À l’initiative de l’assureur P&V, le prêt hypothécaire sur 40 ans fait son apparition en Belgique. Une solution inédite, qui promet des mensualités allégées, derrière laquelle se cache une mécanique plus subtile qu’il n’y paraît.
Près de six nouveaux crédits hypothécaires sur dix chez P&V s’étalent désormais sur 40 ans. Depuis quelques mois, l’assureur propose une formule inédite de crédit- logement sur quatre décennies, qui rencontre un franc succès auprès des jeunes acheteurs.
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Intérêt de la formule ? Elle permet de réduire les mensualités et d’augmenter la capacité d’emprunt. En allongeant la durée, il devient du coup possible de viser un bien plus onéreux sans alourdir les charges mensuelles. En contrepartie, le coût total du crédit augmente.
Concrètement, pour un emprunt de 250.000 euros sur 40 ans, avec un taux fixe de 3,95 % proposé par P&V, les mensualités s’élèvent à 1.026,30 euros, pour un total remboursé de 492.624 euros. Pour le même montant emprunté sur 25 ans (au taux fixe de 4 %), les mensualités grimpent à 1.309,73 euros, et le total remboursé atteint 392.919 euros. Sur 40 ans, le montant total remboursé est donc, en raison des intérêts cumulés, nettement plus élevé.
Chez P&V, on justifie la nouvelle offre de la sorte : “En tant qu’assureur coopératif, nous devions proposer ce type de crédit hypothécaire à long terme. Il est adapté aux besoins des primo-acquéreurs, pour qui le financement de la première – et souvent unique – habitation peut s’avérer très lourd.”
La formule s’adresse principalement aux jeunes qui aspirent à devenir propriétaires, ajoute P&V : “Avec des mensualités allégées et un remboursement du capital étalé sur une période plus longue, elle offre un peu d’oxygène et une perspective d’avenir à celles et ceux qui disposent encore de moyens modestes – et qui doivent parfois faire sans le soutien financier des parents.”
Question de funding
Derrière la nouveauté et le discours commercial vantant un accès à la propriété plus facile pour les jeunes ménages se cache en réalité un changement légal déterminant pour les assureurs. Depuis le 1er janvier, le rendement légal minimal des assurances groupe est passé en effet de 1,75 % à 2,50 %. Concrètement, sauf nouveau changement ultérieur, cela signifie que les primes versées à partir de 2025 dans le cadre des assurances groupe devront générer un rendement annuel de minimum 2,5 % jusqu’à l’échéance du contrat. Un salarié de 25 ans, affilié au système via son employeur, est ainsi assuré de voir fructifier ses cotisations à ce taux pendant les 40, voire 45 ou les 50 années qui le séparent de la retraite.
Mais, problème : sur les marchés financiers, de tels horizons de placement sont extrêmement rares. Même l’État belge n’émet que très exceptionnellement des emprunts à 50 ans. La dernière fois, c’était en 2021, au modeste taux de 0,65%.
Dans ce contexte, le lancement d’un prêt hypothécaire à 40 ans par une compagnie d’assurance prend tout son sens : il s’agit pour elle de sécuriser un rendement à long terme, supérieur à l’obligation légale de 2,5 %, en investissant dans un produit financier stable et rentable à très longue échéance.
Le lancement d’un prêt hypothécaire à 40 ans par une compagnie d’assurance lui permet de sécuriser un rendement à long terme.
Et les banques?
Si une compagnie d’assurance comme P&V a franchi le pas, les grandes banques de la place restent en revanche prudentes. D’abord parce qu’elles ne disposent pas de funding (dépôts des épargnants) à long terme de cette durée. Ensuite parce que, plus l’emprunt dure, plus il est exposé aux aléas de la vie: perte d’emploi, séparation, problèmes de santé. Allonger la durée des crédits n’est pas sans risque.
Chez BNP Paribas Fortis, on constate d’ailleurs que certains clients choisissent des durées longues parfois au détriment de leur sécurité financière. “Ils atteignent alors leur capacité maximale de remboursement, sans marge de manœuvre. Une telle situation peut avoir des conséquences graves lorsque le client est confronté à un contretemps financier”, avertit Valéry Halloy, porte-parole de la banque. Résultat : la durée des prêts y est limitée à 30 ans, sous conditions (profil de l’emprunteur, performance énergétique du bien, etc.). En 2024, seuls 2% de ses clients ont opté pour cette formule.
Même analyse chez Belfius et CBC qui plafonnent leurs crédits à 25 ans et où l’on ne constate “aucune demande de la part de des clients pour un crédit sur 40 ans”, avancent de concert les deux institutions.
Seule ING Belgique ne ferme pas totalement la porte, sans néanmoins proposer la formule : “Nous suivons de près l’évolution du marché et l’émergence des prêts à très long terme, dans le cadre de notre stratégie”, précise-t-on du côté de la filiale belge du groupe bancaire néerlanadais qui observe une croissance de la demande pour les prêts à très long terme au sein de sa clientèle depuis l’introduction d’une formule de crédit hypothécaire sur 30 ans au printemps 2024.
Rembourser toute sa vie?
Il ne faut en effet pas regarder un crédit hypothécaire sur 30 ans, voire 40 ans comme un condamné observe sa cellule ou comme un lapin figé dans les phares d’une voiture. Certes, emprunter sur quatre décennies peut donner l’impression de “passer sa vie à rembourser sa maison”. Mais ce jugement, souvent instinctif, mérite d’être nuancé… grâce à l’inflation.
Car ce que certains perçoivent comme une prison financière peut en réalité s’avérer intéressant. À long terme, l’emprunteur paie en effet une mensualité fixe, non indexée sur l’inflation, tandis que ses revenus, eux, augmentent progressivement avec cette même inflation.
Chaque année, cette mensualité représentera donc une part de plus en plus faible du salaire, rendant le remboursement toujours plus supportable. Plus le temps passe, plus la mensualité pèse moins dans le budget du ménage. Au point pour le ménage de se retrouver en capacité d’accélérer ses remboursements… ou même d’investir dans un deuxième immeuble de rapport. De plus, il faut garder à l’esprit que la valeur du bien immobilier acheté, elle, a toutes les chances de croître plus vite que l’inflation.
Pauvre locataire
À l’inverse, le “pauvre” locataire, celui qui n’a eu ni les fonds propres suffisants ni le salaire pour emprunter sur 25 ou même 40 ans, voit son loyer augmenter année après année, parfois même au-delà de l’inflation. Et tout cela, sans se constituer le moindre patrimoine.
Attention toutefois : outre un montant total à rembourser nettement plus élevé, un prêt long à taux fixe limite la flexibilité durant les premières années, avec un capital peu amorti et une marge financière étroite, ce qui peut compliquer un changement de carrière, le lancement d’un projet indépendant ou une mobilité professionnelle.
Bref, un prêt sur 40 ans n’est pas forcément une mauvaise idée. Mais il faut savoir dans quoi on s’engage. Emprunter longtemps, oui… à condition de le faire en connaissance de cause.
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