L’habitation du futur doit être résistante au changement climatique

TOUR EDEN, FRANCFORT Le promoteur immobilier belge Immobel va ériger une tour de 98 mètres de hauteur dans le quartier européen de Francfort. Elle sera recouverte sur plus de 20% de sa surface par 185.000 plantes. © IMMOBEL

Le secteur immobilier a des bouffées de chaleur. Les risques climatiques accrus font grimper les primes d’assurance et dévalorisent les portefeuilles immobiliers. Les nouvelles constructions devront être waterproof et résistantes au stress thermique.

Les investisseurs immobiliers européens s’inquiètent des changements climatiques, leur principale préoccupation après l’instabilité politique internationale, d’après un sondage d’Urban Land Institute et PwC effectué dans le cadre de leur rapport annuel Emerging Trends in Real Estate. Pour près de la moitié des décideurs immobiliers interrogés, l’impact des risques de changement climatique sur leur portefeuille immobilier a augmenté en 2019 et devrait encore s’amplifier au cours des cinq prochaines années, selon 73% d’entre eux.

N’allez pas croire pour autant que le secteur immobilier découvre aujourd’hui la thématique climatique, bien sûr que non, mais le sentiment d’urgence s’intensifie depuis quelque temps. Le secteur immobilier prendrait-il conscience que l’échéance de 2030 approche à grand pas ? Les pays de l’Union européenne se sont engagés pour 2030 à réduire les émissions de CO2 de 40% sous le niveau de 1990. Pour y arriver, l’Europe compte essentiellement sur les efforts du secteur immobilier car le bâtiment est, dit-on, responsable de 40% de l’ensemble des émissions de CO2.

Plus que 10 ans avant 2030. Une échéance d’autant plus interpellante que les investisseurs immobiliers gèrent leurs placements généralement à 10 ans. L’investisseur qui achète aujourd’hui un immeuble compte non seulement sur des revenus locatifs stables pendant 10 ans mais songe déjà à la plus-value réalisable à la revente. Le prix de vente dépendra notamment de la performance énergétique du bâtiment.

Les promoteurs immobiliers qui construisent aujourd’hui devraient également en tenir compte, lance Adel Yahia, chief development officer chez Immobel.  » Jusqu’à récemment, les investisseurs rechignaient à payer un surcoût pour la durabilité, dit-il. Les choses ont aujourd’hui bien changé. Les investisseurs attachent désormais beaucoup plus d’importance au total cost of occupation. Un bâtiment durable présente en outre un avantage compétitif à la location.  »

Pour Adel Yahia, l’intérêt croissant pour la thématique climatique de la part du secteur immobilier et l’institutionnalisation du marché d’investissement immobilier vont de pair.  » Autrefois, les investisseurs institutionnels privilégiaient l’immobilier de bureaux et de commerces. Du fait des taux qui restent obstinément faibles, ils commencent à s’intéresser à d’autres segments, dont l’immobilier résidentiel. Sous l’influence de leurs actionnaires et de leurs clients, les investisseurs institutionnels sont sensibles aux thèmes sociétaux comme les changements climatiques « , selon le rapport d’ULI et PwC.  » Le nombre de questions des actionnaires sur l’impact environnemental de nos immeubles a quintuplé « , confie un investisseur anglais.

La pose systématique de toitures vertes en ville est une mesure indispensable tant en termes de collecte des eaux pluviales que de gestion du stress thermique.

La thématique climatique titille également les promoteurs immobiliers en contact avec les investisseurs et/ou les acheteurs particuliers. Dans une enquête du promoteur et gestionnaire de logements d’étudiants Upgrade Estate réalisée auprès des young professionals (de 20 à 40 ans), 76% déclarent que la durabilité accroît l’attractivité d’un bâtiment. Le critère de durabilité est celui qui remporte le plus de suffrages.

Adaptation climatique

Réglementations, investisseurs institutionnels et opinion publique obligent le secteur immobilier à prendre les problèmes climatiques au sérieux. Mais le principal incitant à agir vient peut-être des changements climatiques proprement dits. Feux de forêt en Australie et en Californie, inondations à Venise, typhon Hagibis au Japon, etc. Ce sont là quelques exemples de récentes catastrophes dues au changement climatique. Outre les souffrances humaines provoquées, les dégâts matériels – le plus souvent immobiliers – sont considérables.  » Les risques physiques accrus sont tels que les primes d’assurance immobilière explosent, explique Adel Yahia. Ils entraînent également la dévalorisation de certains projets. Les mesures visant à rendre les bâtiments plus résistants aux conditions atmosphériques extrêmes augmentent le coût de la construction.  »

PALAZZO VERDE, ANVERS.Le projet résidentiel imaginé par l'architecte italien Stefano Boeri combine architecture et nature.
PALAZZO VERDE, ANVERS.Le projet résidentiel imaginé par l’architecte italien Stefano Boeri combine architecture et nature.© TRIPLE LIVING

Adel Yahia fait allusion aux mesures d’adaptation climatique censées atténuer notre vulnérabilité aux changements climatiques. Des mesures malheureusement quelque peu éclipsées par les mesures de mitigation climatique.  » C’est compréhensible dans une certaine mesure, estime Patrick Willems qui enseigne l’hydrologie urbaine et de rivière à la KU Leuven. Les mesures de mitigation visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre afin d’atténuer le réchauffement mondial d’origine humaine. En matière de gestion des risques comme ailleurs, mieux vaut prévenir que guérir. Autrement dit, tout doit être mis en oeuvre pour atténuer les effets. La mitigation devrait permettre de diminuer l’impact environ de moitié au cours des prochaines décennies. Mais les mesures d’adaptation sont tout aussi indispensables. »

Dans nos régions, des mesures d’adaptation devront être prises pour résoudre les problèmes de sécheresse, de stress thermique et d’inondations. A en croire Patrick Willems, la nécessité d’intégrer changement climatique et politique d’aménagement du territoire s’impose de plus en plus. Les grandes métropoles prévoient déjà des mesures d’adaptation climatique dans leur planning urbain et dans l’exécution des travaux d’infrastructure.  » Mais il reste beaucoup à faire au niveau des bâtiments existants et des projets immobiliers « , reconnaît Patrick Willems. La pose systématique de toitures vertes en ville est, selon lui, une mesure indispensable tant en termes de collecte des eaux pluviales que de gestion du stress thermique.

D’après Hendrik-Jan Steeman, chef d’équipe « construire durable » du bureau de conseil et de conception Arcadis, les acteurs immobiliers doivent intégrer dès à présent les mesures d’adaptation climatique dans leur stratégie.  » La réflexion doit se faire à long terme puisque l’immobilier a une durée de vie de 30 à 50 ans. Sur cette période, les conséquences du changement climatique deviendront plus palpables et auront des répercussions sur la valeur des immeubles. Les étés caniculaires de ces dernières années nous ont déjà donné un avant-goût. Dans un proche avenir, le refroidissement durable d’un immeuble sera aussi pertinent que le chauffage aujourd’hui. Si les épisodes caniculaires se multiplient, une chambre à coucher bien fraîche sera une réelle plus-value. Le jour où les acheteurs d’appartement en feront la demande explicite, les promoteurs immobiliers ne tarderont pas à réagir.  »

Adel Yahia, (Immobel):
Adel Yahia, (Immobel): « Jusqu’à il y a peu, les investisseurs rechignaient à payer un surcoût pour la durabilité. »© PG

Pression accrue sur les villes et sur les prix

Patrick Willems pointe une autre tendance : l’artificialisation du sol suite à l’urbanisation des régions périphériques. En 1976, le sol artificiel ne représentait que 5% en Flandre et à Bruxelles. En 2018, ce pourcentage est passé à 14,5%. L’artificialisation croissante rend nos contrées plus vulnérables au changement climatique. L’écoulement des eaux pluviales se fait plus difficilement en cas de grosses précipitations, ce qui entrave la percolation de l’eau dans le sol et finit par avoir un impact sur l’alimentation des nappes phréatiques, les quantités d’eau douce disponible et accroît le stress thermique.

La politique d’aménagement du territoire, comme le stop au béton ou le bouwshift qui met un frein à l’urbanisation rampante, est un autre outil d’adaptation climatique efficace, souligne Patrick Willems. Une politique qui implique la densification des villes et des villages.  » La pression sur les centres-villes ira en grandissant, précise Patrick Willems. Il faut donc veiller à préserver la qualité de vie en ville. Les espaces ouverts, où il y a de l’eau et de la verdure, jouent un rôle de premier rang. Ils doivent absolument être préservés, voire agrandis car ces zones permettent de réguler ou de prévenir le stress thermique.  » Veronique Adriaenssens, consultante en villes durables chez Arcadis, corrobore :  » Densifier en construisant plus en hauteur et en proposant des unités plus petites, d’accord mais il faut aussi créer de nouveaux espaces ouverts « .

Patrick Willems y voit aussi des opportunités en termes de niveau de construction.  » Il convient de prévoir des étages intermédiaires pour y aménager des terrasses vertes où résidents et utilisateurs peuvent se reposer à l’ombre d’un arbre « , dit-il. L’architecture futuriste de Vincent Callebaut en est un bel exemple. Cet architecte belge actif à Paris présente régulièrement aux responsables de l’aménagement urbain et aux promoteurs immobiliers des projets ambitieux de fermes verticales, d’immeubles avec jardins suspendus et de tours maraîchères. Autre exemple : le Bosco Verticale à Milan, deux tours d’habitation vertes imaginées par l’architecte italien Stefano Boeri. Dans le quartier du Nieuw Zuid à Anvers, Stefano Boeri a conçu le Palazzo Verde, un projet résidentiel qui combine architecture et nature. Outre les façades vertes, le Palazzo abritera trois jardins collectifs sur le toit et de nombreuses terrasses verdoyantes avec 86 arbres, 1.000 arbustes et 1.200 plantes.

Autre préoccupation majeure des villes : la lutte contre le stress thermique ne peut pas accroître le stress lié aux prix. La pression croissante sur les rares espaces urbains menace de pousser le prix des terrains à la hausse. Si les mesures d’adaptation au changement climatique ont pour effet de gonfler les coûts de construction, seul un public nanti aura encore les moyens de vivre en ville.

Pour Hendrik-Jan Steeman, la construction d’immeubles adaptés au changement climatique ne rime pas nécessairement avec augmentation des prix.  » D’un point de vue sociétal, ces investissements s’avèrent indispensables. L’alternative (ne rien faire) s’avérera nettement plus onéreuse. Qu’en est-il pour les investisseurs et les acheteurs individuels ? Certaines mesures ne coûtent quasi rien. Une conception paysagère intelligente ne doit pas nécessairement coûter cher. C’est souvent une question de choix de concept. « 

Trop mouillé, trop sec, trop chaud

Inondations, stress thermique et sécheresse, autant de phénomènes que l’on tend à atténuer dans nos contrées grâce à des mesures d’adaptation.  » Sans ces mesures, les inondations (comme celles dues au débordement des collecteurs) risquent d’être cinq, voire 10 fois plus nombreuses d’ici à 2100 « , prédit le professeur de la KU Leuven Patrick Willems. Le stress thermique sera le plus marqué en zone urbaine. La température dans les centres-villes est déjà en moyenne de quatre degrés supérieure aux régions périphériques. En période de canicule, la différence peut même grimper à 8 ou 9 degrés.  » Les cinq jours de canicule par an enregistrés actuellement dans les villes pourraient vite devenir une vingtaine de jours « , affirme Patrick Willlems. L’intensification de la sécheresse provoquera notamment la diminution des réserves d’eau disponibles dans nos rivières. Selon les prévisions, l’eau des rivières devrait diminuer de 30 à 70%.  » A cause d’un double phénomène, explique le professeur d’université. En été, les pluies seront moins abondantes et du fait des fortes températures, l’évaporation sera plus importante.  »

Les trois Régions du pays sont-elles aussi exposées aux conséquences du changement climatique ?  » La problématique est pour ainsi dire la même en Flandre et à Bruxelles, répond Patrick Willems. La Wallonie connaîtra les mêmes problèmes mais les effets seront moins marqués du fait de la moindre densité de population dans le sud du pays. La Flandre et Bruxelles sont extrêmement sensibles à la sécheresse, malgré la pluviométrie relativement élevée (800 à 900 mm par an). Mais du fait de la forte densité de population, les réserves d’eau douce disponible sont limitées à 1.480 m3 par personne par an. Dans un classement de l’OCDE, seules trois régions font encore moins bien. En Espagne et au Portugal où le climat est nettement plus sec.  »

Pas de danger imminent à la côte

Les régions côtières sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Les prévisions d’élévation du niveau des océans font craindre le pire, notamment à la côte belge, la plus bâtie d’Europe.  » Le niveau a déjà augmenté de 20 centimètres ces 100 dernières années, clame Patrick Willems, professeur à la KU Leuven. Selon les prévisions, il continuera à monter de plus en plus vite. Le pire des scénarios anticipe une élévation d’un mètre au siècle prochain et de trois mètres au cours des deux prochains siècles.  »

Il n’y a pas lieu de paniquer, assure le professeur. L’élévation est lente et les autorités flamandes prennent toutes les dispositions nécessaires pour protéger le littoral. Les risques ont été évalués en 2011 dans le Masterplan sécurité côtière. Des actions concrètes comme la surélévation des plages, la consolidation des dunes et le renforcement des digues sont en cours ou à l’étude. Le gouvernement flamand a développé une vision à plus long terme (2100) dans son Projet complexe de vision côtière.  » Le but est de voir quelles mesures supplémentaires doivent être envisagées, explique Patrick Willems, membre du groupe de conseil scientifique du projet. La gestion côtière devra peut-être être complètement modifiée à long terme. Une des solutions à l’étude est ce qu’on appelle les ‘baies flamandes’, à savoir des îlots artificiels au large des côtes qui ont pour but de briser les vagues. Une autre piste consiste à aménager une zone non bâtie le long du littoral, une sorte de plan Stop au béton qui impliquerait aussi la démolition des constructions existantes. Une mesure drastique difficilement réalisable.  »

Un avis que partage Peter Taffeiren, CEO du promoteur immobilier POC Partners, actif à la côte.  » Ce serait impayable, ajoute-t-il.  » Savez-vous ce que cela représenterait comme destruction de capital ?  » A en croire Peter Taffeiren, l’élévation du niveau des océans n’empêche pas les acheteurs d’appartement de dormir.  » La question vient parfois sur le tapis dans les entretiens précédant la vente, dit-il. Les acheteurs disent alors en plaisantant : ‘nous prendrons un appartement au troisième étage plutôt qu’au deuxième, pour ne pas avoir les pieds dans l’eau en cas d’inondation’. La plupart comptent sur les autorités pour prendre des mesures préventives.  »

Il faut savoir qu’à la côte, acheteurs et résidents sont particulièrement chatouilleux pour tout ce qui touche à la vue sur mer. Ainsi, par exemple, le projet de construction d’un îlot test au large de Knokke en 2018 a été annulé suite aux protestations des associations de riverains et du bourgmestre Lippens. Pour Peter Taffeiren, la protection côtière doit être  » conçue de la façon la plus globale et la plus multidimensionnelle possible « .  » Il faut développer une vision pour l’ensemble du territoire, du fameux Atlantic Wall d’appartements jusqu’à la mer, sans oublier la digue et la plage, insiste-t-il. Il faudra peut-être démolir l’Atlantic Wall par endroits pour y créer de nouvelles zones dunaires par exemple. La perte de bâti pourrait être compensée par des constructions plus hautes à d’autres endroits.

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