Quand Le Caire veut sa propre “Dubaï” : comment la Nouvelle Capitale Administrative pourrait se retourner contre l’Égypte
Une nouvelle capitale émerge du désert égyptien. Un projet colossal qui veut rivaliser avec Dubaï, Abou Dhabi et consorts. Mais en huit ans de chantier, les problèmes s’accumulent. Jusqu’à mettre en danger le régime ?
À une trentaine de kilomètres du Caire, à mi-chemin entre la ville et le Canal de Suez, une nouvelle capitale sort de Terre, en plein milieu du désert. Elle n’a pas encore de nom, mais on y fait référence par l’accronyme NAC, pour New Administrative Capital (Nouvelle capitale administrative). À ne pas confondre avec le Nouveau Caire, soit dit en passant. Les travaux ont commencé en 2015 et durent toujours, le covid ayant en partie reporté la date finale.
Un projet immobilier pharaonique. Tout comme les pyramides à l’époque, la NAC est synonyme de démesure. Superficie : 700 km², ou presque 4,5 fois la région bruxelloise. Le gratte-ciel avec ses près de 400 mètres (sobrement appelé Iconic Tower), la mosquée et la cathédrale sont les plus grands édifices (dans leur catégorie) du continent africain, rapporte Libération, qui a pu visiter le chantier, hautement sécurisé et encore inhabité. Certains ministères ont cependant déjà commencé à déplacer leurs bureaux vers la nouvelle ville.
Mais le projet le plus fou est l’Octogone, censé faire de l’ombre à son homologue américain à cinq coins : il devrait devenir le plus grand QG militaire au monde. Le fait que ce soit justement ce bâtiment-là qui soit le plus imposant n’est pas surprenant, car c’est l’armée qui est au pouvoir, avec le maréchal devenu président après le coup d’État de 2013, Abdel Fatah al-Sisi. C’est d’ailleurs elle qui gère tout le projet, via la société Administrative Capital for Urban Development (ACUD), créée pour l’occasion.
Voici une vidéo avec quelques images aériennes :
La nouvelle Dubaï
L’ambition est claire, le régime veut sa propre Dubaï. On pourrait également comparer le projet à Néom, la mégapole en ligne droite et partiellement souterraine que l’Arabie Saoudite veut construire dans le désert.
La ville veut attirer les entités internationales : autre que la capitale administrative, elle doit aussi devenir le centre du business et de la finance. Académique, aussi : en parcourant le lieu sur Google Maps, on peut s’apercevoir que des antennes d’universités européennes ont été installées, comme la German International University (un consortium d’universités allemandes), la Coventry University et la Nova Universidade de Lisbonne.
Les risques
Mais ces ambitions de grandeur et l’envie d’imiter les pays du Golfe pourraient se retourner contre le régime. Et ce pour plusieurs raisons.
La première est l’aspect international du projet.
Initialement, le pays ne voulait pas débourser une piastre (centime de la livre égyptienne) pour cette ville. Les financements devaient venir de l’étranger. Mais au final, les investisseurs, comme l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes unis, ont profité de l’opportunité d’investissement pour, au passage, mettre la main sur des secteurs stratégiques du pays. D’autres, comme la Chine (qui est d’ailleurs le maître d’ouvrage), ont finalement revu leurs injections de capital à la baisse. Ces ratés sont aujourd’hui payés par l’Égypte (déjà très endettée), et le contribuable, montre l’enquête de Libération. Et la facture est salée : 58 milliards d’euros.
L’autre souci, c’est que les logements ont en grande partie été achetés par des investisseurs étrangers, qui ne compteraient pas y vivre. La nouvelle ville pourrait devenir une ville fantôme. De quoi aussi faire capoter l’objectif de désengorger Le Caire, une des villes les plus peuplées du monde, (six millions de personnes devaient être déplacées vers la nouvelle ville).
Une perspective qui n’est pas sans danger pour le régime. Installer un projet luxueux, couteux, mystérieux (il n’y a pas eu de véritable consultation pour la construction de la NAC) et démesuré à côté d’une ville surpeuplée et dont la population s’appauvrit (l’inflation explose et la livre dégringole) peut vite rendre la situation explosive. De quoi réveiller la contestation, voire une révolution comme le pays l’a connue il y a 12 ans.
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