Namur accueille le premier habitat partagé pour parents célibataires de Belgique (photos et vidéo)

habitat partagé Namur
Le bâtiment a été rénové de sorte qu’il soit performant sur le plan énergétique. © Ernestliving
Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste

À Namur, un ancien hôtel de maître renaît sous une nouvelle forme : un habitat partagé, conçu pour les familles monoparentales. Son objectif ? Offrir un logement digne, abordable et chaleureux aux parents solos et à leurs enfants, tout en recréant du lien social. Une première en Belgique.

Dans une rue située au cœur de Namur, nous franchissons les portes d’un ancien hôtel de maître en pleine effervescence. Derrière la façade de ce bâtiment historique de quelque 1300 mètres carrés, les ouvriers s’affairent aux dernières finitions : retouches, coups de pinceau, ajustements de dernière minute. L’ancien bureau de notaire se transforme peu à peu en un habitat partagé, pensé pour accueillir des parents solos et leurs enfants. Le chantier doit être bouclé d’ici octobre. Cet automne, plusieurs familles y poseront leurs valises. Un projet social ambitieux porté par Lionel Wauters.

Un toit pour les parents solos

Le projet Ernest est né d’un constat simple: les familles monoparentales, souvent précarisées, peinent à se loger dignement. « Elles ne touchent qu’un unique revenu, souvent incomplet parce que travailler à temps plein quand on a un enfant en bas âge, c’est compliqué. Et puis, il s’agit souvent de mamans solos, et on connaît les inégalités homme-femme en termes de revenus… », explique Lionel Wauters.

Sans compter que ce public souffre énormément de discrimination à l’accès au logement. « Par exemple, si un bailleur reçoit deux candidatures – un couple et un papa ou une maman seule -, il va privilégier le couple, même si les revenus sont les mêmes, juste par sécurité. »

L’ambition du projet ? Offrir un toit sécurisé, abordable – charges comprises – et conforme aux normes environnementales actuelles. Mais au-delà de l’enjeu économique, Ernest a surtout une finalité sociétale et environnementale. « Ce projet est né de l’idée d’en faire un ‘catalyseur de liens’. En rassemblant des familles au sein d’un même logement ». Celles-ci sont souvent confrontées à une forme de précarité sociale. « Émotionnellement, il y a beaucoup de solitude. Mais c’est aussi compliqué en terme d’organisation. Quand on est infirmière et qu’on commence son service à 7h, comment parvient-on à gérer le petit-déjeuner des enfants, à les emmener à l’école… ? Et si on veut aller faire du sport, qui surveille les enfants pendant ce temps-là ? »

C’est de là qu’est née cette réflexion : comment est-ce que le logement pourrait répondre à ces questions économiques, mais surtout améliorer la qualité de la vie de ce public ? « Notre réponse : l’habitat partagé. »

Une première en Belgique

Un concept novateur, et le premier du genre prendra vie à Namur. « Ce type d’habitat sort des cadres habituels de la définition de logement. Notamment des logements sociaux et donc des logements qui pourraient être subventionnés via des aides publiques. »

L’idée est de tester le modèle non subventionné dans un premier temps. « C’est la raison pour laquelle les loyers ne sont peut-être pas accessibles à tout le monde », souligne Lionel. Même si, combinés aux charges, ceux-ci restent en dessous de la norme actuelle. « Peut-être que plus tard, on pourra faire rentrer ce modèle dans les normes, et que les pouvoirs publics pourront financer une partie des loyers des familles qui habiteront ici afin de les rendre plus accessibles ». Mais l’aspect du groupe, l’aspect des échanges est pour l’instant prioritaire par rapport à l’aspect économique.

Et où est en ce projet aujourd’hui ? « À Namur, on est entré dans la dernière phase de travaux de rénovation : les finitions. Pompe à chaleur, panneaux solaires… Toutes les techniques qui prennent plus de temps sont terminées. Normalement, l’entrepreneur devrait avoir fini d’ici fin août. Mais à mon avis, il faudra attendre encore septembre pour certaines finitions. Nous, on se laisse septembre aussi pour aménager certaines pièces, amener le mobilier pour les espaces communs. Et en octobre, les familles pourront s’installer. »

Autonomie et échanges se reflètent dans les plans

Malgré quelques similarités, il ne s’agit pas d’une colocation ni même d’un habitat groupé. Mais bien d’un habitat partagé. La particularité : “Ici, tous les espaces communs sont partagés. À savoir la cuisine, la salle-à-manger, le salon, la buanderie, le jardin, le local vélo… Bref, toute la plupart des fonctions.” Dans les espaces privatifs, on retrouve la chambre et la salle de bains. « L’objectif est d’encourager les échanges, notamment en démultipliant les espaces. On a par exemple 3 salons qui pourraient avoir des natures différentes : une salle de jeux, un coin cosy lecture, un coin télé. »

Mais sans pour autant forcer le contact à tout prix. “L’idée n’est pas d’avoir forcément des repas communs tous les jours, mais de favoriser l’autonomie. On souhaite que chaque famille ait ses libertés dans ses horaires.” Chaque unité dispose ainsi d’une chambre plus grande, suffisamment généreuse afin de pouvoir y mettre un coin salon. Une façon de proposer aux familles un espace où chaque membre peut se retrouver dans son intimité, sans les autres. « C’est un vrai petit cocon privé. »

Même l’acoustique a été renforcée pour respecter cette bulle. « C’est bien de vouloir partager des moments avec les autres habitants du logement, mais quand je suis dans mon unité privée, je n’ai pas envie d’entendre tout ce qui se passe dans la chambre d’à côté. »

Une valeur humaine… et écologique

En dehors de ces espaces privatifs, toute l’architecture a été pensé pour favoriser la vie à plusieurs: multiplication des lieux de rencontre, cuisine spacieuse avec de multiple plans de travail, large salle à manger… « On a calculé ce que j’appelle pompeusement ‘la scénographie de la circulation’ dans le bâtiment. » Traduisez : vivre ensemble, sans se marcher sur les pieds. « Ainsi, même si j’apprécie beaucoup mes voisins, si j’ai passé une mauvaise journée, je n’ai pas forcément envie de les voir. Eh bien, plutôt que de rentrer directement dans l’espace commun, je peux emprunter l’ancien escalier de service pour me rendre dans mon espace privatif, sans forcément croiser mes voisins. »

Outre cette valeur humaine, il y a tout l’aspect environnemental qui revêt une grande importance. Pompe à chaleur, panneaux solaires, VMC, récupération d’eau de pluie, isolation, triple vitrage… Le bâtiment a été rénové de sorte qu’il soit performant sur le plan énergétique. Une valeur qui se traduit aussi dans le choix de la localisation. « Le fait d’être au cœur de la ville de Namur, proche des transports en commun, et pouvoir ainsi se passer de voiture, c’est intéressant. On peut avoir un impact sur la mobilité des citoyens. »

Réapprendre à vivre ensemble

Partager des espaces, c’est forcément être confronté à des éventuelles tensions et des conflits au sein du logement. On le voit dans les familles, c’est vrai aussi – si pas plus – dans un habitat partagé. « Partager une cuisine, se rendre compte que quelqu’un n’a pas nettoyé la table derrière lui. Cela va arriver, il faut que le groupe puisse gérer ça. » C’est pourquoi, dès la conception du bâtiment, jusqu’à la définition de règles de bonne conduite, en passant par la sélection des habitants eux-mêmes, rien n’a été laissé au hasard.

Quand Lionel s’est penché sur cette initiative, il y a eu dans un premier temps la réflexion du nombre de personnes à accueillir. Le choix s’est finalement porté à douze familles. « On va avoir plus de diversité dans un groupe de douze : de personnalités, de savoirs, de savoir-faire, et donc de caractères. Les relations ne seront pas les mêmes. Il y a d’office des gens avec qui on va bien s’entendre tandis qu’avec d’autres, moins. Mais dans un groupe plus petit, de trois par exemple, il y a moins de diversité. S’il y a une personne avec qui on ne s’entend pas, l’ambiance va être mauvaise et cela va se ressentir plus rapidement. »

Douze, c’est donc le nombre idéal qui favoriserait une bonne dynamique, et la multiplication des échanges, selon Lionel et son équipe. « Dans un groupe, il y a des gens qui ont plus de leadership, qui vont plus prendre le lead sur certaines initiatives. Il y a des gens qui auront plus un rôle de médiateur. »

Gouvernance collective

Et si le conflit émerge ? Les habitants seront soutenus par l’ASBL Habitat et participation. « Elle va former le groupe à des outils de gouvernance participative, des outils d’intelligence collective. Le groupe devra prendre des décisions, mettre en place des règles, établir une charte de vie à plusieurs, mettre en place des outils de gestion de conflits. » Le groupe sera ainsi accompagné avant l’emménagement, mais aussi après, durant les six premiers mois.

Les futurs habitants auront-ils voix au chapitre dans la gestion du lieu ? « Nous ne sommes pas là pour animer, ou pour jouer le rôle de policiers », préviens d’emblée Lionel. « Ce n’est pas nous qui allons organiser les repas communs ou organiser le babysitting ou l’école des devoirs. L’idée, c’est vraiment d’autonomiser le groupe dans la gestion de son collectif. C’est la raison pour laquelle il est important que les gens soient motivés. »

La seule responsabilité de Lionel et de son équipe ? Gérer les factures. « Nous avons un peu le rôle du concierge. Nous gérons l’aspect technique du bâtiment, dont les compteurs. De cette manières, les habitants n’auront pas à prendre de contrats. » Les charges sont en effet communes, adaptées à la taille de la famille, et comprennent l’eau, le gaz, l’électricité… Mais également Internet. « Nous mettons à disposition Internet, afin de faire baisser la facture de télécommunications. C’est moins cher d’avoir une très bonne connexion que douze connexions différentes. » L’assurance est également comprise dans les charges.

Comment devenir membre du projet et intégrer le logement ?

Le choix des habitants se fait sur base d’un casting : chaque candidat devra répondre à des critères précis, et passer une sorte d’entretien. Certains de ces critères sont très objectivables, comme celui d’être une famille monoparentale. Mais la définition reste large: il peut s’agir d’un parent solo qui a la garde exclusive de l’enfant, ou même d’une personne qui a la garde alternée. Pour certains, ce projet peut même être la solution pour accueillir leurs enfants.  « Les parents n’ont pas toujours un logement adapté aux plus petits, et le juge de paix peut alors refuser que ces parents obtiennent la garde, même alternée, de leurs enfants. Cet habitat partagé pourrait tout à fait convenir. »

Il y a également un critère financier. « Statistiquement, il y a plus de la moitié des familles monoparentales qui allouent la moitié de leurs revenus à leur logement. C’est une réalité : les logements sont devenus très chers et les revenus insuffisants. Or, la règle, c’est que le loyer doit représenter maximum un tiers des revenus. » Un critère qui peut donc rapidement mettre la corde au cou de la plupart des familles monoparentales « Avec ce projet, nous acceptons que le coût du logement, à savoir le loyer plus les charges, soit au maximum 50% des revenus. Une solution pour toute personne qui toucherait le revenu d’intégration du CPAS, par exemple. »

Combien coûte un loyer ?

Il faut savoir que dans l’habitat partagé de Namur, les logements vont de 785 euros par mois à 1300 euros par mois, toutes charges comprises. Dans ce cas-ci, cela signifie qu’avec un revenu de 1800 euros par mois, une personne serait éligible pour l’unité « enfant en bas âge », dont le loyer minimum s’élève à 785 euros, soit moins que le plafond autorisé de 900 euros. Cette unité s’apparente à un studio de deux pièces (chambre et salle de douche). Cela signifie également que pour bénéficier des plus grands logements disponibles sur place, capables d’accueillir jusqu’à 4 enfants, il faut avoir des revenus minimums de 2600 euros.

Enfin, il y a un critère de motivation, plus subjectif. « C’est important que la personne adhère au projet, qu’elle vienne pour ça et surtout qu’elle ait les capacités de le faire. » Les personnes qui ne maîtrisent pas le français ne conviennent donc pas au projet namurois, pour des raisons évidentes d’organisation. « Si le parent ne parle pas la langue du pays, cela peut compliquer les échanges, la communication. » De même, l’extrait de casier judiciaire pourrait être pris en compte lors des sélections. « Quelqu’un qui aurait des problèmes de comportements ou de drogues pourrait se voir refuser sa candidature. »

Et les papas solos dans tout cela ? Peuvent-ils postuler ? À Namur, les logements seront mixtes. « On a d’ailleurs déjà reçu des demandes de papas solos. Mais à Bruxelles, à la demande de certaines mamans, les logements seront uniquement destinés aux femmes et à leurs enfants. »

Au risque qu’il y ait finalement de la discrimination lors des sélections ? « L’habitat partagé pourrait être un chouette projet d’intégration ou de réintégration pour ces publics-là. Mais ce n’est pas l’objectif, pas pour ce premier projet. »

Un projet à 3 millions d’euros

Le projet Ernest a été financé en deux temps. “Une société privée, elle-même financée par des familles, a investi. Ces fonds propres représentent un tiers de l’investissement, acquisitions et travaux compris”. À savoir, de gros travaux, qui nécessitent des montants importants, de l’ordre de 3 millions d’euros par projet. « Et puis, il y a des financements bancaires. Les banques financent plus ou moins 2 tiers du projet. C’est un financement à long terme. »

Même si la rentabilité n’est pas l’objectif premier de ces habitats partagés, cela reste donc une nécessité pour maintenir le projet à flot. D’autant qu’il ne bénéficie d’aucune subvention et aide publique. « On ne cherche pas la rentabilité à court terme. Les premières années, quasi l’entièreté des loyers va partir à la banque. Pour rembourser les crédits et pour payer les frais (précompte immobilier, réparation…). C’est pour ça que l’on dit que c’est de l’investissement à impact. »

Intéressé par ce projet ?

Loin d’être un simple projet immobilier, Ernest propose une nouvelle manière de vivre en famille… et en société. Et pour les parents solos à la recherche d’un nouveau départ, il reste encore quelques places. « On a déjà eu des candidatures, mais beaucoup moins qu’à Bruxelles. Sans doute à cause de la pression immobilière, qui est plus forte dans la capitale. Il y a tout simplement moins de logements disponibles. » Les candidatures sont ouvertes !

Poursuivre votre lecture:

Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales. 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content