“Le manque de logements abordables est criant à Bruxelles”

La secrétaire d'Etat bruxelloise au Logement, Nawal Ben Hamou. © DEBBY TERMONIA

Un Bruxellois sur deux rentre dans les critères du logement social. Les promoteurs immobiliers sont sollicités pour accélérer la production et résoudre une partie du déficit en matière d’offre. La densification des communes de la deuxième couronne est au coeur de la stratégie. Reste à convaincre les édiles locaux…

Attention, nouveau souffle. La secrétaire d’Etat bruxelloise au Logement, Nawal Ben Hamou, entend faire table rase des méthodes passées pour accélérer la production de logements abordables à Bruxelles. Un enjeu sociétal dans une ville où le marché immobilier se segmente de plus en plus.

TRENDS-TENDANCES. En matière de logement à Bruxelles, personne ne semble content pour le moment: les promoteurs, les personnes qui cherchent un logement abordable, les associations, etc. Comment expliquer que l’on soit parvenu à cumuler autant de problèmes?

NAWAL BEN HAMOU. C’est dû à un manque de vision, de stratégie à long terme, de communication et d’outils pour accélérer la production de logements. La clé de la réussite aujourd’hui, c’est le dialogue. Il faut comprendre les intérêts des uns et des autres. On ne peut pas non plus passer sous silence la problématique de délivrance de permis, qui est bien trop longue. Nous avons pu trouver une solution pour le logement social avec la mise en place d’une fast lane (permis en 75 jours maximum). Mais il faut aller plus loin.

En deux ans, nous avons créé autant de logements que ces 15 dernières années.

Avec déjà des résultats probants?

Les promoteurs ont en effet découvert l’intérêt qu’ils avaient de travailler avec nous. De notre côté, faire uniquement appel au public pour construire des logements sociaux ne permet pas d’atteindre nos objectifs. Les premiers dossiers ont été approuvés ( un projet privé doit prévoir un minimum de 25% de logements publics pour rentrer dans les critères, Ndlr). Il faudra néanmoins qu’urban.brussels ( structure qui délivre les permis, Ndlr) fasse, à un moment donné, preuve de davantage de souplesse. Car il y a une vraie urgence à créer du logement. Pour vivre dans une ville saine, il faut pouvoir s’adapter aux réalités de terrain. Et ne pas perdre son temps sur certaines futilités.

Comment encore accélérer la cadence?

Il faut bien l’admettre, ces 20 dernières années, la méthode utilisée n’a pas permis d’obtenir des résultats satisfaisants en matière de production de logements abordables et ce, même s’il y avait des ambitions. Il a donc fallu être innovant dans les procédures mises en place et changer les mentalités. Car certaines méthodes de travail au sein de la SLRB (Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale) étaient inadaptées et inefficaces. Une nouvelle stratégie de rénovation et d’acquisition a donc été instaurée. Quand on observe nos derniers chiffres, nous pouvons dire que nous sommes sur la bonne voie. Et que nous avons gagné la confiance des promoteurs privés car nous avons des budgets conséquents pour concrétiser nos ambitions. En deux ans, nous avons créé autant de logements que ces 15 dernières années: 1.633 logements sont sortis de terre dans les deux derniers plans logement. Fin 2022, nous serons à 1.800 logements. La clé, en fait, est de suivre chaque projet de près. Chaque mois, je rencontre Pascal Smet ( secrétaire d’Etat à l’Urbanisme, Ndlr) pour faire avancer les dossiers.

© DEBBY TERMONIA

Ce qui n’est pas normal dans un monde idéal…

Oui, mais je veux avancer et responsabiliser toute l’administration. Sans cela, il n’est pas possible d’avancer au rythme que nous souhaitons.

Le marché bruxellois se segmente de plus en plus. Peut-on aujourd’hui parler de crise du logement à Bruxelles?

Oui, évidemment. Nous n’avons actuellement pas assez de réponses à offrir aux 50.407 ménages qui figurent sur la liste d’attente d’un logement social. Sans oublier les 150.000 Bruxellois qui louent un logement sur le marché privé alors qu’ils rentrent dans les conditions d’obtention d’un logement social. Ils dédient parfois 40% de leurs revenus à leur logement. Ce n’est pas tenable. Notons que le manque de logements n’est pas le problème, mais le manque de logements abordables. Et les chiffres démontrent que la situation empire. Un ménage sur deux pourrait prétendre aux politiques sociales du logement.

Créer du logement abordable suscite certaines crispations dans l’une ou l’autre commune. Comment comptez-vous convaincre ces édiles locaux?

Par le dialogue. Dans l’accord de gouvernement figure l’ambition d’arriver à 15% de logement social pour tout le territoire de la Région. Nous n’y arriverons pas d’ici la fin de la législature mais c’est vers cette trajectoire que nous devons tendre. Ce qui explique pourquoi, dès mon entrée en fonction, j’ai multiplié les contacts avec les bourgmestres et échevins pour voir comment nous pouvions travailler ensemble. Densifier dans la deuxième couronne est une obligation dans la vision de ville du gouvernement. Chaque commune doit accepter d’avoir une part de logement social dans son parc immobilier. Certaines entités ont davantage de difficultés à entendre ce discours mais il est primordial de répartir l’effort. Je suis ouverte à la discussion. En réunion avec les bourgmestres, nous mettons sur la table tous les projets qui sont bloqués depuis 10 ans. Et on s’interroge alors sur leur devenir, pour trouver un accord. C’est ce que nous avons par exemple fait avec le bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre dans le dossier du site des Dames Blanches. Il faut expliquer notre démarche et rappeler le besoin de logements abordables pour les Bruxellois. Cela ne doit donc pas être nécessairement du logement social.

Bruxelles restera toujours attractive, quoi qu’il arrive.

Mais les beaux discours se sont multipliés ces dernières années. Pourquoi croire que quelque chose va vraiment changer aujourd’hui?

Il suffit de regarder nos chiffres. Mais les vrais changements vont se ressentir, il est vrai, lors de la prochaine législature. Tous les acteurs ont été rencontrés. Avoir les élus locaux avec nous est un atout et facilite notre travail. Ce qui n’est bien évidemment pas le cas partout. Pour le reste, toutes les communes où nous sommes propriétaires nous intéressent. Et nous avons, historiquement, des terrains dans pratiquement chaque commune. Le problème, c’est quand on nous dit que ces terrains doivent être réservés à des espaces verts. Mais non. Ce n’est pas parce qu’aucun projet n’a été développé que ce terrain est sorti des radars. Que ce soit le Chant des Cailles à Boitsfort ou un autre. D’autant plus que je veux des projets exemplaires.

Ce nouveau débat entre densification et biodiversité n’a pas de sens selon vous?

Il est absurde d’opposer les deux. La plupart de nos projets mêlent densification et espaces verts. Allier équipements collectifs et espaces verts avec du logement abordable mais bien pensé est la clé de la réussite. Les derniers projets que nous avons inaugurés le démontrent. Ils n’ont rien à envier aux projets privés de qualité. Ce n’est plus le logement social d’il y a 20 ans. Je veux que l’on y développe des écoquartiers qui fassent référence.

Votre plan est de sortir 500 logements par an. N’est-ce pas trop ambitieux?

Non, pas du tout. Notre objectif est fixé et il sera respecté. Il s’agit d’augmenter notre parc de 4.450 logements dans des projets entamés ou qui vont sortir de terre (2.500 logements réceptionnés, 1.300 chantiers démarrés + 650 acquisitions minimum). Et ce, d’ici la fin de la législature. En travaillant avec le secteur privé, nous pourrons atteindre plus rapidement nos objectifs, que ce soit via l’achat de logement clé sur porte, la reconversion de bureau en logement ou le Public Housing Partnership, un partenariat avec les promoteurs privés.

Ces ambitions restent néanmoins trop faibles pour résoudre la problématique quand on voit le nombre de ménages sur la liste d’attente. Quelles pistes additionnelles faudrait-il mettre en place pour y parvenir?

La construction de logement social ne s’arrêtera pas, quels que soient les résultats futurs. Par contre, cela ne figure pas dans l’accord du gouvernement, mais il faudra bien réglementer un jour le marché locatif privé. Je me battrai pour l’inscrire dans le prochain accord de gouvernement. C’est inévitable pour permettre aux Bruxellois de se loger dans des conditions acceptables. L’augmentation des loyers ne leur permet pas de suivre. Cela se pratique dans certaines villes européennes. L’encadrement des loyers n’est plus un tabou, même si nous restons très conservateurs sur ce point. Les promoteurs privés comprennent la situation et sont ouverts à la discussion. Si on veut que les Bruxellois ne quittent pas leur ville, il faudra lancer le débat. Car la construction de logement social ne sera pas suffisante. Je le reconnais sans problème.

Reste que de nombreux petits investisseurs ont tout misé sur l’immobilier…

C’est ce que la droite nous dit souvent. Je ne crois pas du tout au fait que cela va freiner les investissements. Bruxelles restera toujours attractive, quoi qu’il arrive. Les exemples d’autres villes européennes démontrent que les investisseurs ne se sont pas partis. Il faut simplement bien communiquer sur le sujet et arriver à un accord. L’indexation des loyers est un autre sujet important. Il n’est pas normal de tolérer une hausse des prix de 8%, sans qu’elle ne soit cadrée. Des propriétaires dont le logement est une vraie passoire énergétique vont pouvoir augmenter leur loyer. C’est injustifiable.

C’est un des débats du moment. Comment concilier la mise sur le marché de logements performants sur le plan énergétique avec des logement abordables?

C’est un vrai challenge. Le plan Rénolution (340 millions) doit permettre d’aider les propriétaires à rénover leur bien. Nous y allons ajouter un autre volet: les propriétaires qui s’inscrivent dans le principe du logement conven tionné recevront des primes pour rénover leur bien. Ensuite, il est important que les propriétaires-bailleurs qui reçoivent des primes de l’Etat appliquent un loyer abordable. La mesure devrait être appliquée en 2023.

Il y aurait entre 17.000 à 26.400 logements présumés inoccupés à Bruxelles. En quoi peuvent-ils permettre de résoudre la crise du logement?

C’est moi qui ai lancé cette étude auprès des chercheurs de l’ULB. Nous allons affiner ces chiffres, qui peuvent être un levier d’action important. Seules six communes collectaient des données. La Région a repris la main. Nous allons tenter de les remettre sur le marché en informant les propriétaires des différentes possibilités. C’est une solution supplémentaire pour créer du logement abordable. Nous tablons sur 3.500 enquêtes par an.

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