L’immense potentiel résidentiel des friches liégeoises
Coronmeuse, Bavière, Val Benoît, Gastronomia ou encore Cheratte. Les dossiers de reconversion d’anciens sites industriels s’accélèrent ces derniers mois. Une nouvelle manière d’habiter s’y dessine le plus souvent.
Il suffit de se balader à proximité de Coronmeuse (Liège) ou de Gastronomia (Seraing) pour s’en rendre compte : de plus en plus de stigmates du passé industriel de la région liégeoise s’effacent pour laisser place à de nouveaux quartiers de vie mixant les fonctions, que ce soit du logement, du commerce, du bureau et des équipements en tous genres.
“Le bassin liégeois ne manque pas de friches industrielles ni de projets de reconversion, relève Jacques Teller, professeur d’urbanisme à l’ULiège. C’est à la fois un inconvénient mais également un formidable avantage pour redynamiser et redessiner toute une région. Le principal problème est que cela prend énormément de temps et qu’il faut dégager des moyens considérables en termes d’assainissement.”
Des chantiers gigantesques se profilent dans les prochaines décennies aux quatre coins de la province de Liège, transformant considérablement le paysage. La plupart sont déjà identifiés et certains même déjà lancés. La réhabilitation de sites industriels désaffectés est en tout cas un business qui n’est pas près de s’arrêter.
“Les enjeux de ces reconversions sont multiples. Si le volet économique est souvent mis en avant, ces réhabilitations contribuent également à la revalorisation de l’image de la région liégeoise, à doper l’emploi ou encore à améliorer le volet environnemental et sociétal de la région, lance Jean-Christophe Peterkenne, directeur général du GRE-Liège. Même si beaucoup de sites ont déjà été identifiés, il serait intéressant de travailler sur une cartographie précise du foncier à redévelopper en terres liégeoises.”
Des chantiers gigantesques se profilent dans les prochaines décennies, transformant le paysage de la province.
L’importance du prix de vente
Si les reconversions se multiplient aux quatre coins de la Wallonie, Liège semble en tout cas avoir enfin enclenché la vitesse supérieure. De nombreux promoteurs bruxellois et flamands s’intéressent également depuis quelques années à des projets d’envergure.
“Il y a, il est vrai, une accélération des projets de reconversion un peu partout en Wallonie, explique Renaud Naiken, business manager chez Matexi. Un élément clé est la localisation de ces friches. Souvent, elles sont placées à proximité du centre-ville et à proximité de voies de communication. Ce qui est un vrai avantage. Par ailleurs, le prix de sortie qu’un promoteur pourra afficher est un autre élément clé. A prix élevé, les acteurs immobiliers se presseront pour redévelopper ces sites. On le voit par exemple en Brabant wallon. Dans d’autres provinces, c’est plus compliqué. On le voit notamment dans certains projets de la région liégeoise, où le marché immobilier est moins porteur. Mais nous croyons néanmoins très fort dans l’aménagement de nouveaux lieux de vie à ces endroits.”
D’autant que ces projets ont souvent un impact sur leur environnement. Un constat qu’a pu tirer l’intercommunale Eriges suite à la transformation d’une partie du paysage industriel serésien. “Il est évident que tous ces chantiers ont un effet d’entraînement positif sur leur environnement, explique Valérie Depaye, directrice d’Eriges. Cela pousse des propriétaires privés à améliorer leur logement. Nous avons en tout cas mesuré cet effet à Seraing, avec davantage de logements mis en location. Les investissements publics poussent les privés à investir. Cela crée une dynamique territoriale qui est intéressante car tout le monde en profite.”
La transformation de Rives Ardentes s’accélère
Quand on jette un œil aux projets de reconversion dans la région liégeoise, on constate en tout cas qu’ils sont nombreux. A Liège, BPI et Thomas & Piron terminent la construction du projet Bavière qui doit contribuer à la revitalisation du quartier. La plus grande friche du centre-ville est en pleine mutation. Près de 149 appartements seront construits sur cet îlot.
Dans le quartier des Guillemins, un nouveau projet immobilier va voir le jour sur l’ancien site Balteau, longtemps resté un terrain vague. Le groupe Moury et Belfius Immo vont y construire deux immeubles à appartements.
Du côté de Coronmeuse, la construction de la première phase de l’écoquartier Rives Ardentes (Willemen, Jan De Nul, CIT Blaton) se termine, avec l’arrivée des premiers habitants. Près de 200 logements sont prévus dans cette première étape (dont 150 déjà vendus), de même que l’aménagement de la marina. 1.320 logements sortiront de terre au total (25 ha). “Nous venons d’obtenir un permis pour une tour de 80 logements, lance Laurent Malard, de CIT Blaton. Les demandes de permis se font au fil du temps. Nous sommes très satisfaits de voir la transformation de ce chancre avancer rapidement.”
Sur les hauteurs de Liège, la reconversion du site du MontLégia, en bordure d’autoroute, est en voie de finition. Après l’hôpital et un centre d’activités économiques, place désormais au volet résidentiel avec la construction d’un hôtel et d’un immeuble à appartements de 50 unités (Pierre & Nature et Gehlen), avec une livraison espérée en 2026.
Des chancres qui reprennent vie
A Seraing, la reconversion des anciennes halles Cockerill, lancée en septembre 2022, en un lieu dédié à la gastronomie (constituée d’espaces commerciaux, d’un foodmarket, d’une dalle destinée à accueillir des foodtrucks et des bureaux) et au divertissement touche à sa fin. Cinquante-quatre appartements sont prévus dans la première phase (Thomas & Piron, Gehlen Immo et Dyls), ils devraient être livrés début 2025. La construction de 39 autres logements sera lancée dans la foulée. Ils ont déjà été vendus à la société de logement public La Maison Sérésienne. Un site qui bénéficiera de l’arrivée de l’extension du tram liégeois à l’horizon 2028.
Du côté d’Ougrée, la revalorisation et la rénovation d’anciennes halles industrielles, les Ateliers Centraux, se terminera cette année. Le parc voisin, actuellement en friche, accueillera 300 logements étudiants à la rentrée 2026 (Xior et Cordeel). Les travaux débuteront en septembre. Des reconversions pilotées par Eriges.
A Jupille, la reconversion de l’ancienne brasserie Piedbœuf va enfin pouvoir débuter. Promactif a reçu mi-mars son permis pour transformer cette friche industrielle en un complexe immobilier qui comprendra 93 logements, des bureaux et des surfaces commerciales. La livraison est prévue en 2026.
“Un soulagement après le recours déposé par un riverain suite à notre premier permis reçu en 2022, explique Christophe Nihon, administrateur-délégué de Promactif. Lift-o-Loft est un projet audacieux qui vise à donner une nouvelle impulsion à tout un quartier. Nous maintenons les gabarits existants mais proposons un sérieux lifting du site. On peut se réjouir du soutien des autorités dans ce dossier.”
A Grivegnée, le groupe HJO Real Estate souhaite reconvertir les halls de production du groupe Altra (Gamma Plan) en un ensemble résidentiel. Situé rue Servais Malaise, le long du RAVel l’entreprise n’a toutefois pas encore quitté son site de 2,9 ha. L’objectif est d’y construire 166 logements, un parking souterrain pour 160 véhicules et 273 vélos. La demande de permis est en cours.
Du côté de Cheratte, la reconversion de l’ancien Charbonnage du Hasard, classé au patrimoine wallon, prend toujours plus de retard. Fermé depuis près de 50 ans, le site fait l’objet de deux demandes de permis déposées par Matexi pour transformer l’ensemble en bureau, logement (124 unités), horeca et commerce. Les travaux pourraient débuter en 2025 pour une livraison en 2030.
Alors qu’à Waremme, le Quartier des Hirondelles (Matexi) propose la transformation d’une ancienne râperie devenue une friche au fil du temps. 234 logements (164 maisons et 70 appartements) seront construits dans les prochaines années.
Autant de dossiers qui vont donc transformer le paysage liégeois. “Avec la décision du gouvernement wallon d’acquérir le site d’ArcelorMittal, on lance en quelque sorte la seconde phase de réhabilitation majeure des friches héritées du riche passé industriel de Liège, lance Pierre Castelain, ancien directeur de la communication de la SPI, l’agence de développement économique liégeoise. Nous avons déjà piloté une première phase d’importantes reconversions avec le Val Benoît, le Charbonnage du Hasard de Cheratte ou encore le site des Acec à Herstal (agriculture urbaine, activités économiques, logements). Notre rôle est d’être un moteur de ces reconversions. Un travail difficile mais si nous ne nous attaquons pas à ces territoires-là, personne n’en fera jamais rien et ils resteront des cicatrices dans le paysage liégeois.”
Jacques Teller, professeur d’urbanisme à l’ULiège, directeur du Lepur: “Le tram joue un rôle moteur”
La réhabilitation des friches semble s’accélérer. Une évidence ?
En effet, les promoteurs n’ont plus beaucoup de choix. Il s’agit d’un foncier attractif même s’il demande un travail plus important avant de lancer les premières constructions. Ces friches ont surtout l’avantage de n’avoir qu’un seul propriétaire et d’être le plus souvent des parcelles d’une certaine taille. Cela facilite les discussions. La plupart des reconversions qui sortent aujourd’hui de terre sont très bien situées. On observe également que les friches situées le long du tracé du tram ont toutes été identifiées par les promoteurs et connaîtront donc un redéveloppement à l’avenir. Le tram joue donc réellement son rôle moteur en matière de reconversion. Il faut s’en réjouir.
Quel impact cela peut-il avoir sur le marché immobilier ?
C’est compliqué à analyser. Nous n’avons pas encore étudié l’impact qu’une promotion peut avoir sur son voisinage. A priori, je ne suis pas certain qu’il y ait un impact conséquent en termes de prix. On assiste plutôt à un renforcement des polarités avec l’émergence de deux marchés : avec d’un côté un marché neuf qui voit ses prix s’envoler et de l’autre un marché existant qui a tendance à connaître des dépréciations de valeur pour les biens particulièrement énergivores. Je ne pense donc pas que nous assistons à un effet de contamination des prix de l’un qui rejaillirait sur les prix de l’autre. Du moins pas encore.
Reste-t-il-encore un potentiel important de friches à reconvertir ?
Oui, bien évidemment ! Suffisamment en tout cas pour accueillir les 15.000 habitants supplémentaires attendus par le « Projet de territoire » de la Ville de Liège d’ici 2040.
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