Repenser ses bureaux pour garder ses employés, la grande révolution
La mise en place du travail hybride oblige les entreprises à se réinventer. Bruxelles n’échappe pas à cette vague de nouveaux aménagements de bureaux destinée à offrir des espaces de travail bien plus attractifs. Le déficit de bureau de qualité reste néanmoins un sérieux frein.
Immobel, Groupe S, Rémy Cointreau, Kolmont, Corona Direct Assurances, Bridgestone, Befimmo, Umicor, MSD. Autant d’entreprises, et cette liste est loin d’être exhaustive, qui ont récemment succombé à la voie du changement voire du déménagement. Un nouveau départ principalement lié à l’évolution de la fonction de bureau, au recours accru au télétravail et aux nouveaux besoins des employés. De quoi pousser de nombreuses sociétés à sérieusement revoir l’aménagement de leurs espaces. “Nous effectuions une vingtaine de missions par an avant la pandémie; nous en ferons une soixantaine cette année, lance Lionel Andries, head of workspace Belux au sein du conseiller en immobilier d’entreprise CBRE, un des leaders du marché. Les entreprises ne cessent de nous solliciter pour qu’on leur aménage des bureaux entièrement repensés. Bruxelles avait, il est vrai, un certain retard en la matière. Avec parfois des bureaux complètement inadaptés aux nouvelles manières de travailler ou peu accueillants. Ce n’est clairement plus acceptable si l’on veut faire revenir ses employés ou même les garder.”
Nous effectuions une vingtaine de missions par an avant la pandémie ; nous en ferons une soixantaine cette année.”
Lionel Andries (CBRE)
Le point de départ de la réflexion est souvent le même. Il faut à la fois adapter des bureaux obsolètes aux nouvelles méthodes de travail, réduire la superficie de 15 à 20% ou encore rester attractif vis-à-vis de la jeune génération, particulièrement attentive à la qualité et la flexibilité des environnements de travail. “Il s’agit le plus souvent de sociétés qui veulent redéfinir leur stratégie et réorganiser leurs espaces, poursuit Lionel Andries. Autant des petites que des grandes. Nous venons par exemple de terminer le chantier de Rémy Cointreau au Park 7 Onyx, à Machelen. C’est remarquable. Les lieux sont particulièrement inspirants et créatifs. Ce type d’aménagement permet vraiment d’attirer ou de garder les talents. Certes, alors que juste après la pandémie, les entreprises n’hésitaient pas à se lancer dans de telles opérations, la prise de décision semble actuellement plus longue vu la hausse des coûts des matériaux et les incertitudes économiques. Mais, au final, la volonté de changement fini toujours par l’emporter.”
Les multiples options de la tech
Le passage à l’action est souvent lié à la fin du bail locatif. L’occasion pour un propriétaire de rénover ou repenser entièrement son immeuble ou, pour un locataire, de déménager vers des espaces à réinventer. Quoi qu’il arrive, ce type d’opération s’inscrit dans la durée. “Chaque réaménagement est différent, estime Sara Staels, co-CEO de Shake Design & Build, société spécialisée dans l’aménagement de bureaux. Cela dépend du profil des employés, de leurs fonctions et du souhait de la direction. Cela va du flex office où vous choisissez votre espace de travail en fonction des tâches à effectuer à des postes de travail fixes en passant par une solution intermédiaire. Sur un même nombre de mètres carrés, l’idée est avant tout de proposer une multitude d’options favorisant la création et la collaboration. Au final, le siège social devient surtout dédié à ces deux fonctions. Ces changements doivent être combinés avec un niveau technologique très élevé.” Le budget dédié à un investissement de ce type dépendant avant tout du degré de technologie que l’on veut intégrer. “Au total, cela varie de 500 à 1.000 euros/m2, précise Lionel Andries. Il faut ajouter à ce calcul les économies réalisées suite à la diminution des surfaces louées. Avec dorénavant un ratio de 0,6 ou 0,7 poste de travail par employé. Les réductions de surface ne sont toutefois pas aussi importantes qu’on pourrait le croire.” Quant à la durée d’une telle mission, elle s’étend le plus souvent de six à huit mois. Et démarre à chaque fois par un large brainstroming. “L’important est de comprendre les besoins de l’entreprise, fait remarquer Sara Staels. Cela passe par différents workshops pour évaluer les objectifs: est-ce attirer des nouveaux talents, améliorer la productivité, changer la manière d’accueillir le visiteur, etc.?”
Chaque réaménagement est différent. Cela dépend du profil des employés, de leurs fonctions, du souhait de la direction, etc.”
Sara Staels (Shake Design & Build)
Reste que les aménagements intérieurs sont le plus souvent précédés d’un volet extérieur. A savoir le choix de s’installer dans un nouvel immeuble où la durabilité est au centre du jeu et les services annexes multiples. Une combinaison devenue évidente depuis fin 2021 pour les observateurs du milieu immobilier, eux qui naviguaient jusqu’alors dans un épais brouillard. Avec comme leitmotivs, désormais, que le bureau de demain sera localisé à proximité d’une gare (à Bruxelles, ce sera dans le quartier européen, le quartier nord ou le centre-ville), possédera tous les éléments techniques de durabilité, intégrera les nouvelles méthodes de travail de même qu’une multitude de services différents. Les défis n’en restent pas moins nombreux. Car même si la surface est rabotée en moyenne de 15 à 20%, il n’existe pas aujourd’hui des dizaines d’immeubles de ce type (de moins de cinq ans) à Bruxelles. D’autant que de nombreux candidats locataires ont les mêmes envies au même moment, ce qui gonfle la demande dans un paysage en sous-offre en termes d’immeubles de qualité. “Et ce, même si depuis le début de l’année, les prises en location sont en net ralentissement, s’étonne Bertrand Cotard, head of letting & sales chez BNP Paribas Real Estate. Les entreprises hésitent à franchir le pas vu le contexte économique et repoussent leur déménagement.” Résultat, la prise en location ne s’élève qu’à 130.200 m2 pour ce premier semestre, en recul de 25% par rapport à l’an dernier. Le total le plus bas depuis 2011.
Effondrement du stock
Et cela ne va pas s’améliorer puisque l’effondrement du stock est une tendance qui semble être appelée à s’inscrire dans la durée. Selon JLL, le pipeline de projets dont la livraison est prévue en 2022 et encore disponible n’est que de 43.656 m2 (sur 97.756 m2), s’élève à 153.530 m2 (sur 288.441 m2) pour 2023 et à 127.300 m2 (sur 252.400 m2) pour 2024. “Les entreprises prélouent de plus en plus tôt les immeubles, ce qui fausse quelque peu les chiffres, ajoute Bertrand Cotard. Je suis persuadé que les locations vont reprendre vu le besoin de bureaux durables et verts. C’est à la fois une tendance et une obligation.” Bruxelles, qui a toujours été un marché de déménagement (avec donc peu de nouveaux acteurs), l’est encore davantage vu les exigences en matière de durabilité et de nouveaux espaces.
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L’ère du multi-services
Autre changement induit par ces bureaux repensés: la disparition des grands immeubles uniquement dédiés au bureau. Zin (Befimmo), qui accueillera notamment la Communauté flamande dans le quartier nord, en est le plus bel exemple. Deux anciennes (immenses) tours de bureau dont la transformation complète sera achevée en 2023. Avec, contrairement au passé, dorénavant des usages différents: du bureau mais aussi des appartements, un hôtel et des espaces partagés. Mêmes ambitions dans la Royale belge (Souverain 25) à Watermael-Boitsfort, qui comprendra spa, hôtel, salle de gym, restaurants, bureaux, salles de réunion et espaces de coworking. “Tous les nouveaux développements d’envergure sont aujourd’hui multiservices, lance Bertrand Cotard. Chaque étage a pratiquement une fonction différente. Il y a une vraie demande des entreprises pour cet aspect. C’en est fini des immeubles dédiés uniquement au bureau. Le marché se transforme complétement.”
A Bruxelles, dans le quartier nord, si les exigences demandées aux propriétaires sont clairement d’évoluer vers un quartier multifonctionnel, Proximus en sera l’un des principaux artisans. “Ce sera également l’immeuble qui ira le plus dans l’évolution des manières de travailler, précise Sara Staels, en charge du réaménagement des tours Proximus dont la livraison est prévue à l’horizon 2026. Aucune entreprise n’a pour le moment été aussi loin. Et ne parlons pas des évolutions attendues sur le plan technologique. Plus aucun employé n’aura par exemple de bureau attitré. Un algorithme lui dédiera une zone spécifique en fonction des missions qu’il viendra effectuer et qu’il aura encodé au préalable. Et chaque employé pourra modeler son espace en fonction de ses envies: couleur, ambiance, température, humidité, etc. Il pourra tout changer pour qu’il se sente au mieux dans son espace de travail. Actuellement, nous essayons d’intégrer la technologie dans les bureaux. A l’avenir, ce sera l’inverse.” Des deux tours actuelles, seule une sera encore dédiée à la fonction de bureau. L’autre accueillera du logement (400 unités). On retrouvera dans chacune des tours des espaces communs, des infrastructures sportives, de l’horeca, des espaces verts ou encore des équipements dédiés à la jeunesse du quartier. Le bâtiment sera dorénavant ouvert et accessible 24h/24, bien loin de la forteresse actuelle.
Si Proximus devrait révolutionner l’approche en matière de bureau, les perspectives de développement sont encore particulièrement importantes. “Ce marché est encore énorme, estime Lionel Andries. Les évolutions en matière de technologie vont encore grandement évoluer. Nous ne sommes qu’aux prémices. L’interactivité lors des réunions avec des écrans de haute qualité de même que la gestion des flux et des espaces devraient encore être bouleversées. Tous les bâtiments qui possèdent de grands couloirs avec des bureaux fermés sont amenés à disparaître. Et il y en a encore beaucoup à Bruxelles car le parc de bureau est très ancien. Aucune profession n’y échappera en tout cas, même les plus conservatrices…”
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