“Spécialistes de l’immobilier, inspirez-vous des start-up !”

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«Les start-ups sont comme les canaris de la mine », affirme l’expert en innovation David Rowan. « Elles anticipent les changements de comportement qui impacteront profondément le secteur immobilier ».

David Rowan est l’auteur du livre Non-Bullshit Innovation: 17 Proven Ways to Transform How You Work. Il est aussi l’ex-rédacteur en chef du magazine technologique Wired au Royaume-Uni et investit lui-même dans des start-ups. Il parcourt désormais le monde pour animer des conférences et des débats sur les technologies émergentes et leur impact sur les entreprises et les secteurs.  « Avec les start-ups, on ne sait jamais comment l’histoire se termine », dit-il. « Mais il faut partir du principe que la plupart ne survivront pas. En tant qu’investisseur, il faut donc être résilient et avoir une grande tolérance à la douleur. Malgré cela, il m’arrive encore de verser discrètement quelques larmes. »

Que peut apprendre le secteur immobilier des start-ups ?

«Ce qui est formidable avec l’immobilier, c’est qu’indépendamment des fluctuations du marché, vous possédez toujours un actif tangible. Ce n’est pas le cas des start-ups, où c’est souvent tout ou rien. Or la force des créateurs de start-up réside dans leur capacité à identifier des opportunités que d’autres ne voient pas. Ce n’est pas que l’argent qui est la motivation première des fondateurs de start-ups à succès. Ils sont surtout comme habité par un problème qu’ils veulent résoudre.

Le PDG de Google X – désormais X, the moonshot factory (le laboratoire d’innovation de Google) – m’a confié que les fondateurs de start-ups à succès combinent souvent deux traits de personnalité particuliers : une perception déformée de la réalité – ils sont convaincus qu’ils peuvent construire quelque chose que d’autres jugent impossible – et une paranoïa constante que quelqu’un d’autre pourrait les devancer. »

« Un secteur conservateur comme l’immobilier à donc tout intérêt à suivre avec  attention ce qui se fait dans le milieux des start-ups. Elles sont les premières à capter les signaux des changements de comportement. Aujourd’hui, elles sont surtout obsédées par les possibilités offertes par l’IA et les données massives pour automatiser les processus dans tous les aspects de l’économie. Cela finira inévitablement par transformer aussi l’immobilier, même si cela prendra encore quelques années. Pour les professionnels du secteur, il est donc essentiel de comprendre comment pensent les start-ups, quelles opportunités elles perçoivent et quels changements de comportement elles anticipent. »

Quels acteurs risquent le plus d’être dépassés par les nouvelles technologies ?

ROWAN. « Ceux qui s’appuient trop sur le passé. Parce qu’ils observent des tendances stables trimestre après trimestre, année après année, ils prolongent ces tendances dans leurs prévisions futures. Mais ils sous-estiment la rapidité avec laquelle le comportement des clients peut évoluer.

Aujourd’hui, ce changement de comportement est multiple. Les clients veulent connaître l’empreinte carbone d’un bâtiment, obtenir des données en temps réel sur les matériaux utilisés et la consommation énergétique, ou bénéficier de plus de flexibilité dans leur manière de payer. Cela peut impliquer des formules de location plus flexibles. De nouvelles organisations émergent, qui se développent rapidement mais sans nécessairement avoir une base fixe d’employés.

L’automatisation et la robotique transformeront aussi l’immobilier. Les espaces physiques devront être adaptables aux nouvelles méthodes de travail hybrides. Le message clé ? Les leaders du secteur immobilier devront s’habituer au changement constant. Désapprendre, réapprendre et rester flexibles sera d’une importance cruciale.»

Verra-t-on de plus en plus de robots sur les chantiers ?

« Ils sont déjà là. La start-up néerlandaise Monumental utilise des robots pour les travaux de maçonnerie. Si les humains ne veulent plus faire le travail ou deviennent trop chers, et que les machines peuvent exécuter la même tâche de manière plus fiable, efficace, sûre et économique, alors nous verrons de plus en plus de robots.

Nous avons constaté une baisse spectaculaire du coût de technologies comme l’énergie solaire et les logiciels cloud. L’industrie robotique suit une courbe similaire. Cela ouvre des opportunités pour les start-ups qui automatisent des parties du processus de construction, du nettoyage ou de la rénovation des bâtiments. Mais un défi subsiste : les planificateurs et les régulateurs accusent du retard par rapport aux avancées technologiques. Je crains que cette réticence ne freine la croissance économique, car elle empêche de tirer pleinement parti des gains de productivité potentiels. »

Est-ce un problème surtout européen ?

« Mes amis dans la tech disent souvent que ceux qui veulent innover partent aux États-Unis, tandis que ceux qui restent en Europe s’occupent de la réglementation. L’Europe accorde – à juste titre – une grande importance à la vie privée, aux droits humains et à l’emploi. Mais nous vivons dans un monde compétitif où d’autres régions avancent beaucoup plus vite. Elles créent des régulations qui facilitent l’expérimentation et la prise de risque. Le résultat ? L’Europe produit très peu d’entreprises technologiques valorisées à 100 milliards d’euros, tandis que les États-Unis et la Chine génèrent des entreprises valant des milliers de milliards de dollars. »

Vous considérez la transition vers un monde sans carbone comme une opportunité économique majeure. Cela concerne encore plus l’immobilier et la construction, qui sont responsables d’environ 40 % des émissions de CO2.

« Il y a deux dynamiques : le bâton et la carotte. D’un côté, la réglementation devient de plus en plus stricte, avec des amendes et des taxes pour ceux qui ne s’y conforment pas. De l’autre, l’investissement dans l’innovation offre de grandes opportunités.

Les entreprises de construction devront développer de nouvelles méthodes, rendre leurs chaînes d’approvisionnement plus durables et utiliser des matériaux alternatifs. Il existe déjà des start-ups prometteuses qui, par exemple, facilitent la comptabilité des chaînes d’approvisionnement ou développent des matériaux à empreinte carbone négative. Mais tout cela est encore très nouveau, donc incertain. La fiabilité et la transparence des marchés du crédit carbone font encore l’objet de nombreuses questions. Ce qui est par contre certain, c’est que la durabilité deviendra une partie intégrante de la gestion de projet. Il ne s’agira plus seulement des matériaux physiques, mais aussi de la responsabilité liée à leur production et à leur provenance. »

Quel est votre conseil aux professionnels de l’immobilier qui souhaitent intégrer la technologie dans leur activité ?

«L’innovation naît lorsque différentes disciplines se rencontrent et se challengent mutuellement. C’est pourquoi je conseille aux spécialistes de l’immobilier de sortir de leur cadre habituel et de s’exposer à des idées et des cultures radicalement différentes. Même quelques heures dans un environnement totalement nouveau peuvent apporter des perspectives précieuses. Si vous êtes un expert en immobilier, assistez à un événement sur les cryptomonnaies, la technologie climatique ou les droits humains. Ces secteurs sont en concurrence pour attirer l’attention et le capital, mais ils adoptent parfois une vision rafraîchissante et différente des opportunités et des défis. Cela peut vous aider à voir vos propres problèmes sous un autre angle. Ne restez pas enfermé dans vos habitudes. Sortez de votre zone de confort, oubliez ce que vous pensiez savoir et soyez ouvert aux nouvelles perspectives. »

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