La décrue des taux hypothécaires s’est stoppée net en mars dernier, ce qui nous ramène près de deux ans en arrière, en pleine crise inflationniste. En cause, les taux longs qui traduisent une incertitude. Pour autant, faut-il s’attendre à des jours meilleurs et patienter ? En marge de notre Guide immobilier, ce supplément de 100 pages joint à votre magazine, trois experts dressent l’état du marché.
Que vous soyez primo-acquéreur ou investisseur immobilier, vous avez sans doute constaté que les taux hypothécaires s’entêtent. Un petit tour sur le baromètre des taux d’Immotheker Finotheker permet de s’en rendre compte. Le taux d’intérêt moyen qu’offrent les banques pour un emprunt hypothécaire de 250.000 euros à taux fixe de 25 ans avec une quotité de 80% est de 3,65%.
Il y a un an, lorsque les taux hypothécaires entamaient leur baisse, il vous en aurait coûté 16.717 euros de moins, soit 56 euros par mois. Et il vaut mieux ne pas comparer avec ce couple d’amis qui a eu la bonne idée d’acheter en 2020. Il y a cinq ans, un tel emprunt vous aurait coûté 79.725 euros de moins, soit 266 euros de moins en mensualités.
1. Pourquoi les taux s’enrayent-ils ?
Mais la parenthèse covid s’est refermée depuis longtemps. Avec la crise inflationniste, la Banque centrale européenne a été contrainte de relever ses taux directeurs, ce qui a logiquement fait bondir les taux hypothécaires. Tout aussi logiquement, après l’essoufflement de l’inflation, la BCE a assoupli sa politique monétaire, ce qui a poussé les taux hypothécaires vers le bas. Mais à partir de mars dernier, cette logique s’est enrayée. Ce qui frustre bon nombre d’acheteurs : pourquoi les taux hypothécaires repartent-ils à la hausse ?
Cette situation s’explique par un découplage croissant entre les taux courts – influencés directement par les banques centrales – et les taux longs, qui dictent le coût des emprunts hypothécaires à long terme. “La BCE ne contrôle que les taux à très court terme, comme ceux à un jour ou à une semaine sur le marché interbancaire. Elle n’a pas de prise directe sur les taux à 10 ou 20 ans, qui dépendent avant tout des anticipations de marché et des primes de risque”, explique Bruno De Backer, économiste à la Banque nationale de Belgique.
Ces primes de risque se sont envolées depuis le printemps, en raison d’un climat économique et politique mondial incertain. Parmi les facteurs mis en avant par les experts : la guerre en Ukraine, les tensions commerciales avec les États-Unis, les incertitudes liées à la politique budgétaire de certains États membres – en particulier la France – et la dégradation de la note de crédit de la Belgique par l’agence Fitch.
Fin du quantitative easing
“On assiste à une hausse de la prime de risque belge. Le taux à 10 ans de l’OLO belge a augmenté, et comme c’est une référence pour les taux hypothécaires, ces derniers suivent, confirme Philippe Ledent, senior economist chez ING. Les marchés anticipent déjà d’éventuelles nouvelles dégradations par les agences de notation. Cela rend les obligations belges plus chères à émettre, et cela se répercute sur les taux hypothécaires.”
Autre facteur aggravant : la fin du quantitative easing. Depuis plusieurs mois, la BCE ne renouvelle plus ses achats d’actifs. “Cela prive le marché obligataire d’un soutien artificiel qui permettait de maintenir les taux longs à un niveau bas. Aujourd’hui, les États doivent emprunter plus cher, et cela rejaillit sur les ménages”, résume Bruno De Backer.
À cela s’ajoutent des anticipations d’inflation persistante, alimentées entre autres par les droits de douane, même si elle semble se stabiliser autour de 2%. Les investisseurs restent prudents et exigent des rendements plus élevés sur le long terme. Résultat : les taux hypothécaires ne redescendent pas, malgré une politique monétaire plus souple. Au contraire, ils ont plutôt tendance à augmenter.

2. Quelle est la situation du marché immobilier ?
Lors d’un achat immobilier, il n’y a pas que les taux qui comptent. Il faut forcément s’attarder sur les prix. Or, en Belgique, contrairement à certaines idées reçues, les prix ne se sont pas effondrés sous l’effet des coups de boutoir de la BCE. Après un léger ralentissement en 2023 et 2024, ils sont repartis à la hausse depuis le début de l’année. Selon la plateforme immobilière Realo, qui opte pour une modélisation hédonique (comparant le prix de biens similaires en tous points), les prix des maisons se sont accentués de 2,82% et de 2,95% pour les appartements, lors du troisième trimestre en Belgique, par rapport à l’année dernière. La hausse est plus importante au sud du pays, où l’augmentation est respectivement de 2,99% et de 4,25%. Il faut dire que la demande a été alimentée par la baisse des droits d’enregistrement au 1er janvier 2025.
Cette hausse masque toutefois d’importantes disparités. “Ce sont surtout les biens déjà rénovés, bien situés et aux performances énergétiques élevées qui tirent les prix vers le haut, explique Renaud Grégoire, notaire et porte-parole de Notaires.be. Ces biens, souvent situés dans les zones les plus attractives, se vendent rapidement, parfois même avec plusieurs offres concurrentes.”
À l’inverse, le marché est beaucoup moins brillant pour les biens énergivores ou nécessitant de lourds travaux. “Aujourd’hui, une rénovation complète coûte facilement 200.000 à 250.000 euros. C’est énorme quand le bien acheté coûte le même prix”, souligne le notaire. Et contrairement à ce qui se faisait autrefois, il n’est plus possible d’étaler les travaux sur 10 ans : les exigences énergétiques imposent des rénovations rapides, souvent dès l’acquisition. En outre, les primes à la rénovation sont en grande difficulté en Wallonie et à Bruxelles.
“Aujourd’hui, une rénovation complète coûte facilement 200.000 à 250.000 euros. C’est énorme quand le bien acheté coûte le même prix.” – Renaud Grégoire (notaire)
Des biens “prêts à habiter”
Ce phénomène crée un double marché : dynamique et cher pour les biens “prêts à habiter”, plus lent et hésitant pour les autres. Ce qui fausse la lecture globale des chiffres établis par les notaires : “La moyenne des prix augmente, mais en réalité, ce sont les volumes de vente de biens chers qui montent, pas les prix de tous les biens”, précise Renaud Grégoire.
Par ailleurs, le ralentissement de la construction neuve, notamment en raison de la hausse des coûts des matériaux et des incertitudes réglementaires, limite l’offre. Et si l’offre est plus rare, la demande reste relativement soutenue, notamment grâce à l’indexation des salaires qui soutient le pouvoir d’achat immobilier des ménages. En résumé, le marché reste tendu pour les biens neufs ou rénovés, tandis que les logements à rénover souffrent de coûts de transformation importants.
3. Faut-il attendre des opportunités ?
Face à ces conditions, la tentation d’attendre “des jours meilleurs” peut être grande. D’autant plus que les taux à 3,65% semblent élevés lorsqu’on les compare aux taux à 1% de la période covid. Mais pour les experts, cette comparaison est trompeuse.
“Les taux autour de 1% étaient une anomalie historique, nourrie par un soutien massif des banques centrales et une inflation inexistante, rappelle Philippe Ledent. Aujourd’hui, les taux hypothécaires sont revenus à une moyenne historique. Ils ne sont pas stratosphériques.” En outre, il faut relativiser le niveau actuel des taux en tenant compte de l’inflation, ajoute l’économiste : “Ce qui compte, ce n’est pas seulement le taux nominal, mais le taux réel, une fois l’inflation prise en compte. À 3,5% de taux fixe sur 20 ou 25 ans, avec une inflation autour de 2%, le taux réel reste raisonnable.” En d’autres termes, même si la mensualité semble plus élevée qu’avant, l’effort financier réel est moins pénalisant sur le long terme que ne le laisse penser le taux affiché.
“Les taux hypothécaires sont revenus à une moyenne historique. Ils ne sont pas stratosphériques.” – Philippe Ledent (économiste)
Taux directeurs autour de 2%
Et surtout : il ne faut pas espérer de baisse sensible à court terme. “La probabilité que les taux baissent fortement dans les mois qui viennent est très faible, prévient l’économiste. Et s’ils baissent, ce serait probablement en raison d’une récession, ce qui poserait d’autres problèmes.”
Renaud Grégoire complète : “Si les taux diminuent, les prix de l’immobilier remonteront immédiatement. On l’a vu en 2021 et 2022. Cela signifie que le gain sur le taux pourrait être annulé par une hausse du prix du bien.”

S’ajoute à cela une conjoncture qui favorise une approche plus sereine de l’achat.
“Aujourd’hui, les acheteurs ont plus de temps. Ils peuvent visiter plusieurs biens, faire des offres réfléchies. C’est très différent de la frénésie post-covid, où les biens partaient en quelques heures”, observe le notaire.
Un autre élément à intégrer dans la réflexion est la fin du cycle de baisse des taux de la BCE. Comme l’explique Bruno De Backer, “la BCE est désormais en phase de stabilisation : après plusieurs baisses successives, les taux directeurs se maintiennent autour de 2%, et il n’y a pas de signal clair d’une poursuite de leur réduction à court terme”. Cela signifie que le levier monétaire de la BCE ne jouera plus en faveur d’un assouplissement des conditions de crédit. Les taux hypothécaires, eux, resteront tributaires des taux longs, toujours soumis aux tensions évoquées plus haut.
4. Et pour les investisseurs ?
Pour les investisseurs, la donne est un peu différente. “Durant la période de taux zéro, l’investisseur immobilier était doublement gagnant : il n’avait pas d’alternative rentable sur les marchés financiers et pouvait financer son achat à crédit à très faible coût”, observe Philippe Ledent. En dehors des actions, une logique TINA s’exercerait sur le marché immobilier : There Is No Alternative. Les investisseurs en immobilier ont fait de très belles affaires.
Aujourd’hui, la donne a changé. “L’immobilier reste une valeur refuge, mais il existe à nouveau des alternatives intéressantes sur les marchés financiers. Certaines obligations d’entreprise offrent des rendements comparables au rendement locatif, sans les contraintes liées à la gestion immobilière”, souligne par exemple l’économiste.
Conclusion ? Mieux vaut acheter en fonction de son projet de vie que de spéculer sur une hypothétique baisse des taux ou des prix. Car en immobilier, le bon moment est rarement celui qu’on attend.
CETTE SEMAINE AVEC VOTRE MAGAZINE Non, jouer les Tanguy n’est pas une fatalité ! L’édition automnale de notre Guide Immobilier met l’accent sur les choix et les alternatives qui s’offrent aux primo-acquéreurs. Car oui, il peut parfois être nécessaire d’explorer d’autres types de logements, de revoir ses ambitions ou de cibler des localisations plus abordables.
Petit tour d’horizon au travers de notre supplément immo, avec en sus les derniers prix des maisons et appartements de tout le pays, commune par commune.
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