Le revenu cadastral doit et peut être réformé : voici comment

La façon dont les logements sont taxés dans notre pays entraîne des différences parfois extrêmes. La cause en est le système obsolète du revenu cadastral. Des chercheurs de la KU Leuven et de l’UHasselt proposent une alternative. Car, oui, il est possible de s’y prendre autrement.

Le revenu cadastral (RC) est essentiellement une estimation des revenus locatifs d’une habitation, et sert de base pour la taxe foncière. Mais il n’est depuis longtemps plus la base la plus appropriée pour cela. Le projet de recherche Rethinking Real Estate Taxation (Retax) de la KUL et de l’UHasselt met en lumière les problèmes inhérents du cadastre et propose une taxe immobilière alternative. Celle-ci est plus juste et serait profitable pour tout le monde.

De RC à précompte immobilier

Actuellement, les logements sont taxés sur la base de leur prétendu revenu cadastral. Le RC n’est pas un véritable revenu, mais un revenu fictif. Il s’agit de la valeur locative moyenne nette d’un an du bien immeuble au moment de référence. Et ce moment de référence, et jusqu’à aujourd’hui, date de 1975. C’est ce montant qui est indexé chaque année.

Si le revenu cadastral est fixé au niveau fédéral, il sert de base pour le calcul du précompte immobilier qui est lui un impôt régional. Ce sont donc les régions qui traitent et perçoivent directement le précompte immobilier des biens situés sur leur territoire. Il peut aussi être complété par des centimes additionnels pour la province et la commune. Le montant total (qui est une addition des trois) peut varier. Un revenu cadastral n’est donc pas l’autre, loin de là.

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Terrain et habitation

Le système actuel n’est pas équitable, même pour des logements similaires. “Imaginons que vous ayez deux logements similaires dans la même ville, mais dans deux quartiers différents. Le logement dans le quartier qui était très populaire en 1975 sera plus lourdement taxé que celui situé dans un quartier moins prisé à l’époque. Mais peut-être que maintenant c’est l’inverse. Que ce quartier populaire à l’époque ne l’est plus aujourd’hui, alors que l’autre s’est gentrifiée. Alors, cette dernière maison a plus de valeur, mais elle est moins taxée, car le RC ne tient compte que de la valeur en 1975”, explique Geert Goeyvaerts, chercheur chez Retax et auteur de l’étude. “Il n’y a jamais eu de réévaluation des logements depuis 1975. La conséquence directe c’est que les gens ne sont pas taxés sur les revenus locatifs potentiels actuels.”

Une autre distorsion concerne la différence entre le terrain et l’habitation, ou la parcelle et la structure dans le jargon fiscal. Ils ne sont pas taxés de manière équitable. Lors du calcul du RC en 1975, les premiers 800 mètres carrés de la parcelle étaient exonérés. “Cela sous-évalue la valeur des parcelles par rapport à celle des structures”, explique Geert Goeyvaerts. “Si vous taxez les structures plus lourdement que les terrains, alors les gens construiront des logements plus petits sur des terrains plus grands.” Cela conduit à une densité de construction moindre, ce qui n’est pas toujours bon économiquement ni pour l’aménagement du territoire. En outre, cela entraîne des coûts externes tels que la perte de biodiversité », écrivent les chercheurs.

Égaliser sur tous les fronts

Il y a également le traitement inégal dans l’impôt sur le revenu entre la résidence principale et les autres biens immobiliers. Tous les propriétaires paient le précompte immobilier, mais dans l’impôt sur le revenu, les biens immobiliers supplémentaires tels que les biens locatifs ou les résidences secondaires sont soumis à une imposition supplémentaire.” En effet le revenu immobilier (ici le revenu cadastral uniquement) se rajoute aux autres revenus et est taxé au taux progressif ? Or il n’y a aucune preuve que ce type de distinction augmente le bien-être général”, déclare Geert Goeyvaerts.

Il donne l’exemple de deux ménages. L’un vit dans une résidence principale d’une valeur de 600 000 euros. L’autre possède une maison d’une valeur de 350 000 euros et loue une deuxième maison d’une valeur de 250 000 euros. Les deux ont un patrimoine de même valeur, mais le deuxième ménage est plus lourdement taxé via l’impôt sur le revenu. “On suppose souvent que les personnes ayant une deuxième maison sont plus aisées et qu’elles peuvent donc être plus lourdement taxées, mais ce n’est certainement pas toujours le cas. Certaines vivent dans une villa d’un million d’euros tandis que d’autres peuvent avoir deux petits appartements et dont un est loué. Et pourtant, ces dernières sont plus lourdement taxées”, explique le chercheur.

Enfin, il y a également la taxation inégale entre le patrimoine immobilier, comme les logements, et le patrimoine mobilier, comme l’épargne ou les investissements, qui est un problème. La plupart du temps, les revenus des biens mobiliers sont taxés à 30 %, ce qu’on appelle le précompte mobilier. Le précompte immobilier représente dans la plupart des cas seulement 4 à 7 % des revenus locatifs bruts que les biens immobiliers pourraient générer s’ils étaient loués. Cela s’explique par le fait que le RC indexé est en moyenne neuf fois plus petit que les revenus locatifs bruts réels, écrivent les chercheurs de Retax.

“Si le patrimoine immobilier était moins lourdement taxé, on investirait plus dans l’immobilier que dans le mobilier. En bref, il irait plus d’argent dans les logements que sur les comptes épargnes et autres placements. Cela entraîne une hausse des prix de l’immobilier. Et donc moins de prospérité. Ces taxes doivent être uniformisées”, explique Geert Goeyvaerts.

« Un revenu sans risque »

Quelle est la solution ? Le groupe de recherche propose une alternative au RC, qu’ils appellent le “revenu sans risque”. Cela se fait en calculant sur la valeur de vente d’une habitation un “taux d’intérêt sans risque”. Ce dernier est un concept du secteur financier. Il s’agit du rendement des investissements les moins risqués, généralement des obligations d’État, et il est identique pour tous.

Pour être plus concret. Si, au cours d’une année donnée, le rendement moyen des obligations d’État européennes est de 4 %, le taux d’intérêt sans risque pour cette année est de 4 %. Sur une maison d’une valeur de 250 000 euros, le “revenu sans risque” est alors de 10 000 euros. Ce montant remplacerait alors le RC actuel comme base de la taxe foncière. “Aujourd’hui, il existe suffisamment de données pour estimer la valeur de vente de chaque logement et ainsi parvenir à ce revenu sans risque”, explique Geert Goeyvaerts.

Le “revenu sans risque” élimine d’un coup de nombreuses inégalités. “Les taxes inégales sur des logements similaires disparaissent. C’est déjà un progrès très important. L’inégalité entre la valeur du terrain et du bâtiment est également éliminée”, explique le chercheur.

Cependant, le système de “revenu sans risque” ne provoquera pas de bouleversement dans la taxe foncière si l’on veille à ce que les revenus totaux restent au niveau actuel. “Si l’on ajuste les taux de la taxe foncière de manière à ce que les revenus totaux ne changent pas, selon nos calculs, la moitié des contribuables paieront en moyenne 200 euros de taxe foncière supplémentaire par an, et l’autre moitié paiera environ 200 euros de moins”, explique le chercheur. “Mais ce sont des moyennes fortement influencées par les extrêmes. La médiane est beaucoup plus basse, donc une grande partie des contribuables ne paiera pas beaucoup plus ou moins qu’aujourd’hui.”

Vers des taux d’imposition égaux

L’immobilier et les impôts qui y sont liés sont des sujets très sensibles en Belgique. C’est pourquoi les chercheurs plaident pour un changement par étape. “Nous proposons d’introduire progressivement le revenu sans risque sur une période de dix ans”, explique Geert Goeyvaerts. “Il n’est pas judicieux de le faire d’un coup, d’une année à l’autre. Mais la différence entre le RC actuel et le nouveau peut être progressivement éliminée au fil des années.”

Une fois le revenu sans risque généralisé, l’inégalité entre la taxe foncière et la taxe sur les biens mobiliers peut également être progressivement éliminée. Même dans le nouveau système, la taxe foncière représenterait environ 7 % des revenus locatifs potentiels réels. Cela reste encore très éloigné des 30 % du précompte mobilier. “Alors on peut commencer à réfléchir à la façon dont on pourrait faire converger ces deux taux d’imposition, et si c’est souhaitable. Mais là encore, la recommandation est de ne pas le faire d’un coup, mais progressivement.”

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