“Les promoteurs immobiliers font partie de la solution”: le secteur souhaite se défaire de son image négative

Escrocs, profiteurs, bétonneurs… Le secteur immobilier est confronté à une image négative. Avec un nouveau collectif éthique, certains promoteurs veulent inverser la tendance. Une mission qui n’est pas impossible, à condition de prouver de manière crédible leur pertinence sociale.

Depuis la hausse des taux d’intérêt à la mi-2022, le secteur immobilier belge subit des coups durs. Les promoteurs peinent à vendre leurs appartements neufs. En réaction, ils reportent leurs projets, ce qui provoque de l’inquiétude chez les bureaux d’architectes et les entrepreneurs.

Le marché de l’investissement immobilier ne se porte pas mieux. Un fossé subsiste entre les attentes de prix des vendeurs et celles des acheteurs potentiels, ce qui bloque les transactions. Par ailleurs, les actions immobilières belges sont encore bien en dessous des sommets atteints il y a quelques années.

Sur le terrain, le secteur fait face à une forte opposition. Les projets de construction rencontrent souvent des protestations des riverains, ce qui complique l’obtention des permis et fait grimper les délais et les coûts. Une partie de l’opinion publique s’est aussi retournée contre le monde de l’immobilier. Une manifestation lors du salon immobilier Realty lors d’un débat sur le logement abordable a illustré ce mécontentement.

Dans les médias

Comme si cela ne suffisait pas, le secteur est également sévèrement critiqué dans les médias. Un reportage de Pano de la VRT a révélé les liens étroits entre des acteurs de l’immobilier et des politiciens locaux à Knokke-Heist. Le livre « De vrienden van het vastgoed » (Les amis de l’immobilier), des journalistes d’investigation Tom Cochez et David Leloup raconte une histoire similaire, cette fois avec des politiciens et acteurs immobiliers anversois en vedette. Avant les élections locales, De Standaard a publié une enquête sur les conflits d’intérêts dans les dossiers immobiliers communaux, intitulée : “Les fonctionnaires de l’urbanisme témoignent : ‘Avec les enveloppes des promoteurs, nous partions en teambuilding.’”

Un collectif éthique pour le secteur immobilier

Les promoteurs immobiliers, en particulier, sont pris pour cible dans les médias. Certains d’entre eux, lassés de toute cette négativité, ont décidé de créer un collectif éthique pour redorer leur blason.

« Notre secteur souffre d’un problème de perception », explique Laurent Calonne, CEO de Banimmo et co-initiateur du collectif. « Nous sommes convaincus que la majorité des promoteurs fait du bon travail. Nous voulons mettre davantage en lumière cet aspect positif. Ce collectif sera une plateforme pour promouvoir un développement immobilier éthique et durable. L’objectif n’est pas de répondre à chaque article négatif dans la presse, mais de donner l’exemple. Leading by example, comme on dit. »

Ces dix à quinze dernières années, le secteur s’est fortement professionnalisé. La complexité accrue du métier a fait fuir les cowboys de notre profession.

Pouvoir…

Olivier Carrette, CEO de UPSI- BVS (Union Professionnelle du Secteur Immobilier), confirme le problème d’image. « Nous traînons un passé où il y a eu des abus », dit-il. « Mais ces dix à quinze dernières années, le secteur s’est fortement professionnalisé. La complexité croissante du métier a chassé les cowboys de notre profession. Aujourd’hui, tout ne se passe peut-être pas parfaitement, mais disons que 99 % des projets sont réalisés correctement. Malheureusement, c’est sur le 1 % restant que nous sommes jugés. »

Le coach en réputation Jeroen Wils estime également que les promoteurs immobiliers suscitent une grande méfiance : « Il y a une crise de confiance généralisée envers le pouvoir et l’autorité. Beaucoup de gens associent les promoteurs au pouvoir. Sinon, comment pourraient-ils construire ces projets gigantesques malgré l’opposition des quartiers ? Cette idée est très présente. Pour moi cette idée est fausse, mais on ne peut nier qu’elle auprès d’une partie de l’opinion publique. »

Jeroen Wils, qui connaît bien le monde immobilier, a cofondé Bereal, une agence de relations publiques spécialisée dans ce secteur. Pour lui, bien que le secteur souffre d’une image négative, il fait des efforts pour changer cette perception : « La plupart des promoteurs sont conscients de l’importance du dialogue avec les riverains. Ils communiquent plus qu’avant avec toutes les parties prenantes. Mais pour l’instant, ces efforts ne suffisent pas à redorer leur blason. »

… et argent

En plus d’être associé au pouvoir, le secteur est aussi souvent lié à l’« argent facile ». Les sommes importantes en jeu dans l’immobilier attirent aussi des individus aux intentions douteuses.

« Oui, de grosses sommes circulent dans l’immobilier, car c’est un secteur intensif en capital », répond Laurent Calonne. « Mais c’est aussi un business lent et risqué. Et de gros montants ne signifient pas nécessairement de gros bénéfices. » Olivier Carrette ajoute : « Il est logique que les promoteurs qui prennent de gros risques obtiennent un certain rendement. Certes, les rendements étaient élevés jusqu’il y a peu, mais, aujourd’hui, c’est la crise et les marges sont sous pression. Certains projets sont même déficitaires. »

L’architecte et ancien promoteur Filip Canfyn voit un lien entre le mauvais image des promoteurs et la quête de profits. Selon lui, la crise financière de 2008 a conduit à une banalisation du métier : « Les développeurs de bureaux se sont tournés vers le résidentiel, augmentant la concurrence et poussant à la standardisation et à la maximisation des profits, au détriment de la pertinence sociale. ».

Canfyn a été promoteur immobilier entre 1997 et 2007, d’abord chez IBC et Heijmans, puis chez Vooruitzicht. Il a vu l’image des promoteurs évoluer. Dans un premier temps, de manière positive. Travailler avec un promoteur n’était plus synonyme de prostitution pour la police du bon goût des architectes.

Jamais aussi pertinent

Mais Canfyn regrette le manque de créativité des promoteurs actuels. « Ils s’en tiennent à des méthodes éprouvées. Pourquoi tant d’appartements ? Parce que c’est le produit le plus facile à dessiner, construire et vendre. De plus, le secteur se concentre sur des logements haut de gamme pour les classes supérieures. La question de l’abordabilité est négligée. »

Laurent Calonne admet que l’aspect financier reste central dans le secteur. « Gagner de l’argent est essentiel pour toute entreprise, y compris un promoteur », dit-il. « Mais avec notre collectif, nous voulons élargir cette responsabilité à tous les stakeholders : les riverains, l’environnement, les clients, les employés, etc. »

Pour Carrette, le secteur est aujourd’hui plus pertinent que jamais face à des défis tels que le logement abordable, la durabilité, la rénovation du parc immobilier vétuste et la création de villes vivables. « Les promoteurs font partie de la solution », dit-il.

Ouvrir les portes

Les conditions difficiles, les obstacles sur le terrain et le manque de reconnaissance génèrent de la frustration dans le secteur. Cela mène parfois à des critiques acerbes envers les médias. Olivier Carrette estime que la presse contribue à l’image négative de l’immobilier : « La presse cherche la sensation, car cela fait vendre. On ne parle jamais ou presque de nos beaux projets »

L’ancien journaliste Jeroen Wils reconnaît le rôle des médias dans cette perception, mais note que la critique est simpliste. « Le journalisme reflète et amplifie une perception qui existe déjà, mais il ne l’a pas inventée. »

Il ajoute que les pratiques douteuses doivent être exposées, car cela fait partie de la mission des médias. « D’autres secteurs sont aussi ciblés par le journalisme d’investigation. Mais il est vrai qu’un scandale immobilier est une recette facile pour certains médias. »

Une solution, selon lui, serait que le secteur soit plus transparent. Wils estime que le secteur réagit trop rarement lorsque des pratiques douteuses sont dévoilées. « Dans de tels moments, on s’attend à une déclaration ferme de la part du secteur, affirmant que de telles pratiques sont inacceptables. »

Promoteur vs agent immobilier

Filip Canfyn invite ses anciens collègues à plus d’introspection et moins de plaintes. Ce qui ne l’empêche pas de s’offusquer de la confusion récurrente dans la presse entre promoteurs et agents immobiliers. « Un agent immobilier est un vendeur. Un promoteur prend des risques, investit temps et argent, mobilise des compétences. Cela mérite du respect. »

Les promoteurs se considèrent comme des faiseurs essentiels dans le paysage immobilier. Laurent Calonne illustre : « Prenez un projet comme Tour & Taxis. Si cela avait été confié au gouvernement, rien n’aurait encore bougé. »

Le collectif éthique est pour l’instant composé uniquement de promoteurs, bien que ses portes soient ouvertes au reste du secteur. « C’est logique, car les investisseurs immobiliers sont moins confrontés à l’opposition, puisqu’ils achètent un projet une fois terminé. Un promoteur doit lui en permanence prouver qu’il ne fait pas ça que pour l’argent», explique Calonne.

Noms connus, mais pas encore de nom

Le collectif éthique n’a pas encore de nom, mais il compte déjà quelques membres éminents : Laurent Calonne (Banimmo), Jan Lambertyn (Triginta), Lorenzo Van Tornhaut (Volus), Philip Carens (Groep Dethier), Stephanie Vanden Broucke (Chapter George), Bert Grugeon (Van Roey Vastgoed) et Darel Torremans (Miix). « Nous sommes encore en train de travailler sur la structure et de rédiger une charte », explique Calonne. Le collectif souhaite se concentrer sur des thèmes comme la transparence, la responsabilité éthique, la durabilité, la justice sociale, la collaboration et l’engagement communautaire, l’innovation et le partage des connaissances, l’intégrité, l’autoréflexion, la responsabilité et le suivi.

Connexions politiques

Les frustrations des promoteurs immobiliers se dirigent également vers la politique. Le secteur est agacé par le fait que les pouvoirs publics attendent de lui toutes sortes de choses – logements abordables, gestion efficace de l’eau, densification, etc. – tout en imposant des obstacles sous forme de « réglementations incohérentes ». Olivier Carrette : « Nous suivons maintenant de très près les charges urbanistiques qui, en raison de l’autonomie communale, peuvent être imposées individuellement par chaque commune. Cela représente essentiellement une taxe supplémentaire qui augmente le coût des logements. Aujourd’hui, 45 % du prix de vente d’une nouvelle construction est déjà directement ou indirectement attribuable à la fiscalité et aux charges parafiscales. Et ensuite, les pouvoirs publics se tournent vers nous pour réaliser des logements abordables. »

Un vieux problème et un thème récurrent dans les discussions avec les promoteurs concernent les délais de délivrance des permis et les « possibilités de recours excessives ». La saga interminable concernant le taux de TVA temporairement réduit sur les démolitions et reconstructions agace également profondément le secteur.

Ces irritations n’empêchent pas que les promoteurs immobiliers entretiennent parfois des liens étroits avec des politiciens (locaux). Cela devient problématique lorsque ces contacts entraînent des interventions qui favorisent certains acteurs immobiliers. Pouvoir construire quelques étages de plus sur un emplacement stratégique a un impact considérable sur la rentabilité d’un projet. Indépendamment de l’aspect pénal, de tels dossiers – lorsqu’ils sont révélés – sont néfastes pour l’image du secteur immobilier et de la politique.


Selon Olivier Carrette, il n’est pas souhaitable de dresser un mur infranchissable entre le secteur immobilier et la politique. « Il est important que nous restions en dialogue avec l’administration, mais aussi avec les politiciens », dit-il. « En toute transparence, donc pas de politique menée dans l’ombre. »

Mais les politiciens doivent-ils ou peuvent-ils intervenir dans des dossiers individuels ? Ou leur rôle s’arrête-t-il à l’élaboration du cadre réglementaire, l’administration vérifiant ensuite si les demandes respectent les règles ? « En premier lieu, c’est effectivement le fonctionnaire qui doit juger, éventuellement en concertation avec le promoteur immobilier », estime Carrette. « Mais parfois, différentes interprétations sont possibles. Il peut alors être nécessaire que la politique tranche. »

L’urbaniste Tom Coppens (UA) est partiellement d’accord avec cette analyse : « D’une part, il y a le contrôle de la conformité à la réglementation. Cette vérification de légalité relève du fonctionnaire. D’autre part, il y a l’évaluation de la bonne gestion spatiale, et là, il y a toujours une marge d’interprétation. Cela peut donc être discuté et il est alors permis de se réunir. Cependant, il faut bien réfléchir à l’avance à la manière dont un tel processus se déroule. Pour limiter le risque d’influence, il est par exemple important que le politicien et le fonctionnaire participent ensemble à la réunion. »

Coppens trouve également positif que le secteur lui-même encourage la transparence lorsqu’il s’agit de discussions avec les politiciens. « Un registre des lobbies, comme celui qui existe en Europe, pourrait être un instrument intéressant », propose-t-il. Dans un tel registre, il est consigné qui a parlé avec qui et de quoi. « Il est cependant important que cela ne mène pas à une bureaucratie inutile », ajoute Coppens.

Ce serait encore mieux si le secteur immobilier lui-même mettait fin aux pratiques de lobbying, estime Coppens. « En réalité, on souhaite un accès égal au marché pour tous », dit-il. « Les connexions politiques ne devraient pas entrer en ligne de compte, car cela crée un terrain de jeu inégal. Je peux également imaginer que les promoteurs immobiliers n’aiment pas devoir investir du temps et des ressources dans ce domaine. »

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