Les “family offices”, bouées de sauvetage des promoteurs?
De nombreux promoteurs immobiliers sont dans les cordes. La hausse des taux d’intérêt les oblige à réorienter leur portefeuille de projets et à trouver de nouvelles sources de financement. Des investisseurs privés pourraient en profiter.
Le contexte reste compliqué pour les promoteurs immobiliers belges. La soudaine hausse des taux d’intérêt a plongé les acteurs les plus exposés à l’endettement dans d’importantes difficultés financières. Rares sont les promoteurs épargnés. Pour faire simple, ceux qui ont acheté du foncier ou des immeubles à reconvertir à des prix élevés jusque mi-2022 ne pourront valoriser leur investissement de la manière espérée. De quoi causer de sérieux trous dans la trésorerie vu leur obligation à rembourser les emprunts. Sans parler du fait que la hausse des coûts de construction et l’allongement des délais d’obtention de permis purgés de tout recours plombent également la faisabilité financière des projets.
De l’autre côté de la chaîne, ce n’est pas mieux: les investisseurs institutionnels ont déserté le marché, ce qui retarde sérieusement la vente d’immeubles de bureaux alors qu’en résidentiel, les acquéreurs se font rares. Une situation qui ne permet donc pas aux promoteurs de recevoir suffisamment de liquidités pour réapprovisionner la machine à projets, ce qui enraye tout le processus.
“Avoir une diversification du type d’actifs et une diversification géographique est essentiel..”
“Il est évident que les promoteurs naviguent dans un contexte excessivement difficile, analyse Frédéric Sohet, directeur du département immobilier de Deloitte. Comment peuvent-ils rebondir? Chaque situation est bien évidemment différente. Avoir une diversification du type d’actifs et une diversification géographique est essentiel. A court terme, il faut se donner de l’air financièrement pour rebondir et profiter du prochain cycle lorsque les choses seront stabilisées. Cela peut passer par la vente de projets en blocs avec une décote, par la mise au frigo de certains dossiers, par le fait de s’associer avec un autre promoteur pour diminuer les risques ou encore par l’apport de nouveaux fonds propres. Sur le plan financier, les banques semblent jouer leur rôle mais il peut être nécessaire de dégager de l’equity pour se relancer ou de mettre en place des accords structurels avec des investisseurs dans le futur.”
Et Adrian Glatt, head of capital markets Belux de JLL, d’ajouter: “De nombreux promoteurs cherchent en effet des solutions créatives pour passer les deux ou trois prochaines années”. Et à ce petit jeu, la recherche d’investisseurs privés est particulièrement intense pour le moment. Le marché immobilier belge est composé de longue date de riches familles qui possèdent leur propre société de promotion immobilière (Baltisse, Matexi, Unibra, Thomas & Piron, Ghelamco, Alides, Straco, Fico, Equilis, etc.) et de familles qui décident d’investir dans l’immobilier via leur family office (structure qui gère le patrimoine d’une famille).
L’impact de l’endettement
C’est ce dernier volet qui est particulièrement recherché actuellement et qui fait office de bouffée d’oxygène pour les promoteurs. “Il y a toujours eu des family offices dans le monde immobilier belge mais elles étaient en concurrence avec les fonds d’investissement institutionnels, explique Adrian Glatt. Aujourd’hui, ces derniers sont en retrait sur le marché. Les family offices sont plus visibles et peuvent saisir des opportunités car la concurrence est moindre. Elles ont accès à des produits dont la route leur était barrée il y a 12 mois. D’autant que les family offices peuvent se permettre d’attendre le bon moment pour investir.”
Un constat partagé par Serge Fautré, le CEO d’AG Real Estate: “Seuls les promoteurs qui ne sont pas ou peu endettés peuvent être à l’acquisition aujourd’hui, de même que les fonds de pension étrangers et les family offices. Pour ces derniers, ce sont un peu les soldes actuellement: ils bénéficient de transactions à des conditions avantageuses. Pour le reste, la plupart des acteurs ne sont aujourd’hui pas dans la stratégie mais dans la réactivité. Il faut parer au plus pressé. Ceux qui ont du foncier possèdent un avantage non négligeable.”
Parmi les acteurs privés les plus actifs ces derniers temps, citons par exemple le holding familial d’investissement Abacus Group (Matexi, Sibomat, Creafund, etc.), fondé par Gaëtan Hannecart et Bruno Vande Vyvere, qui vient de rentrer dans le capital de Vicinity. Ou encore Virginie Saverys qui a investi 40 millions d’euros au sein du promoteur gantois Revive. Selon De Tijd, Atenor souhaite également attirer de nouveaux investisseurs, notamment des family offices belges. Le promoteur hulpois possède déjà le holding d’investissement des familles Donck et Desimpel (3d) de même que celui de la famille Vastapane (Alva) dans son actionnariat.
“Nous sommes dans une phase de gel du marché.”
Le contexte actuel a en tout cas des répercussions en cascade sur le marché immobilier. Avec, même si elles circulent allégrement, des informations qui ne se vérifient pas tout le temps, comme le fait que des promoteurs chercheraient à céder des projets pour alléger leur bilan financier et retrouver du cash.
“Je n’ai pas vu beaucoup de dossiers de ce type circuler, s’étonne le pourtant bien informé Gaétan Clermont, co-CEO d’Eaglestone Group. Les promoteurs gardent leurs projets pour le moment. Par contre, il y a des sollicitations pour s’associer sur un projet. J’estime néanmoins que nous sommes dans une phase de gel du marché. Pour notre part, nous ne sommes qu’impactés à la marge par la remontée des taux d’intérêt car nous nous sommes prémunis des risques d’évolution des taux. Mais nous n’avons toutefois plus réalisé d’acquisitions depuis septembre 2022. Nous attendons le bon moment. Notre diversification (appartements, logements étudiants, hôtels, etc.) nous permet d’être relativement sereins.”
Un rebond espéré en 2024
Autre évolution du marché avancée par certains vu le contexte actuel: le lancement – enfin! – du segment de la vente en blocs d’appartements. Justifié notamment par la vente par Matexi à Vicinity de 43 appartements du projet Paradis Express à Liège. “Il n’en est toutefois rien, précise Adrian Glatt. Les chiffres sont bien moins bons qu’en 2021 et 2022. Les rendements restent insuffisants malgré la hausse des loyers. Ce segment ne connaîtra pas une envolée de sitôt.” Surtout que le head of capital markets estime qu’il ne faut pas s’attendre à un rebond du marché avant 2024, et une stabilisation éventuelle des taux. Ce qui pourrait remettre les investisseurs institutionnels sur le devant de la scène.
“Le secteur va ensuite devoir se réinventer, estime Frédéric Sohet. Les développeurs vont devoir travailler dorénavant main dans la main avec les investisseurs. De manière encore plus structurée. La logistique a connu le même scénario et a franchi le cap. Diversifier les structures est en tout cas incontournable. Des risques de faillite de certains promoteurs? Non, je n’y crois pas vu la stabilité du marché immobilier belge. Et puis, les promoteurs sortent quand même de 10 années florissantes. Ils se sont constitués des réserves. A court terme, pour certains, la situation peut être tendue. Mais la Belgique possède un vivier d’investisseurs expérimentés, ce qui est de nature à rassurer.”
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