Pourquoi la reconversion est une valorisation immobilière non négligeable
La plupart des projets immobiliers d’envergure concernent aujourd’hui la reconversion de bâtiments désuets ou d’anciennes friches industrielles. Une tendance qui complique la tâche des développeurs mais qui peut rapporter gros. D’autant que la réaffectation du site permet le plus souvent une valorisation immobilière de tout le quartier.
Le développement immobilier traditionnel est en voie d’extinction. Aménager un lotissement au milieu des champs devient de plus en plus exceptionnel. L’heure est la reconversion. Il y en a pour tous les goûts : des immeubles de bureaux transformés en appartements, des friches industrielles (usines, entrepôts, garages, etc.) en nouveau quartier, d’anciennes usines en lieux culturels voire des églises en logements. Une évidence vu les nouvelles dynamiques en matière d’aménagement du territoire qui tendent vers une rareté du foncier et une réduction de la consommation d’espace. Une opportunité aussi, étant donné que ces sites sont souvent très bien situés, au coeur d’un espace urbain et à proximité de voies de communication. Un héritage du 19e siècle ou de la première moitié du 20e siècle, où ces usines étaient le trait d’union de la vie villageoise. De sites délaissés, ils sont donc devenus des actifs particulièrement intéressants.
La transformation d’immeubles de bureaux en immeubles à appartements est un modèle à bout de souffle.
” De nombreux promoteurs se concentrent aujourd’hui essentiellement sur des reconversions de sites désaffectés, fait remarquer Pierre-Alain Franck, de l’Upsi (Union professionnelle du secteur immobilier). Ils n’ont pas vraiment le choix. ” Et Eric Roubaud, administrateur délégué de la société de développement immobilier Unyo, qui a piloté la reconversion du projet des Papeteries de Genval et des anciennes usines Henricot à Court-Saint-Etienne pour le compte d’Equilis, d’ajouter : ” Historiquement, les villages se sont implantés autour des industries. Ces dernières bénéficiaient d’une localisation optimale et d’un foncier particulièrement vaste. Des espaces qui ont aujourd’hui une certaine valeur. D’où leur attrait. ”
La reconversion de bureaux s’essouffle
A Bruxelles, la première vague de reconversion s’est déroulée dans les années 2000. Elle concernait la transformation d’immeubles de bureaux en immeubles à appartements. Un modèle qui est aujourd’hui quelque peu à bout de souffle. ” Il reste bien évidemment de nombreux immeubles de bureaux à reconvertir, explique Benoît Périlleux, directeur du service du développement urbain à la Région bruxelloise. Nous avions calculé, il y a quelques mois, que plus d’un million de mètres carrés étaient vacants. Ce qui offre de nombreuses possibilités. Toutefois, il faut reconnaître que les immeubles de bureaux les mieux situés ont déjà été réaffectés. Nous sommes donc dans une deuxième vague, qui concerne des bâtiments moins bien localisés et qui ne sont pas situés à proximité de transports en commun. ” Benoît Périlleux voit également une autre tendance apparaître. A savoir le fait que le prix d’un mètre carré d’un ancien bâtiment résidentiel devient plus intéressant que le prix d’un immeuble de bureaux. Ce qui désavantage ce dernier, et augmente l’attractivité de reconversions résidentielles en faveur de nouveaux immeubles à appartements, moins énergivores, plus connectés et disposant de terrasses spacieuses.
” Ce qui attire surtout les promoteurs, c’est le fait que le grand public a une appréciation favorable par rapport à la reconversion, poursuit Benoît Périlleux. Les batailles juridiques sont plus restreintes car on efface un chancre. ” Un constat partagé par Olivier Waleffe, directeur de Duferco Belgium, en charge notamment de l’importante reconversion du site des Forges de Clabecq : ” L’avantage de ce genre de site est que la commune est demandeuse d’une solution. Les autorités locales se rendent compte de la plus-value qu’apportera cette reconversion sur l’attractivité de leur entité. Même si certains politiques se rattrapent par après, en chargeant la barque en matière de charges d’urbanisme “.
Des développements rentables
La Wallonie est de son côté entrée depuis une dizaine d’années dans cette phase de reconversion de sites industriels. Il faut dire que le choix est vaste. Que ce soit par exemple les Forges de Clabecq (Duferco), les Papeteries de Genval (Equilis), la Sucrerie de Genappe (Matexi) en Brabant wallon, le Val Benoit (SPI), Coronmeuse (Willemen Groep, Jan De Nul, CIT Blaton et Nacarat) ou le site Bavière (BPI, Thomas & Piron et Urba Liège) à Liège ou encore les anciens abattoirs de Bomel (Thomas & Piron) et le Port du Bon Dieu (Atenor) à Namur. Des projets mixtes le plus souvent, rassemblant plusieurs dizaines de logements, ainsi que des commerces et des bureaux.
Ces sites, qui sont donc généralement bien situés, font l’objet d’une concurrence acharnée entre promoteurs immobiliers. Un facteur qui écarte donc de facto l’idée que ce genre de projet coûterait plus cher et ne serait pas rentable. ” Il est évident que si des promoteurs se lancent dans ce type d’opération, c’est qu’elle est rentable et qu’un développeur peut dégager une marge bénéficiaire de 16 à 20 %, précise Eric Roubaud. Il y a toutefois quelques écueils non négligeables à franchir. ”
Parmi lesquels la dépollution du site. Des analyses de sol sont le plus souvent effectuées au préalable par un bureau d’études pour mesurer l’ampleur de la pollution. Un élément qui aura une influence sur le prix d’achat du terrain, celui-ci étant bien plus faible en cas de pollution avérée. ” Tous les promoteurs ne peuvent se lancer dans ce type d’opération, fait remarquer Eric Roubaud. Il faut tout d’abord avoir les reins solides car d’importantes sommes d’argent sont immobilisées le temps des procédures et de la dépollution. Il est également nécessaire d’avoir une certaine technicité en la matière pour être au courant de la législation et des démarches spécifiques à effectuer. Enfin, ces projets s’étendent le plus souvent sur un espace temporel de 10 à 15 ans. Il faut donc être patient. Pour amortir son investissement, un promoteur table le plus souvent sur une augmentation du prix de vente des appartements au fil des années, de manière à obtenir une meilleure rentabilité. ”
De son côté, si Olivier Waleffe partage ce sentiment, il apporte quelques précisions sur les balises à mettre en place pour réussir une telle opération. ” Le premier élément est de bien sélectionner le terrain, explique-t-il. Son potentiel de reconversion doit être évident car un développeur ne peut se tromper. Lors d’une reconversion, les promoteurs doivent prendre un risque qu’ils n’ont pas l’habitude de prendre dans le cadre d’un projet classique. Ils doivent effectuer une bonne analyse de sol, qui déterminera le niveau de dépollution, le prix du foncier et le calcul de rentabilité. Il faut aussi déterminer un mode opératoire et s’accorder sur la bonne affectation du site à développer. Une fois que la programmation du projet est sécurisée, vient alors la phase d’assainissement. Suivie par le volet immobilier. Ces étapes prennent du temps. L’inconvénient de cette période, c’est que les avis peuvent évoluer au cours du temps, ce qui est très problématique financièrement pour un développeur. ”
Ajoutons que si certains promoteurs ont pris le pli de raser tout un site pour repartir d’une feuille blanche, la reconversion d’un ancien bâtiment industriel vers une nouvelle destination culturelle, économique ou résidentielle est encouragée par certains. Comme par le bouwmeester (maître-architecte) de Charleroi Georgios Maillis. ” Il y a trop de démolitions qui sont effectuées par facilité, explique celui qui est le seul candidat à un nouveau mandat de six ans qui doit débuter en août. Je milite pour un maintien du bâti, une rénovation et une reconversion plus importante des bâtiments existants. Il faut changer les mentalités en ce sens. Les bâtiments anciens sont très intéressants et ont été construits selon des standards élevés. Il y a un vrai intérêt à mêler ces bâtiments avec de l’architecture contemporaine. ”
Une valorisation des valeurs immobilières
Ces opérations de reconversion multiplient en tout cas les atouts et semblent être, si elles sont bien menées, un win-win tant pour le politique, le développeur que le citoyen. L’impact négatif produit sur l’environnement direct (déqualification, dégradation des valeurs immobilières, mauvaise image) est gommé en grande partie. Les conséquences sur la valorisation immobilière d’un site sont quant à elles non négligeables. ” Il est évident que son environnement prend de la valeur, estime Eric Roubaud. Quand on passe d’un chancre à un nouveau quartier, certains propriétaires situés aux alentours voient la valeur de leur maison grimper en flèche. Beaucoup de riverains en profitent indirectement. ” Il est connu que lorsque la friche est ancienne, le projet pousse les différents acteurs à devoir prendre en compte le passé social, culturel et architectural du lieu et à l’intégrer dans le projet. A contrario, lorsque le site désaffecté est récent, il est plutôt conseillé d’agir de manière forte et rapide, afin de limiter les phénomènes de friche et de dégradation du bâti, qui pourraient impacter les coûts de transformation. ” Je confirme en effet que les plus-values arrivent très vite dans les quartiers environnants, note Olivier Waleffe. Pas quand vous êtes en train démolir le site. Mais bien dès que c’est fini et que l’on voit le projet apparaître. L’attractivité grimpe alors en flèche. Ce qui a un impact non négligeable sur les prix. Cela pousse les communes à jouer le jeu. D’autant que cela met également fin à une certaine insécurité. “
Ces avis sont toutefois quelque peu tempérés par Benoît Périlleux, qui relativise ces impacts, du moins actuellement. ” D’après les quelques analyses que nous avons effectuées, les prix initiaux du quartier reviennent très vite à la normale. La tour UpSite le long du canal à Bruxelles n’a par exemple pas fait grimper en flèche les prix de l’immobilier. Il y a une permanence de la ségrégation spatiale. Cet impact n’est pas suffisant pour faire grimper les valeurs immobilières, même s’il s’agit bien évidemment d’un volet intéressant en termes de qualité de vie. ”
La SPAQuE, le bras armé de la Wallonie en matière de réhabilitation de friches industrielles, va quelque peu se réorienter dans les prochaines semaines. Suite à une demande du gouvernement wallon, elle conduira désormais davantage ses missions vers les reconversions économiques plutôt qu’environnementales. Pour rappel, la SPAQuE établit une liste de sites (publics) prioritaires soumise ensuite au gouvernement wallon. Elle les dépollue et les met ensuite à disposition d’un développeur. Cinquante-deux sites (près de 800 ha) ont été réhabilités. ” Il est évident que notre travail prend de plus en plus d’importance vu les nouvelles tendances en matière d’aménagement du territoire qui visent à concentrer l’habitat dans les centres, où sont situées de nombreuses friches “, concède Stéphanie Stevenart, responsable du service des projets stratégiques et de développement à la SPAQuE. Cet organisme d’intérêt public et les acteurs privés actifs en matière de dépollution sont soumis aux mêmes exigences en la matière, même si ces derniers ont l’obligation d’une rentabilité financière. Un des problèmes majeurs restant le niveau de dépollution qui devrait être davantage déterminé en amont en fonction de la programmation. ” L’idéal, c’est que les sites soient porteurs d’un projet, poursuit Stéphanie Stevenart. Cela permet de ne pas devoir creuser à quatre mètres de profondeur si on y installe un parking. Pour le moment, nous travaillons exclusivement sur des terrains qui appartiennent à des acteurs publics. Nous songeons par contre à élargir notre mission vers les acteurs privés. Même si une série d’interrogations subsistent par rapport aux conditions d’une telle collaboration. “
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