“La densification bruxelloise doit être bien plus qualitative”
La hausse des prix et de la population démontre que Bruxelles reste attractive. Une nouvelle vision de ville, plus ambitieuse, est toutefois espérée. De manière à ce que l’enjeu de la densification du bâti se mêle à ceux de l’amélioration de la qualité de vie, de la verdurisation de la ville et de la durabilité de l’habitat.
Ils se sont déjà croisés mais n’ont pas vraiment échangé. Sunita Van Heers est fondatrice et CEO de Sureal, un bureau de conseil en durabilité destiné aux promoteurs immobiliers. Antoine de Borman est directeur de perspective.brussels, le centre d’expertise de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé notamment de la stratégie de développement territorial. Ils font partie de la nouvelle vague bruxelloise.
TRENDS-TENDANCES. Le débat bruxellois autour de la manière de densifier la ville est particulièrement intense et clivant ces derniers temps. Peut-il trouver une issue positive, vu les positions ambivalentes?
ANTOINE DE BORMAN. Il le faut, nous n’avons pas le choix. Opposer biodiversité et logement n’a pas de sens car le développement de la ville est une réponse forte à la perte de biodiversité liée à l’étalement urbain. Il est surtout nécessaire de proposer une vision qui mêle qualité de vie et densification intelligente. On observe que la ville reste attractive vu qu’il y a de plus en plus d’habitants et que les prix de l’immobilier sont loin de fléchir. Changer d’approche est donc obligatoire.
SUNITA VAN HEERS. Les villes ont clairement un rôle majeur à jouer dans le débat climatique. D’autant plus que la prochaine grande crise concerne la biodiversité. Par rapport à d’autres grandes villes, Bruxelles pourrait en effet encore être davantage densifiée. Mais ce n’est pas pour cela qu’elle sera moins attractive ou moins agréable à vivre. Vivre en ville est un atout. Je pense d’ailleurs que les règlements bruxellois pourraient aller bien plus loin en matière de densification. Ces ambitions devront alors être accompagnées d’une stratégie globale en matière d’espaces publics, d’équipements et d’espaces verts.
Sauf que la densification garde une connotation très négative…
A.D.B. C’est vrai. Quand on parle de densification, tout le monde pense aux tours. Or, entre la villa quatre façades et la tour de 40 étages, il y a une multitude d’habitats possibles. Et peut-être n’avons-nous pas encore suffisamment exploré toutes ces alternatives. Or, cela pourrait permettre de créer une densité plus équilibrée, tout en laissant une place à des espaces publics de qualité. Mais Bruxelles ne doit pas non plus rougir des améliorations qu’elle a connues ces dernières années. Nous avons tendance à nous concentrer sur ce qui ne va pas. Pour ma part, j’ai toujours habité à Bruxelles et j’ai bien vu le chemin parcouru. La ville s’est nettement améliorée, même si je suis conscient qu’il reste énormément de choses à faire. La moitié des habitants à Bruxelles remplissent les conditions pour accéder à un logement social. Il y a une dualisation de la ville. Tout une partie de la population est mal logée.
Faut-il construire davantage de logements pour répondre à la crise du logement ou Bruxelles compte-t-elle suffisamment d’immeubles de bureau vides pour pouvoir y répondre, comme l’affirment certains?
S.V.H. Cette question est plus complexe qu’il n’y paraît. De nombreux immeubles de bureau n’ont pas été conçus pour être reconvertis en logement. Et il faut avouer que si nous laissons le choix aux développeurs, ils se tourneront plus facilement vers une rénovation en bureau car c’est plus rapide et plus rentable. D’autant qu’il y a encore une forte demande pour des bureaux durables situés à proximité d’une gare. Nous voyons heureusement apparaître de plus en plus de projets mixtes (résidentiel et bureau), et cette solution intermédiaire est une évolution très intéressante car elle permet de dynamiser les villes.
Croire qu’il est possible de répondre à la crise du logement uniquement via les reconversions de bureau est un leurre.” ANTOINE DE BORMAN
Où en est l’étude lancée par perspective.brussels qui doit analyser, sur le million de mètres carrés de bureaux vacants, la proportion qui serait reconvertible?
A.D.B. Elle est en voie de finalisation. Elle devrait en tout cas permettre de mettre fin à quelques inepties entendues ces derniers temps. Notamment l’idée que, avec l’augmentation du télétravail, des milliers de mètres de carré de bureau se sont libérés et pourraient massivement être destinés à du logement. C’est loin d’être aussi simple que ça. Certains propriétaires ont éventuellement pu faire des adaptations et mettre certains espaces à louer. Mais avant de quitter un immeuble de bureau, il y a un bail. Et ce n’est pas parce qu’on assiste à une hausse de 20% des heures de télétravail que l’on va diminuer de 20% les espaces. Ce n’est pas aussi mécanique que cela. De nombreux espaces vacants ne sont pas non plus situés dans des zones propices à un changement d’affectation. Enfin, rares sont les immeubles qui se vident en totalité. Or, reconvertir un seul étage pour le transformer en logement quand le reste du bâtiment reste du bureau est complexe. Si on analyse la vacance globale et le nombre d’immeubles qui sont entièrement libres, on passe très vite de 400 à 30 immeubles entièrement vides. Ensuite, il faut déterminer quel est le propriétaire et voir quels sont ses souhaits. Bref, c’est loin d’être aussi simple.
Sans parler des problématiques techniques…
S.V.H. En effet, la reconversion est également parfois compliquée sur le plan architectural: des hauteurs sous plafond trop faibles, un manque de lumière, des difficultés de circulation, etc. A l’avenir, l’objectif sera par contre de parvenir à anticiper les reconversions. Ce sera d’ailleurs inscrit dans le prochain règlement communal d’urbanisme bruxellois.
A.D.B. Croire qu’il est possible de répondre à la crise du logement uniquement via les reconversions de bureaux est un leurre. Il faut aussi produire du logement neuf pour avoir un impact sur les prix. De même qu’il faut aussi évoluer vers une ville qui met en avant l’adaptabilité des espaces en fonction des différents usages. Ils ne doivent pas être déterminés pour un seul usage mais peuvent être mutualisés.
S.V.H. Cet aspect existe déjà pour obtenir les certifications BREAM ou autres. Elles exigent que des recherches soient effectuées pour savoir si le bâtiment sera reconvertible à l’avenir. En prévoyant, par exemple, de pouvoir augmenter la superficie de 30%.
Urban.brussels, l’administration qui octroie les permis d’urbanisme à Bruxelles, souhaite mettre un frein aux démolitions/reconstructions au profit des rénovations. Est-ce que vous partagez cette position?
S.V.H. Démolir un immeuble et le reconstruire n’est pas plus durable que rénover un bâtiment. Il est par exemple possible aujourd’hui de mesurer l’impact CO2 de la démolition/reconstruction. La réponse n’est pas limpide: cela peut en effet être moins cher, c’est peut-être plus facile, mais l’impact environnemental global, notamment par rapport à l’utilisation des matériaux, n’est pas meilleur. Si j’applaudis cette nouvelle stratégie bruxelloise, elle pourrait toutefois laisser à l’état de chancre une série de bâtiments. Car, dans certains cas, l’intérêt de se lancer dans une opération de rénovation n’a aucun sens sur le plan financier ni dans le bilan carbone global de l’intervention.
A.D.B. Si on souhaite vivre dans une ville de qualité, il ne faut plus construire des bâtiments pour 20 ou 30 ans. Mais bien pour 100 ans. Par ailleurs, je suis assez étonné de voir que les autorités politiques ne sont pas alignées sur ces questions. Il y a une Région bruxelloise très volontariste en la matière. Et un niveau fédéral qui réduit le taux de TVA pour les démolitions/reconstructions, ce qui est assez paradoxal pour atteindre les objectifs de durabilité.
S.V.H. Je pense que mettre en place des incitants est nécessaire pour tendre vers des choix plus durables. La reconversion de bureaux en résidentiel est souvent moins intéressante sur le plan financier. Par contre, si on affirme que le respect de certaines règles permet d’obtenir un permis plus rapidement ou entraîne une baisse de la TVA, ce peuvent être des éléments moteurs pour assister à un changement.
Les projets de nouveaux quartiers vont-ils assez loin en matière de durabilité?
A.D.B. Tous les projets de nouveaux quartiers sont particulièrement performants. Ils respectent les règles en vigueur, voire vont parfois au-delà. Mais c’est une vision dynamique, cela évolue constamment. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de se concentrer sur les performances énergétiques mais il faut également anticiper les pics de chaleur par exemple. Le quartier Tivoli (Laeken) est exemplaire et a obtenu une certification du quartier le plus durable au monde en 2020. Mais les techniques évoluent constamment: s’il était redessiné aujourd’hui, on irait certainement encore plus loin en termes de durabilité.
S.V.H. Je pense que Bruxelles n’est toutefois pas suffisamment ambitieuse. Quand on analyse les datas du changement climatique, nous sommes déjà dans les prévisions de 2050. Si tout le monde ne fait pas d’importants efforts, cela deviendra très vite invivable. Que ce soit en termes d’inondations ou de gestion des fortes chaleurs dans les bâtiments, nous ne sommes pas prêts. Même chose pour l’économie circulaire. Par contre, en termes de performances énergétiques, nous sommes bien avancés en comparaison avec d’autres villes mondiales.
Il est possible d’effectuer des rénovations d’envergure, soit à l’échelle d’une rue ou d’un quartier par exemple.” SUNITA VAN HEERS
La rénovation du bâti bruxellois semble être un défi gigantesque. Comment le relever alors que les ménages n’en ont pas les moyens?
A.D.B. Le bâti est ancien et non adapté à une série de normes. Nous devrons jongler avec des incitants et des règlements pour être à la hauteur des ambitions. Parvenir à pousser les propriétaires à rénover leur logement est un vrai défi. Est-il normal de mettre sur le marché locatif des logements qui sont des passoires énergétiques? Non. Mais attention: être ambitieux sur le plan environnemental ne doit pas pénaliser l’accessibilité au logement.
S.V.H. Il est possible d’effectuer des rénovations d’envergure, soit à l’échelle d’une rue ou d’un quartier. Les banques ont également un rôle à jouer via des réductions de taux pour les rénovations énergétiques. La question de l’adhésion se pose aussi. Les habitants sont bien plus ouverts quand on leur parle d’amélioration de leur confort de vie plutôt que de durabilité ou de performance énergétique.
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