“Les droits d’enregistrement sont une taxe sur le déménagement”

Les pouvoirs publics doivent-ils soutenir activement l’accession à la propriété ? Une enquête économique montre que les effets positifs sont difficiles à démontrer. Elle se méfie également des incitants fiscaux, qui peuvent faire grimper les prix de l’immobilier.

Un peu plus de 71 % des ménages belges sont propriétaires de leur logement. Notre score est donc légèrement supérieur à la moyenne européenne (69,9 %). Mais le mot “score” est-il vraiment approprié ? Tout en haut du classement européen, la pauvre Roumanie se distingue avec 95,3 % de propriétaires, alors qu’en bas, c’est l’Allemagne, pourtant considérée comme la locomotive économique de l’Union européenne, qui referme la marche avec seulement 49,1 %.

Construire ou acheter sa propre maison est un objectif de vie pour de nombreux Belges. Pour les décideurs politiques, il est tentant de les aider à réaliser ce rêve de logement. Mais d’un point de vue social et économique, est-il si judicieux que cela de soutenir l’accession à la propriété ? “On soutient l’accès à la propriété car on estime qu’elle produit des externalités positives”, explique Sven Damen, professeur d’économie immobilière et de finance à l’université d’Anvers. “Pensez au propriétaire qui entretient soigneusement son jardin, ce dont tout le quartier profite gratuitement. Les propriétaires auraient aussi tendance à s’engager davantage dans leur quartier et à s’investir plus activement et bénévolement dans la vie politique locale. C’est du moins la théorie. Pourtant, les résultats de l’enquête sur ces externalités positives sont quelque peu décevants. Elles sont très difficiles à démontrer et certaines études montrent même des effets négatifs, par exemple sur l’investissement bénévole dans les quartiers.”

“Lorsqu’il s’agit de l’accessibilité financière, les mesures axées sur l’offre sont plus utiles.” – Sven Damen, professeur d’économie immobilière et de finance à l’université d’Anvers

Frank Vastmans, économiste de la propriété à la KU Leuven, fait la distinction entre l’incitation et l’accessibilité à la propriété. Il n’est pas un adepte des mesures incitatives. “Mais il n’y a aucun mal à essayer de rendre le marché de la propriété plus accessible, estime-t-il. Par exemple, en réduisant ou même en supprimant les droits d’enregistrement, vous supprimez un obstacle au marché de l’achat.”

Les deux économistes de l’immobilier défendent le principe de la neutralité (de la propriété) dans la politique du logement. “Fondamentalement, il s’agit de permettre aux gens de faire le choix qui est le plus intéressant pour eux à ce moment-là, souligne Sven Damen. Il ne faut donc pas les pousser à acheter ou à louer par le biais de divers incitants.”

Dans ce contexte, Frank Vastmans parle d’optimisation du bien-être. Il souligne également les effets indirects potentiels des mesures de soutien ? “L’octroi d’une aide fiscale aux ménages se fait au détriment de ceux qui ne peuvent pas en bénéficier. En effet, ceux-ci devront payer plus cher pour satisfaire leurs besoins en matière de logement, en raison d’un prix d’achat ou de location plus élevé.”

“L’impôt foncier est un impôt plus neutre, avec moins d’effets pervers” – Frank Vastmans, économiste de la propriété à la KU Leuven

Les leçons de la prime au logement

Ces effets sur les prix ont beaucoup à voir avec la forte inélasticité de l’offre sur le marché du logement (belge). En effet, l’offre de logements ne réagit que dans une mesure limitée aux changements du côté de la demande. “Dans une telle situation, les éléments liés à la demande se répercutent très fortement sur le prix de vente, précise Sven Damen. Si le taux d’intérêt baisse d’un pour cent, les gens peuvent emprunter 10 % de plus avec le même remboursement de prêt hypothécaire. Ce budget supplémentaire se traduira par une augmentation du prix des logements par le biais de l’offre de prix entre les acheteurs. ”

Le même mécanisme explique également pourquoi la prime au logement n’a servi à rien dans notre pays. Ce stimulus fiscal a entraîné une hausse des prix de l’immobilier, qui n’a finalement pas profité aux acquéreurs. “Il existe même des études montrant que de telles incitations aux Etats-Unis ont aussi eu un effet négatif sur l’accès à la propriété de certains groupes, note Sven Damen. En effet, des prix immobiliers plus élevés signifient souvent que les banques exigent des fonds propres plus importants de la part des acheteurs potentiels. Pour les personnes disposant d’un patrimoine limité, le seuil devient donc plus élevé.”

Un autre argument contre le soutien à la propriété est que l’accession à la celle-ci est associée à une plus faible mobilité professionnelle. Les propriétaires seraient moins enclins que les locataires à déménager pour trouver un emploi en cas de chômage. Sven Damen note que l’ampleur de cet “effet Oswald” fait l’objet d’un débat dans la littérature académique. “Mais il est vrai que les locataires ont des coûts de déménagement moins élevés, en partie parce qu’ils n’ont pas à payer de droits de vente ni de frais d’hypothèque.”

Réduction des droits d’enregistrement

Selon Frank Vastmans et Sven Damen, c’est en partie pour cette raison que la réduction des coûts de transaction, tels que les droits d’enregistrement, lors de l’achat d’un logement est une mesure plus intéressante que les incitants fiscaux. “Cela ne va pas vraiment améliorer l’accessibilité, parce que des droits d’enregistrement plus bas se traduiront aussi par des prix de l’immobilier plus élevés, pense Frank Vastmans. Mais elle peut avoir un effet positif sur la volonté des propriétaires de déménager et sur la mobilité de la main-d’œuvre.”

De son côté, Sven Damen est également favorable à une (nouvelle) réduction des droits d’enregistrement. “Cette taxe fausse considérablement le marché, estime notre professeur d’économie immobilière et de finance. En fait, les droits d’enregistrement sont une taxe sur les déplacements.”

Cependant, si les droits d’enregistrement devaient être moins élevés, l’Etat ferait grise mine car il aurait alors moins de revenus. Il s’agit là d’une préoccupation majeure en ces temps budgétaires compliqués. Pour compenser cette perte, les deux économistes suggèrent une réforme ou une mise à jour du revenu cadastral et de l’impôt foncier qui y est associé. “L’impôt foncier est un impôt plus neutre, avec moins d’effets pervers”, affirme Frank Vastmans. Il voit un autre avantage au passage des droits d’enregistrement vers l’impôt foncier, celui d’abaisser le seuil pour les primo-accédants. “Si ces derniers doivent payer moins de taxe de vente, ils garderont alors plus de budget pour le mettre dans leur apport personnel et les banques seront alors plus enclines à accorder un prêt”, explique l’économiste de la propriété.

La mise à jour du revenu cadastral, c’est possible

Le revenu cadastral, qui est une approximation du revenu locatif d’un bien immobilier, constitue la base de calcul de l’impôt foncier et du revenu foncier pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Toutefois, dans de nombreux cas, le revenu cadastral ne reflète pas la valeur (locative) réelle d’un bien immobilier. En effet, les estimations remontent à 1975 et aucune réestimation systématique n’a jamais été effectuée depuis. Par ailleurs, la mise à jour des estimations prendrait beaucoup de temps et n’est donc pas une véritable solution. Cela explique en partie pourquoi les décideurs politiques sont réticents à procéder à des ajustements budgétaires ou à intervenir par le biais du revenu cadastral. Mais cet argument n’est plus valable, estime Sven Damen. “Aujourd’hui, nous disposons de sources de données très étendues, ainsi que d’une puissance informatique et de modèles énormes. Par conséquent, une telle mise à jour n’est certainement plus insurmontable. Il n’est donc plus nécessaire qu’un estimateur visite chaque propriété. Cela peut encore parfois être intéressant à titre de test, de contrôle ou pour des dossiers complexes. Mais l’essentiel des estimations pourrait se faire de manière automatique.”

Frank Vastmans souligne par ailleurs les effets pervers des taux différenciés sur les droits d’enregistrement. En Flandre, par exemple, un taux “réduit” de 3 % s’applique à l’achat de la seule maison occupée par le propriétaire. Les investisseurs et/ou les propriétaires d’une résidence secondaire paient le taux normal de 12 %, même lorsqu’ils achètent une nouvelle résidence.

“Un écart de taux limité peut se justifier pour contrer la spéculation, mais 12 % au lieu de 3 %, c’est un écart très important, selon Frank Vastmans. En favorisant ainsi les propriétaires occupants, on désavantage les investisseurs qui devront payer plus. Et cela affectera le marché locatif privé.” En effet, pour maintenir plus ou moins leurs rendements, les investisseurs demanderont des loyers plus élevés ou ils cesseront d’investir dans l’immobilier. La conséquence de cela est que dans un cas comme dans l’autre, les locataires se retrouveraient dans la panade.

“Cette grande différence de taux crée des frictions. En premier lieu sur le marché de la location privée, mais en même temps, elle limite la mobilité des propriétaires-investisseurs, poursuit Frank Vastmans. En raison de ces frais de vente élevés, ils risquent de rester plus longtemps dans un bien non adapté à leurs besoins.”

En favorisant les propriétaires occupants, on désavantage les investisseurs qui devront payer plus. Et cela affectera le marché locatif privé.

Ne pas oublier l’offre

En plus d’une baisse et/ou d’une harmonisation des droits d’enregistrement, quelles mesures nos économistes de la propriété proposent-ils à titre personnel ? Sven Damen suggère d’agir sur la forte inélasticité de l’offre. “En particulier lorsqu’il s’agit de l’accessibilité financière, les mesures axées sur l’offre sont plus utiles, affirme-t-il. Il n’y a pas de solution miracle, mais je pense qu’il serait utile d’examiner toutes les règles qui entrent en jeu lors de la création d’une nouvelle offre de logements. Je ne dis pas que ces règles ne sont pas nécessaires, mais il faut peser le pour et le contre. Les normes de stationnement dans certaines villes en sont un exemple typique. Ces places de parking imposées font grimper les coûts de construction et freinent donc l’offre de nouveaux logements.”

Frank Vastmans rejoint son collègue anversois. “Concentrez-vous sur l’offre, dit-il. Et surtout là où la demande est la plus forte.” Notre interlocuteur revient également sur son argument en faveur d’une plus grande accessibilité du marché de la vente. “Nous pensons assez rapidement aux instruments financiers, mais avec les bonnes informations. Vous pouvez également rendre le marché de la vente plus accessible. Les labels PEB ajoutent de l’information, de sorte que les acheteurs paient aujourd’hui moins cher pour des maisons énergivores. Des informations claires sur la meilleure façon de rénover sont également une mesure utile à cet égard.”

La maison individuelle comme plan de retraite
“Posséder son propre logement est-il le meilleur investissement pour ses vieux jours?” Ou encore, “l’immobilier est-il un pilier supplémentaire et sûr pour la retraite?” Il s’agit là d’arguments fréquemment utilisés pour continuer à soutenir l’immobilier. Mais ces affirmations sont-elles justes ? Et est-il judicieux d’intégrer la thématique de la retraite dans la politique du logement ? “D’une certaine manière, ces affirmations sont vraies, déclare Frank Vastmans. Si vous pouvez vivre dans votre maison payée pendant votre vieillesse, c’est évidemment plus confortable financièrement que si vous devez continuer à payer un loyer mensuel. Mais encore une fois, pourquoi cet aspect devrait-il être lié à l’accession à la propriété ? Vous pouvez aussi investir dans l’immobilier tout en préférant louer, parce que vous appréciez cette flexibilité. Et bien sûr, on peut aussi se constituer un patrimoine en investissant dans d’autres domaines que l’immobilier. Le gouvernement ne devrait pas vouloir contrôler cela”.
Sven Damen partage cet avis. Il cite une étude suédoise récente qui montre que la propriété a un effet positif sur l’accumulation de richesses. “Les personnes propriétaires de leur logement sont également mieux armées en cas de baisse des revenus, en cas de chômage par exemple. Ils ont aussi plus facilement accès que les locataires à un prêt pour absorber ce choc”, détaille-t-il. L’effet positif sur l’accumulation de richesse s’explique en grande partie par la discipline financière imposée par le remboursement mensuel d’un prêt immobilier. “Bien entendu, l’évolution des prix de l’immobilier joue aussi un rôle dans cet effet positif, poursuit Sven Damen. Au cours des 20 à 30 dernières années, nous nous sommes habitués à la hausse des prix de l’immobilier. Mais historiquement, une période aussi longue de hausse des prix est assez exceptionnelle. Rien ne garantit que les prix de l’immobilier continueront à augmenter au même rythme qu’au cours des dernières décennies. L’achat d’un logement comporte également un risque puisqu’il s’agit d’un investissement important dans un seul bien et lieu. Je ne suis pas non plus favorable à ce que le gouvernement favorise une classe d’actifs plutôt qu’une autre.”

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