Les kots davantage gérés par des syndics professionnels
Le marché du logement étudiant se professionnalise. Une bonne chose en termes de qualité des kots mais qualité supérieure et offre insuffisante riment avec augmentation des loyers.
Kot ou pas kot? La question est souvent d’ordre financier. “L’accessibilité financière est la principale raison de ne pas opter pour le kot”, peut-on lire dans la deuxième édition de Kotkompas. Selon l’étude de marché réalisée par le gestionnaire d’immobilier étudiant Diggit StudentLife et le bureau d’études immobilier Stadim, le loyer moyen d’un kot s’élève à 415 euros en Belgique (hors frais) et a tendance à augmenter. Le loyer constitue le critère de choix déterminant.
“La demande d’hébergements pour étudiants est plus importante que l’offre, constate Arne Hermans de Diggit StudentLife. Il ne faut pas être expert en économie pour savoir que ce déséquilibre pousse les prix à la hausse. Et la situation ne s’est pas améliorée l’an dernier. Selon les bailleurs de logements pour étudiants, le taux d’occupation est quasi maximum.” Arne Hermans anticipe donc un renforcement de la pression sur le marché. Vu le nombre croissant d’étudiants, la Belgique aura besoin de 95.000 kots supplémentaires d’ici à 2030.
Xior, leader du marché belge des logements étudiants, fait pourtant état d’une “légère suroffre des hébergements étudiants” dans son rapport annuel 2020. Joren Sansen, collaborateur scientifique de la VUB, se montre prudent. “Il est difficile d’évaluer l’offre et la demande sur le marché des logements étudiants”, confie-t-il. L’internationalisation croissante de la demande de logements pour étudiants est une des explications. En effet, l’afflux d’étudiants internationaux est plus difficilement prévisible. “Quant à l’offre disponible, nous n’avons pas un aperçu correct. Le fait que les étudiants belges restent généralement domiciliés chez leurs parents rend l’obtention de renseignements précis encore plus difficile”, explique Joren Sansen qui a collaboré à une étude de Steunpunt Wonen sur les hébergements pour étudiants.
Marché déséquilibré
Une chose est sûre: l’attrait des investisseurs pour les logements étudiants est bien réel. Selon les chiffres du consultant immobilier Savills, les investissements dans l’immobilier étudiant européen sont passés d’environ 5 milliards d’euros en 2016 à plus de 8 milliards d’euros ces trois dernières années. L’hébergement pour étudiants bénéficie de l’engouement des investisseurs institutionnels pour l’immobilier résidentiel. Le segment ‘living’ est devenu une classe d’actifs à part entière sur le marché de l’investissement immobilier au cours de la dernière décennie. “Il coïncide avec la stratégie de diversification de nombreux acteurs”, explique Arne Hermans. L’immobilier étudiant présente une autre spécificité: il est anticyclique. En temps de crise, de nombreux étudiants postposent leur entrée sur le marché du travail et prolongent leurs études d’un an, ce qui renforce encore un peu plus la demande de logements étudiants.
Les énormes volumes d’investissements s’accompagnent d’une professionnalisation et d’une certaine consolidation dans le secteur, deux tendances qui s’observent dans notre pays également, selon Arne Hermans. “J’ai terminé mes études en 2008. A l’époque, un syndic de kot qui opérait dans plusieurs villes sous une marque déposée, cela n’existait pas. Aujourd’hui, Xior et Upgrade Estate (Upkot) sont deux acteurs très professionnels en Belgique. Eckelmans est un acteur incontournable dans la partie francophone du pays.” Fin 2021, Xior a encore renforcé sa position sur le marché belge en reprenant le portefeuille de Quares Student Homes pour 156 millions d’euros. Entre-temps, une série de promoteurs immobiliers dont ION, LIFE, ViRix, Alides, Immogra, Immobel, BPI et Baltisse s’activent sur le marché des logements étudiants depuis quelques années. “Les autorités locales voient la professionnalisation du marché généralement d’un bon oeil, lance Joren Sansen. Cela leur permet de mieux contrôler les unités supplémentaires. Les villes estudiantines sont confrontées à des problèmes tels que la forte concentration des kots, la piètre qualité des logements étudiants et l’occupation des logements unifamiliaux par les étudiants. Les villes s’impliquent davantage dans le développement des grands projets de logements étudiants et ont de ce fait leur mot à dire quant au type d’offre et à la localisation du projet par exemple.”
Les villes étudiantes approuvent la professionnalisation mais le problème de l’accessibilité financière n’est pas résolu pour autant. La construction d’unités supplémentaires par les promoteurs n’est pas de nature à mettre les loyers sous pression. La création d’une nouvelle offre prend du temps, souligne Joren Sansen. “Il faut trouver le bon emplacement, obtenir le permis, réaliser la construction. Il faut pas mal de temps avant que le bâtiment soit fin prêt et puisse être occupé.” Il parle de “marché déséquilibré” parce que la création d’une nouvelle offre suppose généralement la démolition de l’offre particulière, des kots classiques la plupart du temps. “Certaines villes étudiantes empêchent, voire interdisent l’aménagement de plusieurs unités dans une unifamiliale”, précise Joren Sansen. La concurrence des acteurs professionnels est telle que les syndics particuliers déclarent forfait. “C’est devenu ingérable pour le petit indépendant pensionné, le profil-type de l’ancien syndic de kot, assure Arne Hermans. La réglementation se complexifie, les normes de sécurité se durcissent, les étudiants sont plus exigeants qu’avant… Tout cela demande des investissements.”
Joren Sansen note par ailleurs que les investisseurs privés s’intéressent surtout au développement d’unités indépendantes (plus spacieuses) qui répondent à la demande des étudiants internationaux. “Ce sont des immeubles neufs, donc plus chers, constate l’universitaire. Du point de vue de la qualité, la nouvelle offre est une bonne chose mais le prix pose problème.” Toon Haverals, CEO du promoteur immobilier LIFE.be, réfute l’intérêt commercial soi-disant plus élevé du segment supérieur: “En principe, le segment abordable permet d’obtenir le même rendement que le segment supérieur”. LIFE.es construit actuellement environ 1.700 logements étudiants abordables dans trois villes espagnoles. “Le bâti neuf est plus cher que l’offre existante, souvent surannée, c’est indéniable, poursuit Toon Haverals. Mais le bâti neuf est aussi plus durable et conforme aux normes de sécurité et d’hygiène plus strictes. Cela dépend aussi beaucoup des choix en matière de finition. Plutôt que d’augmenter nos prix, nous essayons de les maintenir à un niveau raisonnable. Mais c’est un fait: dans le vaste segment d’investissement de l’immobilier résidentiel, les logements pour étudiants constituent la sous- catégorie la plus onéreuse parce que ces unités de superficie réduite doivent être équipées de nombreuses salles de bain et parfois même de cuisines.”
Vu l’augmentation du prix des terrains et des matières premières, il est illusoire d’espérer une baisse des prix des nouveaux kots, estime Arne Hermans. “Sur le plan opérationnel également, les critères se durcissent”, dit-il. Autre point épineux, selon Arne Hermans: l’extrême protection des locataires. “Les possibilités de préavis sont plus nombreuses que sur le marché résidentiel régulier. A Bruxelles, les étudiants peuvent même résilier leur bail sans motif particulier. Le problème retombe alors unilatéralement sur les épaules du syndic qui aura beaucoup de mal à relouer un kot inoccupé au mois d’avril.” La surprotection est telle que les syndics décrochent ou répercutent le risque élevé d’inoccupation sur le loyer afin d’assurer leur rendement locatif.
Moins cher en banlieue
Il ne serait pas juste de faire endosser aux acteurs privés la faute de l’augmentation de prix des kots, estime Arne Hermans. “Promoteurs et investisseurs tablent sur un rendement, cela va sans dire. Et le rendement dépend des loyers. Mais si les loyers sont trop élevés, les kots n’arriveront pas à se louer. Déjà que la plupart des étudiants trouvent les loyers plutôt chers. Les autorités portent elles aussi une certaine responsabilité dans la création d’une offre sociale.”
“Le plus important est de diversifier l’offre de logements et de prix, estime Joren Sansen. Cela peut se faire de différentes façons, par l’imposition d’une charge sociale, par exemple, ou par des incitants financiers comme des prêts bon marché et des subventions directes. Les sociétés immobilières semi-publiques comme Sogent et AG Vespa ont également un rôle à jouer. Surtout lorsque les acteurs sont bien implantés. Un partenariat public-privé permet aux autorités compétentes de contrôler le programme et d’imposer des normes quant à la création d’une offre abordable.” Il cite l’exemple de Lille, un des pôles universitaires de France en pleine croissance. L’augmentation extrêmement rapide du nombre d’étudiants y aggrave la pénurie de logements subventionnés abordables. La concurrence étudiants-familles sur le marché résidentiel fait rage. La Métropole de Lille en- tend relever le défi en construisant de nouveaux kots en périphérie, à cette condition: l’étudiant ne doit pas mettre plus d’une demi-heure pour aller de son kot au campus. Autrement dit, seuls les terrains déjà bien desservis pas les transports publics entrent en considération. “L’idée sous-jacente est que les terrains un peu plus éloignés sont moins onéreux et que, de ce fait, les logements étudiants pourront être commercialisés à des prix plus avantageux”, explique Joren Sansen. Le projet lillois est-il exportable dans un pays aussi petit et urbanisé que la Belgique? Les différences sont de taille, reconnaît l’expert. “Lille est une métropole: les différentes communes limitrophes forment une véritable zone urbaine, dit-il. Le ‘kotratio’ ( le pourcentage d’étudiants vivant en kot par rapport au nombre total d’étudiants, Ndlr) est très élevé à Lille. L’agglomération attire de nombreux étudiants venant de l’extérieur de la région, des étudiants qui n’ont d’autre choix que de louer un kot. Une situation difficilement comparable à celle de la Belgique, si ce n’est à Bruxelles peut-être. Il peut toutefois s’avérer utile de créer une offre en périphérie, même dans les petites villes. Le prix des terrains y est moins élevé qu’aux abords immédiats du campus.”
Comme le confirme Toon Haverals, les terrains meilleur marché pourraient bien être la solution au problème de l’offre abordable. “Nous évitons sciemment les easy targets, c’est-à-dire les situations évidentes convoitées par une trentaine de promoteurs immobiliers. La surenchère est telle que le prix payé en devient exorbitant. Un surcoût que le promoteur répercute inévitablement sur le prix de vente.” Ceci dit, Toon Haverals n’est pas favorable à l’idée de chasser les étudiants du centre-ville. “Dans les grandes villes, il doit être tout à fait possible d’intégrer les logements pour étudiants au tissu urbain. Ils sont très nombreux à préférer habiter en ville. D’autres préfèrent un kot près du campus, peut-être légèrement excentré. Les étudiants doivent pouvoir choisir et tous ne partagent pas les mêmes préférences.”
8 milliards
En euros, estimation du montant investi dans l’immobilier étudiant en Europe ces trois dernières années.
Leçon de logique immobilière
En 2020, LIFE a réaménagé la résidence d’étudiants Ten Prinsenhove dans le centre d’Anvers. Cette tour vétuste construite dans les années 1970 a été entièrement reliftée et réhabilitée. Les locataires des 156 kots et studios d’une superficie de 18 à 55 m2 ont également accès à de très nombreuses facilités telles qu’une buanderie, une salle de fitness, une aire de jeux ou un skybar avec vue imprenable à 360° sur la ville.
Ce projet a fait l’objet de vives critiques. Plutôt que de rénover elle-même, l’université d’Anvers, propriétaire de la tour, en a cédé le bail emphytéotique à LIFE pour une durée de 50 ans. Une opération de privatisation censée combiner logements sociaux et appartements plus luxueux, selon les termes du contrat. Or les loyers ont explosé. De 283 euros par mois avant la réhabilitation, les loyers des kots dans la tour rebaptisée Prince fluctuent aujourd’hui autour de 430 à 650 euros. “Des loyers justifiés, réagit Toon Haverals. Les locataires en ont pour leur argent. Vu la situation unique dans le quartier étudiant, en plein centre-ville, nous ne pouvions pas faire moins. La vue sur Anvers est absolument fabuleuse. Réaliser un produit abordable à un emplacement de premier plan n’est pas chose aisée. Il est plus facile de créer une offre abordable dans quantité d’autres endroits à Anvers.” Et de rappeler le piteux état de la tour et les critères de réhabilitation très stricts en matière d’architecture et de durabilité. Car, oui, tout cela a un prix.
Prince est repris dans le XL Fund, une collaboration entre Xior (90%) et LIFE (10%).
Ruée sur les kots
Selon l’enquête Kotkompas, environ 40% des étudiants reconnaissent que la crise sanitaire a impacté leur présence en kot au cours de l’année académique précédente. Certains ont passé plus de temps à la maison, d’autres en kot, une minorité a préféré retourner définitivement au domicile familial. La crainte de voir les étudiants se détourner de la vie en kot du fait de l’incertitude ambiante ne se vérifie pas.
Les auteurs de l’enquête Kotkompas observent même une ruée sur les chambres d’étudiant dans certaines villes. Une des explications serait le “rattrapage” de l’année perdue à cause du coronavirus. Une étude européenne de Savills pointe en outre le relâchement des critères d’admission pour les étudiants et le report des “projets sabbatiques” du fait des restrictions en matière de déplacements.
A contrario, ces restrictions auraient aussi eu un impact négatif sur l’afflux d’étudiants internationaux. Ce qui n’a pas empêché des pays comme les Pays-Bas (+11%), la Tchéquie (+8,1%) et l’Italie (+5,5%) d’accueillir beaucoup plus d’étudiants internationaux que d’habitude.
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