Le CEO, un fusible sous très haute tension

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Après une décennie favorable, le retour de flamme est violent pour les SIR 
et promoteurs immobiliers. De plus en plus de CEO sont sous pression et doivent établir de nouvelles stratégies pour ne pas sauter. Reste qu’en matière de recrutement, dénicher l’oiseau rare n’est pas une mince affaire.

Olivier Lambrecht (Matexi), Nicolas Beausillon (Wereldhave), Thierry Behiels (Codic), Sven Janssens (Home Invest Belgium), Kasper Deforche (JLL), Nicolas Deremince (Macan), ­Olivier Laporta (Century 21), Nicolas Laporta (Sotheby’s) et on en passe. La valse des CEO a débuté depuis quelques mois, que ce soit de manière intentionnée ou non. Une première vague qui pourrait en appeler d’autres dans les prochaines semaines. Les actionnaires des développeurs, investisseurs et courtiers immobiliers sont en effet sur les dents.

La plupart des CEO ont bénéficié d’une conjoncture particulièrement favorable lors de la dernière décennie pour faire croître les bénéfices de leur société et augmenter leurs parts de marché. Une croissance à deux chiffres était monnaie courante. La confiance des ména­ges dans l’immobilier neuf, des investisseurs attirés par un actif rentable et des taux bas ont contribué à cet engouement. Sans parler du fait que les capitaux coulaient à flot. “Etre CEO est bien évidement un poste exposé et compliqué mais il faut bien avouer que le contexte favorable de ces dernières années a permis à de nombreux candidats d’embrasser la fonction avec succès, lance David Detrilles, managing director de Russell ­Reynolds Associates. C’est aujourd’hui que l’on va véritablement voir ce qu’ils ont dans le ventre.”

Reste qu’il fallait avoir une boule de cristal bien transparente pour anticiper les événements qui se sont abattus depuis quatre ans sur le monde immobilier. L’explosion du télétravail de même que les hausses des taux d’intérêt et la flambée des coûts de construction ont secoué les fondamentaux et jeté à la poubelle toutes les faisabilités financières des projets imaginés par les promoteurs. “Du jour au lendemain, les coûts ont explosé et les marges se sont effondrées, explique Vincent Querton, CEO de la SIR Ascencio et président du conseil d’administration de Befimmo. Il est délicat de parler de défaut de prévoyance dans un contexte pareil même si le rôle d’un CEO est toutefois de pouvoir anticiper toutes sortes d’événements. Il doit être prêt à rebondir face à différentes situations. Quand tout le monde gagne de l’argent, tout le monde est content. Mais quand les objectifs de croissance et les résultats sont sous pression, il est évident que les actionnaires peuvent réagir différemment car l’immobilier brasse beaucoup d’argent. L’equity coûte alors plus cher, la rentabilité est moindre, etc. Dans le monde actuel, les CEO doivent avoir la capacité de mener à bien leurs objectifs et d’anticiper au mieux les problématiques mondiales qui peuvent apparaître. Si ce n’est pas le cas, c’est comme dans le sport, c’est souvent l’entraîneur qui passe à la trappe.”

C’est comme dans le sport, c’est souvent l’entraîneur qui passe à la trappe.” – Vincent Querton (Ascencio)

Les clés d’un bon recrutement

Et si c’est le cas, mettre ensuite la main sur un CEO qui fera grandir et fructifier la société sera l’objectif de tout actionnaire. Reste qu’il peut être compliqué de dénicher un tel talent. Pour y parvenir, il est possible de s’ouvrir à son réseau et d’y puiser la perle rare. La plupart des promoteurs immobiliers et des SIR font toutefois appel ces dernières années à des chasseurs de tête ou à des cabinets de recrutement. “Les procédures diffèrent selon qu’on est une société cotée ou non, pointe Vincent Querton. Dans le premier cas, le recrutement est notamment encadré par la FSMA, l’Autorité des services et marchés financiers. Il est de la responsabilité du conseil d’administration. Les candidats doivent passer devant un comité de nomination et de rémunération. Ce recrutement est souvent encadré par le président du conseil d’administration car posséder un binôme président/CEO performant est plus que conseillé.”

Parmi ces bureaux de recrutement, il y a tout d’abord les grands grou­pes mondiaux qui sont principalement spécialisés dans les fonctions exécutives. Il s’agit des Spencer Stuart, ­Heidrick and Struggles, Korn Ferry, Egon Zehnder et Russell Reynolds Associates. Ce dernier étant le plus actif en matière d’immo­bilier en Belgique. Des bureaux, que l’on définit parfois avec l’acronyme Shrek, qui se sont par exemple occupés ces derniè­res années du recrutement des CEO de Cofinimmo, Befimmo, JLL ou encore Intervest. D’autres acteurs, de taille plus modeste, peuvent également être sollicités. “Chaque demande est spécifique, précise David Detrilles. Cela dépend notamment du statut de la société, de la répartition de ­l’actionnariat (majoritaire ou dilué) de même que de l’objectif même du recru­tement. Il peut s’effectuer dans une période positive pour accélérer le développement de la société à l’international ou dans une période compliquée pour redresser la barre. Les profils proposés seront alors bien différents. Nous sommes plus sollicités dans une période positive.”

La procédure habituelle est relativement classique : une première liste de candidats est établie, avant de sélectionner ceux qui passeront une interview et de ne garder que les deux ou trois profils les mieux classés qui seront soumis au conseil d’administration. “Recruter un CEO n’est pas une mince affaire, estime Grégory Losson, fondateur du bureau de recrutement spécialisé en immobilier Archibald. Ce type de démar­che ne se fait pas au travers d’une annonce en attendant que des candidats postulent. Cela demande une grande connais­sance du marché immobilier et de ses principaux acteurs. Il faut savoir s’adapter aux exigences de l’entreprise qui peut privilégier un profil plus financier, plus juridique ou plus orienté sur le développement immobilier. Certains souhaitent également voir émerger de nouveaux visages et misent sur des profils assez jeunes, ce qui peut parfois s’avé­rer un pari gagnant.”

La clé, pour les deux parties, est en tout cas de ne pas se tromper quand on sait que la rému­néra­tion pour recruter un patron d’une SIR ou d’une grande société avoisine souvent 20 à 25 % de la rémuné­ration annuelle du CEO.

La manière de gérer une société immobilière a profondément évolué. Ce qui nécessite d’avoir 
de nouvelles compétences.

Des capacités de leadership

Si Serge Fautré, Sven Janssens, Kasper Deforche, Jean-Philip Vroninks, Vincent Querton ou encore Sophie Lambrighs ont occupé une fonction de CEO dans plusieurs sociétés immo­bilières, il n’est pourtant pas évident de rebondir après avoir tutoyé les sommets avec une étiquette spécifique derrière le dos. “En effet, c’est relativement rare, relève David Detrilles. L’immo­bilier est un secteur assez fermé. Si les conseils d’administration sont au départ ouverts à accueillir des profils extérieurs, nous observons que lors du choix final, apparaît une volonté de mettre en avant l’expérience dans le secteur immobilier. Le réseau d’un CEO est donc très important, de même que sa connaissance des différents segments immobiliers. Cela laisse peu de place aux choix plus risqués.”

Ces cabinets de recrutement ne disposent toutefois pas d’une liste clé en main de CEO prêts à remplir la fonction. Pour les fonctions exécutives, rares sont ceux qui se proposent spontanément. Ou alors un intermédiaire fait passer le message de sa disponibilité éventuelle… “95 % des candidats recrutés sont employés dans une autre société, pointe David Detrilles. L’important est de bien connaître le marché pour être très réactif au moment voulu.”

La valeur ajou­tée de ces cabinets est en tout cas de s’ouvrir à des profils auxquels n’auraient pas pensé de prime abord ces sociétés. “Un bon profil reste rarement longtemps disponible précise, Grégory Losson. J’avoue que j’apprécie proposer des nouvelles têtes. Il est bien évidemment plus facile d’aller chercher un CEO qui dispose d’une longue expérience en immobilier. Encore faut-il qu’il soit disposé à bouger. Car, aujourd’hui, c’est le candidat qui est en position de force et non plus l’employeur.”

La manière de gérer une société immobilière a en effet profondément évolué. Ce qui nécessite d’avoir de nouvelles compétences. “La vraie nouveauté, c’est la nécessité désormais d’avoir de réelles capacités de leadership, pointe David Detrilles. Les sociétés immobilières sont devenues de véritables entreprises, avec une multitude de départements et de compétences. C’en est fini des immobilières familiales où une expertise juridique et des connaissances en dévelop­pement suffisaient. Fini aussi les développeurs immobiliers qui étaient les dirigeants. Le secteur s’est considérable­ment professionnalisé ces dernières années.”

La vraie nouveauté, c’est la nécessité désormais d’avoir de réelles capacités de leadership.” – David Detrilles (Russell Reynolds Associates)

Les brokers séduisent

S’il n’y a pas de plan de carrière privilégié pour finir CEO, certaines voies empruntées sem­blent toutefois raccourcir le chemin. Quand on voit les CEO actuels, nombreux sont ceux qui sont passés par la case banque d’affaires ou broker. Des gens comme Gaétan ­Clermont (Eaglestone), Paul-Edouard Aubry (Artone), Nicolas Orts (Eaglestone), Maxime ­Xantippe (Alphastone), Vincent Querton (Ascencio), Alexander van Ravels (Baltisse), Alexander Steyns (Downtown), Philippe de Greve (Pertinea) ou encore Frédéric Van der Planken (Whitewood) ont par exemple fait leurs premières armes en tant que courtier avant d’effectuer le grand saut. “C’est une école solide car exposée à un grand volume et une grande diversité de transactions, note David Detrilles. Les brokers sont à la base de l’information, ils peu­vent tisser très rapidement un réseau professionnel important. Ces profils ont donc souvent été privilégiés.”

Si le monde immobilier évolue, il n’en reste pas moins un milieu très masculin dans ses hautes sphè­res. Il suffit de parcourir les pages du Trends Who’s Who Real Estate pour s’en apercevoir.

left La quatrième édition du Trends Who’s Who – Major Actors in Real Estate est sortie ce jeudi. Ce guide immobilier B to B publié en anglais rassemble les 200 plus importants CEO du monde immobilier belge, qu’ils soient investisseurs, développeurs ou intermédiaires. A consulter sur le site de Trends-­Tendances ou à acheter (version papier) via notre boutique en ligne (19 euros).

Les choses changent progressivement mais on compte encore trop peu de femmes qui occupent des postes exécutifs, relève Grégory Losson. Si de plus en plus sont présentes en immobilier et accèdent à des positions élevées, trop peu atteignent encore le statut de CEO. Pourtant, le secteur voit d’un très bon œil la nomi­nation d’une femme à la tête d’une entreprise. Le style et l’approche sont souvent différents.”

Reste que, pour l’heure, les difficultés traversées par le marché immo­bilier ces derniers mois, avec un net ralentissement de l’activité, ont d’indéniables répercussions sur le recrutement des candidats. “Il est vrai que les deman­des de recrutement de la part des sociétés sont en net recul depuis janvier 2023, analyse Grégory Losson. Les sociétés sont pour beaucoup dans une position d’attente et font davantage un écrémage dans leurs équipes pour diminuer les coûts plutôt qu’engager de nouveaux profils. Le secteur a dû et doit encore s’adapter aux nouvelles donnes du marché. Restructurer les équi­pes en interne est souvent une des voies pour y arriver”.

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