Que des professionnels de l’immobilier lorgnent sur des bâtiments religieux n’a rien d’étonnant
L’entretien des églises coûte très cher. Même si elles sont désertées, ce qui est de plus en plus souvent le cas. Raison pour laquelle les pouvoirs publics et les fabriques d’église réfléchissent aux options de réaffectation. Mais cela ne signifie pas pour autant que les églises accueillent à bras ouverts le secteur immobilier.
Que des professionnels de l’immobilier lorgnent sur des bâtiments religieux n’a rien d’étonnant. En effet, beaucoup de nos églises sont des joyaux architecturaux. Elles jouissent en outre souvent d’une bonne localisation, tout en offrant de l’espace et en dégageant une ambiance avec laquelle les nouvelles constructions peuvent difficilement rivaliser.
Une réaffectation réussie attire l’attention des médias. Prenons l’exemple de la Bibliothèque des Dominicains à Maastricht, élue plus belle bibliothèque du monde, ou de The Jane à Anvers, cette chapelle d’un ancien hôpital militaire sacrée plus beau restaurant à l’échelle planétaire en 2015.
Cependant, le nombre de dossiers de réaffectation d’églises flamandes demeure relativement limité. La base de données du Centre d’art et de culture religieux (CRKC) fait état de 80 églises, alors que l’Agence du patrimoine culturel des Pays-Bas en comptait plus de mille dévolues à une nouvelle fonction.
La problématique est pourtant similaire dans les deux pays. La fréquentation des églises a sensiblement diminué, avec ce que cela implique en termes de sous-exploitation et d’inoccupation. Selon l’Atlas du patrimoine religieux en Flandre, 8% des 1.800 églises paroissiales flamandes ne sont plus utilisés. Et 60% ne le sont qu’une à deux fois par semaine. “Les églises qui n’organisent qu’une seule célébration toutes les trois ou quatre semaines pour une vingtaine de fidèles ne sont pas rares”, explique Niek De Roo du Bureau du projet Réaffectation des églises. “De nombreuses communes épinglent ce type d’utilisation car elles participent à la facture annuelle pour leur gestion et leur entretien.”
Niek De Roo ajoute que la conservation des églises vides ou sous-exploitées peut atteindre des prix faramineux. Il s’agit souvent de monuments protégés. Le professeur Koen Van Cleempoel, vice-doyen de la faculté d’Architecture et des Arts à l’Université d’Hasselt, souligne l’aspect financier. “En 2011, Geert Bourgeois a inscrit la question à l’agenda politique avec la note conceptuelle Un avenir pour l’église paroissiale flamande“, affirme-t-il. “Il s’appuyait sur un argument d’ordre financier clair et justifié : l’entretien des églises coûte des dizaines de millions d’euros aux pouvoirs publics flamands.”
Excès vs modération
Entre-temps, la Flandre a enclenché un processus de rattrapage par rapport aux Pays-Bas. Depuis le 1er février 2016, les villes, communes et fabriques d’église peuvent s’adresser au Bureau du projet Réaffectation des églises pour réaliser une étude de faisabilité concernant la reconversion d’une église paroissiale. En un peu plus de deux ans, le Bureau du projet – une initiative des pouvoirs publics flamands, de l’Association flamande des villes et communes, de l’Équipe des architectes du gouvernement flamand et du CRKC – s’est penché sur le cas de 83 églises. “Nous avons un accord-cadre avec six équipes de projet au niveau flamand”, poursuit Niek De Roo. “Par conséquent, les communes ou les fabriques d’église ne doivent pas suivre elle-même la procédure propre à une étude de marché conformément à la loi relative aux marchés publics. Nous les déchargeons de toute la paperasse administrative. La seule tâche qui leur incombe est de se porter candidates.”
Le livre paru récemment De deuren gaan open (Les portes s’ouvrent, NDLT) fournit un bel aperçu des résultats de quelques-uns de ces projets. Une constante étonnante : la prudence dans l’approche adoptée. En ce sens, le fossé avec les Pays-Bas reste béant. Nos voisins du nord semblent parfois miser en connaissance de cause sur le spectacle et la controverse (église aménagée en discothèque, skatepark ou encore supermarché).
“Il s’agit pour la plupart d’anciennes églises protestantes”, précise Niek De Roo. “Contrairement aux églises catholiques, elles ne sont pas consacrées. Chez les protestants, la célébration est consacrée, pas l’édifice. Par conséquent, une réaffectation ou une affectation secondaire est un sujet bien moins sensible. De nombreuses fabriques d’églises disposent même d’un coordinateur d’événements qui promeut l’église comme une salle de fêtes ou de conférences. Dans le cas d’une église catholique, c’est beaucoup plus difficile.”
Koen Van Cleempoel ajoute qu’aux Pays-Bas, l’entretien relève de la responsabilité des églises protestantes elles-mêmes. “Elles sont dès lors plus vite enclines à vendre”, déclare-t-il. “L’éventail des possibilités de réaffectation est alors bien plus large et plus poussé.”
Selon Koen Van Cleempoel, qui collabore également avec TRACEtv, l’un des six bureaux d’études sélectionnés, nous ne devons pas trop nous préoccuper de notre retard sur les Pays-Bas : “Inutile de nous comparer à nos voisins du nord. La bienveillance et la retenue qui caractérisent la réaffectation des églises en Flandre sont appréciées au niveau international.”
Éviter Rome
Triginta, une initiative du gestionnaire d’actifs Econopolis, est l’un des rares acteurs privés en Flandre à s’intéresser à la réaffectation des édifices religieux. Mais ce ne sont pas tant les églises paroissiales qui sont dans son viseur. “Les églises sont des bâtiments protégés”, explique le directeur, Jan Lambertyn. “Elles sont également consacrées. Par conséquent, il faut parfois envoyer un dossier à Rome. Non seulement cela prend du temps, mais cela risque aussi de compromettre le projet ou l’investissement. Nous nous concentrons principalement sur l’immobilier des congrégations et des ordres monastiques. Ceux-ci disposent souvent de grands sites immobiliers idéalement situés. De plus, ils sont demandeurs car beaucoup de leurs bâtiments sont vides ou sous-exploités. Autre avantage : la décision concernant l’affectation du bien repose entre leurs mains.”
Parmi les options de réaffectation, Triginta privilégie les fonctions résidentielles et liées aux soins de santé. “Un promoteur immobilier classique qui vise la maximisation pure des profits et un rapport sol/terrain aussi élevé que possible, et qui veut imposer sa vision a peu de chance de succès auprès des ordres. Ceux-ci souhaitent voir leur passé, leurs valeurs et leur bien respectés. Ils favorisent les options de réaffectation qui correspondent à leurs activités, comme l’enseignement et les soins de santé. Nous envisageons également les nouveaux concepts de logement, à mi-chemin entre habitat et soins de santé.”
Le choix de Triginta de se concentrer sur l’immobilier des ordres et des congrégations a également du sens en termes de construction et d’architecture, estime Koen Van Cleempoel. “Les monastères se prêtent bien aux fonctions résidentielles. Dans le cas d’une réaffectation en hôtel, il s’agit pratiquement d’un rapport d’un pour un. Dans le cas d’une église, la qualité tient très souvent à l’expérience spatiale. Ce ne sont pas les mètres carrés qui comptent, mais les mètres cubes. Ce volume pose néanmoins problème en termes d’acoustique et d’isolation. Et le diviser ou y ajouter des niveaux se fait au détriment de cette qualité spatiale.”
Ne pas exclure la démolition
Nos églises vides et sous-exploitées sont-elles vouées exclusivement à une reconversion sociale et hors de portée du secteur immobilier ? Niek De Roo n’en est pas si sûr. “Au cours des dix prochaines années, un grand nombre d’églises seront désertées. Il est inconcevable que le secteur public reprenne et réaménage tous ces bâtiments, car cela nécessite généralement de gros investissements. Le manque de moyens est donc le principal frein. À moins de pouvoir trouver cet argent en y associant un autre type d’investissement. Pour remplacer une salle des fêtes en mauvais état, il est peut-être plus judicieux d’investir dans la transformation de l’église en salle des fêtes plutôt que dans la construction d’une nouvelle salle.” Le Bureau du projet conseille aux communes de suivre de très près les besoins immobiliers publics, en particulier pour les activités subventionnées telles que les gardes d’enfants, les clubs de jeunes, etc.
Les secteurs privé et immobilier sont souvent couplés à des fonctions résidentielles et de bureau. Le projet actuel qui consiste à réunir les nouveaux bureaux provinciaux d’Unizo Anvers et un espace de coworking dans l’Église Saint-Jean l’Évangéliste à Borgerhout en est un bel exemple. Dans le segment résidentiel, le promoteur Investpro a transformé la Paterskerk à Boom en un complexe résidentiel de dix-neuf lofts.
“C’est donc possible”, concède Niek De Roo. “Mais il faut garder à l’esprit que ces bâtiments n’ont pas été conçus pour ces fonctions au départ. Avec des vitraux, des toits alambiqués et non isolés, des pièces à haut plafond, etc. Pas évident comme point de départ. Dans les endroits à forte valeur foncière, comme les villes par exemple, le jeu peut en valoir la chandelle. Mais dans un petit village, c’est beaucoup moins évident. À moins de pouvoir convertir une petite église en maison particulière. On en rencontre parfois dans les livres d’architecture.”
Niek De Roo n’exclut pas la démolition d’églises pour faire place à de nouveaux projets immobiliers. “La destruction va certainement être examinée”, dit-il. “Nous pourrons alors éventuellement utiliser les ruines du bâtiment afin d’intégrer des éléments du passé dans un nouveau projet.”
Traduction : virginie·dupont·sprl
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