourire. » Et pas question de se plaindre : dans l’univers du luxe, tout est affaire de discrétion.

Côté rémunération, pas de miracle. En moyenne, un employé de chalet de luxe touche entre 1 000 et 1 300 euros nets par mois. Un montant qui peut sembler chiche au regard du rythme imposé, mais qui s’accompagne généralement de logement, repas, forfait de ski et équipement fournis. Les pourboires, eux, varient fortement – de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros par mois – selon la générosité des clients.

Une industrie des plus rentable

Le paradoxe, c’est que ce « petit personnel » sous-payé fait tourner une industrie ultra-rentable. Une semaine dans un chalet privatisé peut coûter entre 20 000 et 80 000 euros, selon la station et le niveau de service. Avec des charges maîtrisées et une main-d’œuvre jeune et motivée, les marges pour les opérateurs sont confortables.

« Le business du ski de luxe fonctionne parce qu’il repose sur un équilibre : des clients exigeants, des prestations impeccables, et des employés qui acceptent beaucoup, en échange de peu en raison du cadre de travail exclusif», analyse un directeur d’agence spécialisé sous couvert d’anonymat toujours à CNN.

Une professionnalisation croissante

Néanmoins le cliché de la jeune Anglaise venue faire la fête en station pendant une année sabbatique n’est plus d’actualité. Aujourd’hui, les recrutements sont stricts et la concurrence est rude: une offre d’emploi peut attirer 10 à 20 candidatures, et les profils recherchés doivent être expérimentés, bilingues, avec un bon sens du service et une excellente présentation. La fin de la libre circulation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, depuis le Brexit, a également modifié la donne. Beaucoup de Britanniques ne viennent plus, car ils n’ont tout simplement pas de visa.

Une niche économique révélatrice des inégalités du tourisme alpin

Le métier de “chalet girl” ou plus largement d’employé de chalet de luxe illustre un écosystème touristique à deux vitesses.  Le marché des chalets de luxe illustre à lui seul la transformation de plus en plus marquée du tourisme alpin en un secteur de niche ultra-sélectif, inaccessible à la majorité.

Là où le ski était autrefois une activité populaire, notamment en France ou en Italie, il devient désormais le terrain de jeu privilégié d’une élite fortunée. Selon Domaines Skiables de France, le coût moyen d’un séjour au ski a augmenté de plus de 30 % en dix ans. Entre les forfaits, le matériel, l’hébergement et les services, une semaine dans une station prisée peut facilement dépasser les 10 000 euros pour une famille — et bien davantage dans le haut de gamme. À Courchevel, Megève ou Zermatt, certains chalets se louent à plus de 100 000 euros la semaine, avec chef privé, chauffeur, spa, et conciergerie 24h/24.

Or cette montée en gamme progressive du tourisme de montagne entraîne une double fracture. Sociale, d’abord : les classes moyennes, autrefois clientes régulières des stations de ski, désertent les domaines les plus huppés, se rabattant sur de plus petites stations ou renonçant au ski tout court. En parallèle, les jeunes locaux ont souvent peu accès à ces emplois très exigeants, où la connaissance des codes de ce milieu fermé est aussi importante que les compétences techniques. Territoriale, ensuite. Dans certaines stations très élitistes, les logements de saisonniers se raréfient, remplacés par des résidences secondaires inoccupées la majeure partie de l’année.

Tout cela déséquilibre le tissu local, augmente la tension immobilière et accroît la dépendance économique à une clientèle certes riche, mais aussi très volatile. Elle peut très vite déserter les sommets enneigés en cas de crise internationale ou plus prosaïquement s’il y a moins de neige. Une hypothèse malheureusement bien réelle puisque la montagne est touchée de plein fouet par le réchauffement climatique. Or le modèle économique des stations de ski repose largement sur l’activité hivernale, avec une dépendance à 82 % vis-à-vis du ski. La neige est donc loin d’être un simple élément du décor. Selon une étude de l’European Geosciences Union, d’ici 2050, 70 % des stations de moyenne montagne pourraient ne plus être viables sans neige artificielle. Or, ce sont justement celles qui accueillaient traditionnellement un public plus large. De quoi creuser un peu plus l’écart.

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