Si Audi Brussels venait à disparaître… Quel potentiel immobilier pour le site de l’usine ?

Entrée de l'usine d'Audi à Forest. Image : Google Street View.

Si Audi Bruxelles venait à fermer, l’immense site de l’usine représenterait un fort potentiel immobilier  . Mais comment faudrait-il l’imaginer, et quelles sont les difficultés ? Entretien avec Sophie Lambrighs, CEO de la société de promotion immobilière Eaglestone.

L’avenir de l’usine d’Audi à Forest, dans le sud de Bruxelles, semble toujours incertain. Ce qui nous amène à nous poser la question du potentiel immobilier du site, dans le cas purement hypothétique où cette usine mettait fin à ses activités.

“La réponse courte c’est : oui, certainement”, répond Sophie Lambrighs, CEO de la société Eaglestone, spécialisée en développement et promotion immobilier. La résidence Nautilius, le long du canal à Anderlecht, dans un quartier industriel où il y a de plus en plus de logements (nous y reviendrons), était notamment un des projets du groupe.

Ville du quart d’heure : “un élément manque dans la réflexion”

Mais la réalité est toujours plus complexe qu’une réponse courte. Elle continue : “Maintenant, je trouve que cela mérite une bonne réflexion de la part des autorités. Le site est très important. On parle beaucoup de la ville du quart d’heure et tous ces éléments sont ultra-pertinents pour la qualité de vie en ville.”

Ces éléments, ce sont le résidentiel, les espaces verts, l’inclusion des personnes qui n’ont pas les moyens, les “équipements” (aires de jeux ou de sports, crèches, maisons de santé, écoles…), les bureaux et encore l’activité économique et/ou de production. Mais pour Sophie Lambrighs, quand on parle de la ville du quart d’heure, on ne parle pas assez de ces trois derniers éléments, regrette-t-elle : “Je trouve qu’il faut aussi mettre l’accent sur ce qui fait que tout le monde peut trouver un job, idéalement dans le quart d’heure, et finalement contribuer à la richesse de la région.”

Cela guide donc sa vision pour le potentiel immobilier du site. Que pourrait-on y construire ? “Je pousserais pour en premier lieu à bien réfléchir à ce que l’on veut encore comme industrie, lourde ou légère, ou tout ce qui est productif d’emploi, dans ces endroits-là. Et éventuellement de l’équipement aussi. Et ne pas aller vers trop de logement. Je pense qu’il y a suffisamment de bureaux à reconvertir à d’autres endroits qui permettent déjà d’accueillir du logement. Ça ne va pas être bon pour mon business parce qu’on ne fait pas ça (rires), mais ce n’est pas ça l’objectif”, réfléchit-elle.

Pas que, ni trop, de résidentiel donc. Pourquoi ? “Le logement, tôt ou tard, pousse les activités productives hors de la ville”, et avec lui l’emploi. Car la proximité entre des activités industrielles, qui engendrent des nuisances (bruit, mobilité, etc.) et des logements, crée des tensions, explique-t-elle, en ajoutant que “aller créer des sources tensions, ce n’est pas pertinent.” Parce qu’à terme, ces tensions mèneraient généralement à faire déloger l’industrie, car les nouvelles générations de résidents deviennent plus exigeantes que les premières, qui acceptaient les nuisances parce qu’elles ont peut-être payé un peu moins cher.

Un quartier industriel, où le résidentiel apparaît de plus en plus

Un peu de géographie. Sur la carte de Bruxelles, dézoomons un peu du sud-ouest de la commune de Forest. On découvre toute une zone industrielle et commerciale aux alentours, une sorte de “banane” qui s’étend jusqu’à la gare du Midi. A l’ouest, elle est limitée par le canal et à l’est par la voie de chemin de fer reliant Bruxelles à Hal (sur laquelle on retrouve Audi Brussels). Stations services, concessionnaires automobiles, carwash, usine de chocolat (Leondias, qui déménage à Nivelles), “ballons” de stockage de gaz (Fluxys, en train d’être démantelés), centre de tri de déchets (Renewi), magasins de matériaux de construction et de meubles de salle de bain, entre autres. Voilà le décor de ce no man’s land qui sépare le sud-ouest de la capitale en deux. Une zone blanche qui semble infranchissable quand on veut se rendre de l’autre côté, en transports en commun.

La “banane” de la zone industrielle entre Forest et Anderlecht, avec le développement de logements mentionnés dans l’article. Image : Google Maps

Dans cette zone, l’activité économique laisse petit à petit de la place à du résidentiel. C’est notamment le cas, comme on l’a dit plus haut, le long du canal (et du Boulevard Industriel), sur le territoire de la commune d’Anderlecht. Un peu plus à l’est, dans un quartier de la commune de Forest appelé Bervoets (juste à l’extrémité nord d’Audi, et à l’est de la voie ferrée mentionnée), l’industriel et le commercial ont aussi laissé place à du résidentiel. Les lotissements champignonnent aujourd’hui le long de la rue Marguerite Bervoets. Le constat de cette transformation, en cours ces dernières années, a aussi participé à forger notre hypothèse sur l’avenir immobilier du site d’Audi : est-ce que les bras de la ville n’attendent que la fermeture pour y continuer leur progression ?

“Il y a une continuité de la ville, oui”, reprend Sophie Lambrighs. Mais ce n’est, encore une fois, pas si simple. Le côté industriel de la zone présente quelques difficultés qu’il faudrait surmonter, si on veut y installer du résidentiel. “Il ne faut pas sous-estimer la différence entre vivre à côté du canal et vivre à côté du chemin de fer. Il y a quelque chose d’assez romantique de voir passer une péniche, mais voir toute la zone de formation de la gare du Midi (il y a notamment la ligne vers Gand qui rejoint celle vers Halle à cet endroit, NDLR) et de stockage des trains… Aujourd’hui avec l’isolation, notamment acoustique, et les normes contre les vibrations, la proximité de la voie de chemin de fer est moins importante qu’avant. Mais ça reste une nuisance dès qu’on est sur sa terrasse ou qu’on ouvre sa fenêtre, ou ne serait-ce que visuellement”, nuance-t-elle. Et la voie ferrée n’est certainement pas près de disparaître.

“Réaménager”

“Et donc raison de plus pour aller mettre des activités qui pourront utiliser les voies de chemin de fer directement, profiteront du bénéfice d’être à côté, et seront un écran pour le reste du quartier”, ce qui serait un plus pour les logements situés le long du boulevard de la Deuxième Armée Britannique, poursuit-elle. Logements qui ont vue sur “cette usine, qui crée de l’emploi, mais qui n’est pas non plus super jolie.”

Mais néanmoins, il faudrait réaménager la zone ; et pourquoi pas en profiter pour inclure ce qui se trouve à l’ouest du site et du rail ? “De l’autre côté des voies, on est aussi dans un espace plutôt industriel… et donc comment est-ce qu’on peut ratisser les deux côtés et limiter cette fracture ?”, réfléchit Lambrighs.

C’est que le site est long de près de quatre kilomètres et collé aux chemins de fer, sur son flanc ouest. A pied, un seul passage de la voie ferrée est possible, via la gare de Forest-Midi qui se trouve plutôt au sud du site. En voiture, ce n’est possible qu’aux extrémités. Or, créer de nouvelles traversées n’est pas toujours aisé et devrait se faire en étroite collaboration avec Infrabel et la SNCB. “Si j’étais en charge, je partirais d’un plan global avec d’un côté l’abbaye de Forest, qui est un bel espace vert. Et puis les points de passage et comment on a intérêt à les relier ou à les rendre plus proches”, imagine la CEO.

Voilà à quoi pourrait ressembler le sud-ouest de la commune de Forest si Audi venait à fermer son usine.

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