Patrick De Pauw: “Tour & Taxis et Interparking sont mes deux grands regrets”

S’il s’est retiré de l’immobilier, Patrick De Pauw reste actif comme président de la World Trade Center Association, un cercle d’affaires. © Julien Pohl

La famille De Pauw a marqué l’immobilier bruxellois en tentant de transformer le quartier Nord en quartier d’affaires digne de Manhattan. Une transformation démesurée pour certains, controversée pour d’autres, l’histoire a en tout cas fait couler le béton à flots. Un héritage qui rebondit aujourd’hui alors que le quartier est appelé à complètement se réinventer.

Une famille en or. Patrick De Pauw (73 ans), ancien patron de la Compagnie de Promotion, a contribué a transformé l’immobilier bruxellois, prenant dans les années 1980 la suite de son père Charly qui avait lancé les opérations. Pendant près de 30 ans, la famille De Pauw a été associée aux plus grands projets. Si peu de promoteurs actuels se revendiquent de cet héritage, tant les méthodes diffèrent aujourd’hui, leur parcours a marqué une époque. Les 50 ans de l’inauguration de la première tour du World Trade Center de Bruxelles offrent l’occasion de se replonger dans ce pan de l’histoire de l’immobilier bruxellois. Aujourd’hui retiré des affaires, Patrick De Pauw n’en garde pas moins un regard aiguisé sur les enjeux immobiliers actuels.

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TRENDS-TENDANCES. De nombreuses critiques, tant de la part d’urbanistes que de promoteurs, s’abattent ces dernières années sur la manière dont Bruxelles a été construite dans les années 1970, 1980 et 1990. Que retenez-vous de cette urbanisation et des erreurs qui ont éventuellement été commises?

PATRICK DE PAUW. Le quartier Nord s’est isolé au fil du temps à cause de la zone industrielle située le long du canal de Willebroek, de la jonction avec le boulevard Léopold II de même que de la jonction Nord-Midi. Tout cela a enclavé ce quartier. Il s’est alors paupérisé à partir des années 1930. Des Belges ont émigré et une population moins aisée s’y est installée. Dans les années 1960, les édiles communaux, via le groupe Structures, ont redéfini le plan particulier d’aménagement, baptisé par certains “Plan Manhattan”. Ils ont redessiné le quartier avec l’idée d’y construire 54 tours (dont huit tours d’un World Trade Center, Ndlr), dans une vision urbanistique à l’américaine. J’estimais que cela ne correspondait pas à l’urbanisme belge.

Vous auriez fait les choses différemment?

Tout à fait. Tout aurait dû être construit différemment. Si les édiles politiques prenaient le parti d’aménager ce quartier à l’américaine, il fallait le faire à fond. C’est-à-dire avec des pouvoirs publics qui exproprient un quartier entier et qui permettent à des investisseurs et des habitants de s’y implanter dans le cadre d’un plan de lotissement. Le problème, c’est qu’ils l’ont fait par morceau, en démolissant un îlot par-ci, un îlot par-là. Avant d’arrêter le processus dans les années 1970 suite à la crise économique. Ce quartier est resté peu attrayant pendant des décennies, ce qui a causé sa désuétude. Dans le plan d’aménagement, il était également prévu le prolongement de l’autoroute de Liège qui devait passer au-dessus de la gare du Nord et se prolongeait jusqu’à la Basilique. Il y avait aussi des plans pour prolonger l’autoroute d’Anvers. Il s’agissait d’un plan qui était, il faut l’avouer, quelque peu surréaliste. La circulation piétonne devait, par exemple, se faire entre les immeubles via des passerelles situées à 13 m de haut…

Quand on associe la famille De Pauw au phénomène de “bruxellisation”, cela vous touche?

Non. C’est un fait. C’est lié au fait que mon père a construit le Complexe des Postes et l’immeuble Philips, situés juste en face de la place De Brouckère. Ces deux projets ont été les éléments déclencheurs pour tenir mon père responsable de la bruxellisation. Mais il ne faut pas oublier qu’à l’époque, le métier de promoteur immobilier était peu développé. Alors qu’aujourd’hui, on dénombre bien plus d’acteurs. Mon père était la figure de proue de la promotion immobilière des années 1960, 1970, 1980. Je comprends donc cette association. Elle s’est poursuivie par après, suite à ses réalisations dans le quartier Nord car le grand public lui a imputé les expropriations et l’aménagement de ce quartier. Or, il n’avait rien à voir avec ces décisions. Ce sont le édiles politiques bruxellois qui les ont prises.

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C’était également l’époque où la planification territoriale était minime et où les relations promoteurs/politiques étaient fortes. Est-ce salutaire que la situation ait évolué?

On peut le penser. Mais c’est surtout Paul Vanden Boeynants (alors échevin bruxellois des Travaux publics, Ndlr) qui a tenté d’attirer mon père dans le quartier Nord. Or, cela ne lui a pas rendu service. Fin des années 1960, VDB l’a convaincu que le quartier Nord était le quartier de demain. Le climat économique était alors favorable, avant de décliner et péricliter en 1974.

Et vous avez alors repris la main…

Le problème est qu’il n’y a pas de continuité dans le pouvoir politique. Les hommes et les idées changent perpétuellement. Les ambitions pour le quartier Nord ont évolué au gré des responsables. Ce n’est pas normal de décider un jour de construire du bureau et le lendemain d’ériger du logement. Il faut une ligne de conduite claire.

Quand vous voyez les grands projets réalisés ces dernières années, est-ce qu’il y en a l’un ou l’autre que vous auriez aimé développer?

La rénovation de la Royale Belge (Mix Brussels du consortium CORES Development-Urbicoon-Foresite-Ape, Ndlr). C’est un projet particulièrement attractif. Il est multifonctionnel. Cela cadre bien avec les nouveaux besoins en matière de bureau. Nous ne sommes d’ailleurs clairement plus aujourd’hui dans l’idée de construire des grands immeubles monofonctionnels. Mais plutôt des immeubles mixtes proches des gares. L’avantage du quartier Nord, c’est la gare. Si on la retire, il ne se passe plus rien.

Un important projet est d’ailleurs sur la table pour le CCN… Tout à fait. Dans les années 1980, il n’y avait pas d’enthousiasme politique pour rénover le CCN. Jusqu’à ce que Jos Chabert change d’avis. Et aujourd’hui, on recommence: c’est magnifique. Mais tout prend du temps. Administrativement, les procédures étaient extrêmement compliquées à l’époque. Cela a encore empiré aujourd’hui. Heureusement que je m’entendais bien avec les représentants de l’Arau (Atelier de recherche et d’action urbaine) et d’Inter-Environnement, ce qui me permettait d’éviter certains recours au Conseil d’Etat. Aujourd’hui, nous sommes davantage dans une stratégie de l’affrontement. C’est regrettable. Il ne serait d’ailleurs plus possible de construire autant que nous l’avons fait par le passé.

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Si vous deviez réaliser un dernier coup et développer aujourd’hui un ensemble de 100.000 à 200.000 m2, vous vous orienteriez vers quel type de projet?

J’ai pris une mauvaise décision dans les années 1990. Luc Bertrand m’avait proposé d’investir à parts égales (50/50) dans le site de Tour & Taxis. J’étais à l’époque encore empêtré dans une somme de difficultés liées au développement du quartier Nord et je n’étais pas prêt à relever à nouveau un défi aussi compliqué. J’avoue que j’ai eu tort en le refusant. Luc m’en a d’ailleurs reparlé récemment. Quand on voit ce que c’est devenu, c’est remarquable. Il faut saluer sa vision et sa détermination. Même s’il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour y arriver…

L’immobilier de bureau a connu d’importantes mutations ces dernières années. Vous vous retrouvez dans ces nouvelles approches?

La problématique du bureau à Bruxelles est qu’il y a très peu de clients quand vous construisez un immeuble. Par contre, quand vous développez un centre commercial ou une rue commerçante, le problème n’est pas le client mais de trouver une localisation attractive et de contrôler le prix de revient. Même chose pour l’industriel. Pour le bureau, il y a très peu de nouvelles sociétés qui entrent sur le marché. Nous sommes dans un marché de remplacement. On nous a reproché de construire trop d’immeubles pour les pouvoirs publics et de faire du quartier Nord un quartier monofonctionnel. Mais ils représentent presque 50% du take-up. On ne peut s’en passer.

En tant qu’ancienne partie prenante, que pensez-vous de l’évolution de Befimmo?

Nous étions très impliqués dans l’actionnariat de Befimmo. J’estimais qu’il fallait diversifier le portefeuille, avec du commerce, du résidentiel et de l’industriel. Nous ne savions pas comment les choses pouvaient évoluer à l’avenir. Les dirigeants de la société en commandite n’étaient pas de cet avis et considéraient qu’il fallait se concentrer uniquement sur les bureaux.

Démoli îlot par îlot, le quartier Nord est resté peu attrayant pendant des décennies.
Démoli îlot par îlot, le quartier Nord est resté peu attrayant pendant des décennies. © pg

Et c’est pourtant ce que les patrons actuels tentent de faire aujourd’hui pour redresser la société…

J’avoue que je ne suis plus leurs activités. Pour le reste, j’avais également suggéré à l’époque de fusionner avec Cofinimmo car Befimmo était trop petit. Mais les dirigeants ne le souhaitaient pas, alors qu’un rapport de Bain affirmait le contraire. Cette décision m’a alors poussé à vendre mes titres. Ils ont été vendus à 70 euros alors que 20 ans plus tard, le cours est tombé à 31 euros lors du rachat par Brookfield. C’est la preuve que leur politique n’était pas la bonne.

Vous êtes aussi un ancien gros actionnaire d’Interparking. Quel regard portez-vous sur l’évolution de ce segment et, plus largement, sur la mobilité à Bruxelles?

Nous ne sommes plus dans Interparking, alors que nous avions 50% et la famille De Clercq le solde. C’est mon grand regret. Nous avons vendu notre participation pour des raisons familiales. Je ne suis plus du tout l’évolution de ce marché. Quand je vois un article sur Interparking, je tourne la page (sourire). Certains disent qu’il ne faut avoir aucun regret dans la vie. C’est joli à dire mais moi, j’en ai. Et Interparking en fait partie…

Vous en avez d’autres sur le plan immobilier?

Oui: de ne pas avoir redéveloppé Tour & Taxis. Mais je n’avais plus l’énergie pour convaincre tout le monde et rassembler toutes les signatures nécessaires à la réalisation d’un tel projet. Il faut des décennies pour arriver à investir et à créer quelque chose qui est bon pour Bruxelles. La voix du contre est prépondérante, elle a bien plus d’écho que la voix du pour. C’est regrettable.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de Bruxelles, que ce soit en matière de mobilité ou d’immobilier?

Le problème de Bruxelles est le manque de vision à long terme. Il y a eu trop d’aménagements disparates et peu réfléchis. Nous en payons les conséquences actuellement et pour longtemps encore. Et je ne parle pas de la durée des procédures d’obtention des permis qui épuisent les meilleures volontés.

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