Le bâtiment du futur sera neutre en carbone
Concernant la performance énergétique de nos bâtiments, les choses évoluent positivement. Cependant, le secteur immobilier ne peut pas se reposer sur ses lauriers. Dans les années à venir, l’accent sera mis sur les émissions de CO2 liées aux matériaux des bâtiments.
La construction représente environ 40 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre. Il n’est donc pas surprenant que le secteur de la construction et de l’immobilier soit mis à contribution pour atteindre les objectifs climatiques. Et il faut bien le souligner : le message est passé. Sous l’impulsion notamment de la réglementation européenne, le secteur a fait de gros efforts pour améliorer la performance énergétique des bâtiments.
C’est un premier pas important vers des bâtiments neutres en carbone. Mais c’est aussi l’étape la plus facile, affirme Sunita Van Heers, directrice générale de SuReal, une société de conseil en développement durable pour le secteur immobilier. “Les émissions de CO2 des bâtiments peuvent être divisées en deux groupes principaux”, explique-t-elle. “La consommation d’énergie et d’eau fait partie des émissions opérationnelles. Grâce à des mesures de réduction de la consommation et à la production d’énergie renouvelable, nous parvenons à réduire ces émissions opérationnelles. Le deuxième groupe est le carbone incorporé, c’est-à-dire les émissions liées aux matériaux. Il s’agit des émissions de carbone associées à la production de matériaux de construction. Le processus de fabrication du béton, par exemple, est très gourmand en CO2.”
Pour réduire les émissions liées aux matériaux, la première étape consiste à préserver autant que possible ce qui existe déjà. “La rénovation d’un bâtiment existant est généralement plus intéressante qu’une nouvelle construction”, explique Mme Van Heers. “Bien sûr, cela nécessite une structure qui le permette, qu’elle soit nouvelle ou non.”
La deuxième étape consiste à éviter ou à réduire. “Dans le cas d’un immeuble de bureaux, il peut être utile de se poser la question de savoir si l’on a toujours besoin du même nombre de mètres carrés qu’auparavant. Il est également possible de renoncer à des matériaux, par exemple en préservant la structure brute du bâtiment et en ne la finissant pas.”
L’étape suivante du processus de décision consiste à déterminer quels sont les matériaux que l’on peut réutiliser : portes existantes, éléments de façade, sols de salle informatique… “Ensuite, il s’agit de fabriquer les nouveaux matériaux de manière à ce qu’ils soient réutilisables ultérieurement”, poursuit Sunita Van Heers. “Dans nos bureaux, par exemple, il y a des parois démontables, faites de planches récupérées. Finalement, pour tous les nouveaux matériaux, la préférence va aux matériaux recyclés et biosourcés.”
Bilan financier pas encore satisfaisant
Ce développement de projet dit “zéro carbone” combine la réduction des émissions opérationnelles avec des mesures qui visent également à réduire les émissions liées aux matériaux. Jusqu’à présent, l’accent avait été mis sur les émissions opérationnelles, en partie parce qu’il y avait là beaucoup d’économies à faire. “Les investissements visant à réduire la consommation d’énergie permettent non seulement de réduire les émissions de CO2, mais aussi de réduire les factures énergétiques”, explique Sunita Van Heers. “L’utilisateur final voit ainsi directement la différence sur son compte bancaire et y est sensible. La crise énergétique a renforcé cette prise de conscience. Tandis qu’investir dans des matériaux dont les émissions de CO2 sont réduites, cela ne se traduit pas immédiatement par un avantage financier. Au contraire : si cela n’est pas fait de manière réfléchie, les alternatives circulaires tendent à être plus chères. Ainsi, en ce qui concerne le carbone incorporé, le bilan financier n’est donc pas encore satisfaisant.”
Pas encore. Mais Sunita Van Heers est optimiste et pense que la réduction des émissions de CO2 liées aux matériaux peut suivre un chemin similaire à celle des émissions opérationnelles. Grâce aux réglementations, l’Europe accroît déjà la pression sur le secteur de la construction. “À partir de 2027, l’Europe exigera une analyse du cycle de vie des bâtiments qui prendra également en compte les émissions de CO2 liées aux matériaux. Plusieurs pays européens, dont la France et les Pays-Bas, imposent déjà des obligations de réduction de ces émissions. Des propositions de réglementations à ce sujet sont également sur la table dans notre pays. Comme pour le niveau E (le niveau E représente l’ensemble de la consommation énergétique d’une habitation, ndlr), les exigences deviendront progressivement plus strictes.”
Il existe également le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF, ou Carbon Border Adjustment Mechanism – CBAM), un système de taxation sur les importations de matériaux à forte teneur en carbone, tels que l’acier et le ciment. “Ce mécanisme permet d’égaliser quelque peu les prix entre les matériaux provenant de pays dont les objectifs climatiques sont moins ambitieux et les matériaux à faible teneur en carbone produits en Europe”, explique Mme Van Heers.
Des permis plus souples
Jusqu’à récemment, le secteur de la construction, en tenant compte des émissions liées aux matériaux, n’était pas encore obligé de le faire et, dans la pratique, cela se limitait à quelques projets pionniers. Toutefois, la pression exercée sur les promoteurs immobiliers augmente progressivement. Mais ici aussi, on remarque qu’il manque un incitant financier direct, tel qu’une économie sur les coûts énergétiques, pour qu’une telle pratique entre de plus en plus dans les habitudes.
“C’est vrai”, déclare Sunita Van Heers. “Mais à plus long terme, la construction circulaire peut parfois offrir cet avantage financier. C’est pourquoi nous associons aussi une analyse des coûts du cycle de vie à l’analyse du cycle de vie. Si vous tenez compte non seulement des coûts d’investissement, mais aussi des coûts d’exploitation, des coûts d’entretien et des coûts de remplacement, les matériaux à faibles émissions de CO2 peuvent s’avérer plus avantageux.” Elle souligne également que l’innovation et la normalisation croissante des processus de production des matériaux circulaires font baisser leurs prix de revient. Tandis que la pénurie de certains matériaux traditionnels de construction fait grimper ces prix-là.
Un avantage quelque peu inattendu, mais qui ne doit pas être sous-estimé, est un processus facilité pour l’obtention des permis. Sunita Van Heers donne l’exemple du réaménagement d’un immeuble de bureaux sur l’avenue Roi Albert II à Bruxelles. Les architectes SuReal et B2Ai ont conseillé au promoteur immobilier Cores Development de préserver autant que possible le bâtiment existant. “C’est l’un des facteurs qui a permis de faciliter la procédure d’obtention du permis”, explique-t-elle. “Parce que nous sommes restés dans les mêmes volumes et gabarits et que nous avons réutilisé beaucoup de choses, nous avons pu soumettre un dossier de permis relativement facile pour ce qui s’appelle aujourd’hui The Arch.”
Sunita Van Heers souligne toutefois que le chemin vers le développement de projets à zéro émission de carbone est loin d’être exempt d’obstacles. “Il y a encore un manque d’expertise dans le secteur”, dit-elle. “Heureusement, il existe déjà des méthodes standardisées, mais le calcul de l’impact CO2 des matériaux reste un exercice complexe. La réutilisation des matériaux pose également de nombreux problèmes d’assurance. Le stockage des matériaux en vue de leur réutilisation est encore un marché en pleine croissance ; dès lors, il ne compte pas encore beaucoup d’acteurs. La sensibilisation du secteur de la construction et de l’immobilier doit également être améliorée. Néanmoins, le développement de projets zéro carbone parmi les grands acteurs professionnels est tout simplement déjà à l’ordre du jour ; il fait partie de leur stratégie ESG. Et très certainement parmi les acteurs actifs en France et aux Pays-Bas, car dans ces pays, le cadre réglementaire est déjà plus contraignant.”
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