Pour la secrétaire d’Etat à l’Urbanisme: “Tout le monde doit pouvoir encore habiter à Bruxelles”

Ans Persoons, secrétaire d’Etat bruxelloise à l’Urbanisme © D.R.

La hausse des prix constatée ces dernières années a encore davantage fracturé l’accès au logement dans la capitale. Ans Persoons, secrétaire d’Etat à l’Urbanisme, souhaite augmenter le nombre de constructions pour faire diminuer la pression. Mais surtout orienter une partie de ces appartements neufs vers le logement social. Reste à voir si la théorie pourra s’appliquer sur le terrain.

Le mobilier n’a pas changé, la décoration non plus. “C’est juste moins bien rangé”, sourit Ans Persoons, en entrant dans son bureau qui dévoile une vue plongeante sur le quartier Nord. La secrétaire d’Etat bruxelloise en charge de l’Urbanisme et du Patrimoine a pris le relais de Pascal Smet en juin dernier. D’ici aux élections, elle aura donc eu 12 mois au pas de charge.

TRENDS-TENDANCES. Une année pour faire ses preuves, c’est court. En juin, à l’heure du bilan, quel regard porterez-vous sur votre passage au gouvernement ?

ANS PERSOONS. Le bilan sera établi dans la continuité du travail effectué par mon prédécesseur. Si je suis nouvelle dans le gouvernement, je dispose néanmoins d’une longue expérience en matière d’urbanisme à la Ville de Bruxelles. J’ai dû assister à plus de mille commissions de concertation. J’ai donc quelques notions urbanistiques. C’était donc un avantage quand j’ai relevé ce défi.

Avec quel bilan au final ?

Le pipeline de dossiers est encore bien rempli d’ici la fin de la législature. Mais le dossier majeur, cela reste la réforme du Règlement régional d’urbanisme (appelé également Good Living) qui doit encore être approuvée en troisième lecture au gouvernement. Un travail qui aura duré cinq ans, avec une large consultation d’experts. De nombreuses remarques ont été intégrées. Les juristes ont retravaillé le texte à plusieurs reprises pour qu’il soit optimal.

Mais ce RRU sera adopté sans l’approbation du Conseil d’Etat, ce qui va laisser planer des incertitudes juridiques dès le départ…

Le Conseil d’Etat nous a en effet annoncé qu’il ne disposait pas du temps nécessaire pour examiner le texte. Cela aurait été mieux d’avoir son regard mais cela n’entrave toutefois pas le processus car ce passage n’est pas obligatoire. Des juristes travaillent depuis décembre sur tous les articles. Je n’ai aucun doute sur la qualité et la légalité du document. Vu son importance pour Bruxelles, c’est une nécessité de passer à l’étape suivante. L’objectif est qu’il entre en vigueur le 1er septembre 2025.

“Il faut davantage de logements sociaux. Bruxelles ­traverse une crise du logement sans précédent.”

A quels grands changements les Bruxellois peuvent-ils s’attendre ?

Ils sont nombreux. Le précédent document pouvait être qualifié de défensif, avec de nombreuses règles qui entravaient les projets. Nous avons souhaité changer complètement d’optique. Le RRU reste un document réglementaire mais il y aura davantage de latitude dans l’octroi des permis. Tous les agents communaux et régionaux seront formés d’ici l’an prochain, avec l’objectif d’avoir une meilleure cohérence dans les décisions au sein des communes et de la Région.

Mais en quoi ce document est plus ambitieux que le précédent ?

Il y avait auparavant une volonté de tout contrôler, au détriment d’une certaine qualité architecturale. Nous sommes repartis d’une page blanche, avec de réelles ambitions urbanistiques qui sont davantage dans l’air du temps. Les démolitions de grands immeubles doivent par exemple devenir des exceptions. Il y a cinq ans, personne n’en parlait. Or, aujourd’hui, cette démarche est bien mieux acceptée. Le problème est que nous ne disposons pas des outils pour appliquer au mieux cette politique. Mais cela prouve que les mentalités peuvent évoluer rapidement. Un accent est mis sur la qualité des espaces publics, qui doivent devenir des lieux de rencontre et non de passage. Sur l’obligation de posséder une terrasse également. Alors qu’un chapitre concerne désormais le coliving haut de gamme. Il est nécessaire de mieux réguler cette activité. En fait, l’objectif est vraiment d’être en phase avec son époque, soit de mettre l’accent sur la durabilité et sur une autre vision de la ville.

Vos prédécesseurs évoquaient régulièrement leurs grandes ambitions urbanistiques pour Bruxelles, que ce soit en matière de densification, d’érection de tours ou encore de gestes architecturaux. Quelles sont les vôtres ?

Avec Pascal Smet, nous avons un caractère différent mais notre vision de la ville est similaire. La différence, s’il doit y en avoir une, est mon accent plus prononcé vers la construction de logements sociaux. Je pense réellement qu’il en faut davantage. Bruxelles traverse une crise du logement sans précédent. D’où notre proposition d’imposer aux promoteurs, via les charges d’urbanisme, de réserver 25 % de logements publics dans tout projet immobilier de plus de 3.500 mètres carrés. L’objectif est d’acheter ces logements à un prix réduit.

Un projet d’ordonnance approuvé début mars qui reste décrié dans le monde immobilier…

Pas par tout le monde. Certains promoteurs me disent qu’ils préfèrent construire des projets plus rapidement en réservant une partie à du logement public plutôt que de devoir patienter pendant des années avant d’avoir un permis. Nous devons donc travailler ensemble pour y parvenir. La prévisibilité que nous offrons aux promoteurs en leur achetant une partie de leur projet doit être répercutée par une diminution des prix. Le bureau Idea Consult a longuement étudié cette question pour avoir un instrument juridique qui tient la route. Cela ne sort pas de nulle part.

Via quels acteurs publics ces logements seront-ils achetés ?

Les opérateurs immobiliers publics (OIP) disposeront d’une priorité pour acquérir ces logements. Ils pourront ensuite proposer ces appartements à la location ou à l’acquisition à des prix avantageux. L’objectif est de mettre la main sur ces 25 % de logements à un prix inférieur à celui du marché. La proposition consiste à acheter les appartements aux promoteurs graduellement moins chers jusqu’à atteindre le prix conventionné de 2.685 euros du mètre carré. Le tout sur une période de 10 ans.

Les finances bruxelloises sont exsangues. Comment financer ces achats ?

La mesure est évaluée à 130 millions par an (pour une moyenne 375 logements, Ndlr). Le montant descendra ensuite à 91 millions car les prix seront lissés pendant la période de 10 ans. Si la Région est dans une situation financière compliquée, j’estime toutefois qu’en procédant à une réforme des structures pour dégager de nouveaux moyens, il est possible d’investir dans des logements.

Bruxelles “La classe moyenne ne trouve plus de logement de qualité pour y habiter. ”

Il y a urgence selon vous ?

Clairement. La classe moyenne ne trouve plus de logements de qualité pour se loger. Les logements neufs actuels sont réservés à la classe supérieure de la population. Il y a un décalage à combler. Nous estimons qu’en construisant davantage de logements sociaux, la pression immobilière diminuera. Les policiers et infirmières ne savent plus vivre en ville à Paris ou Londres. Ils doivent pouvoir encore vivre à Bruxelles. Toutes les grandes villes souffrent d’une crise du logement. En 2050, 85 % de la population vivra en ville. Il faut donc agir et investir dans le logement public. Nous essayons d’ailleurs de convaincre la Commission européenne de soutenir cette démarche pour disposer de fonds supplémentaires.

Mais pour le moment, l’offre de logements neufs reste au plus bas. Faut-il augmenter l’offre pour faire diminuer les prix ou ce mécanisme n’a aucun impact, comme certains l’affirment ?

Il n’y a pas de doute, il faut augmenter l’offre à Bruxelles. Mais cela ne suffit pas: il est également important de posséder des logements abordables. D’où notre proposition de réforme.

“Ce n’est pas grave d’avoir une ville de locataires. Du moins si le marché locatif est régulé.”

Pour augmenter l’offre, il faut accélérer la délivrance de permis. Comment y parvenir ?

Je comprends la frustration de certains développeurs. Mais 30 % des retards concernent l’incomplétude d’un dossier. Nous sommes en train de déjà revoir cette étape pour la raccourcir. Quant à la délivrance du permis, cela concerne le CoBAT (Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire). Si nous restons au pouvoir, nous avons l’ambition de réformer complètement ce document.

Un souhait qui était déjà ­présent pour cette législature…

Oui, mais avec la révision du RRU, il n’était pas possible de mener de front deux dossiers aussi importants. Une évaluation du CoBAT a néanmoins été effectuée. Il en ressort que toutes les procédures et les délais doivent être repensés et être plus lisibles. La place de la participation citoyenne est également à revoir. De notre côté, nous sommes notamment favorables à la mise en place de réunions d’information préalables qui évoqueraient dans un premier temps uniquement les volumes et les fonctions d’un projet. Le reste (matériaux et architecture) pourrait être approuvé dans un second temps, ce qui permettrait de faire avancer plus rapidement un dossier. Les pouvoirs publics doivent également parler davantage d’une seule voix. Alors qu’un autre frein, ce sont les nombreux projets attaqués au Conseil d’Etat. Cela crée trop incertitudes. Malheureusement, je ne peux agir sur ce point. Il est en tout cas anormal qu’une seule personne puisse bloquer la construction d’une école ou de logements car elle ne souhaite pas de chantier devant chez elle.

Pour terminer, comment voyez-vous évoluer le marché immobilier bruxellois. Vu les prix, allons-nous vers un marché composé essentiellement de locataires ?

Je le pense. Mais ce n’est pas grave d’avoir une ville de locataires. Du moins si le marché locatif est régulé. Je reste donc favorable à une grille des loyers. L’important est surtout d’avoir une ville durable, accessible, attractive et apaisée.

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