La construction s’effondre à la vitesse de l’éclair

Nicolas Bearelle et Alexandre Huyghe (Revive). Copyright: BELGA PHOTO JASPER JACOBS

Depuis 15 ans, Revive est un pionnier de l’immobilier durable. Mais aujourd’hui, le promoteur immobilier gantois travaille dans des conditions de marché difficiles. Pour Nicolas Bearelle, fondateur de Revive, le gouvernement rend les choses encore plus difficiles pour les promoteurs immobiliers : « Il y a une différence fondamentale entre ce pour quoi vous obtenez une licence et ce que la société exige de vous. »

Minerve, un projet résidentiel de Revive à Edegem, est l’un des huit lauréats des ULI Global Awards for Excellence, un prix décerné par la principale organisation internationale de défense des intérêts du secteur immobilier. Une telle reconnaissance ne peut que réjouir Nicolas Bearelle. Un beau pied de nez, quand il se souvient que lors du lancement de Revive en 2009, certains de ses pairs se moquaient des ambitions et des chances de succès du nouveau venu en matière de développement durable : « D’ici cinq ans, ces écolos seront en faillite », disaient-ils à notre sujet.

Quinze ans plus tard, Revive est l’un des principaux promoteurs immobiliers de notre pays et le développement durable est pratiquement la norme. « Si vous n’êtes pas durable ou si vous n’agissez pas aujourd’hui, vous êtes à la traîne », affirme M. Bearelle. En même temps, il note que pour beaucoup d’entreprises aujourd’hui, le développement durable est une case à cocher, une obligation à laquelle elles doivent se conformer. Nicolas Bearelle préfère donc qualifier Revive d’investisseur d’impact.

Le rapport de plus de 100 pages, rédigé à l’occasion des 15 ans d’existence de Revive, montre que le promoteur immobilier gantois a déjà eu un impact considérable. Nicolas Bearelle souligne quelques réalisations : « Nous avons respecté à la lettre notre stratégie consistant à ne faire que des reconversions. Au cours de ces 15 années, nous n’avons pas développé un projet sur une seule zone verte. Avec les projets en cours, nous aurons également converti 100 hectares de terrains asphaltés en espaces verts, en accordant une grande attention à la biodiversité. En matière d’énergie, nous avons toujours fait mieux que ce que nous impose le régulateur. Nous avons ainsi économisé 254 tonnes de CO2 supplémentaires par an. »

Avec cet engagement de vouloir faire plus que ce qui est demandé, Revive se distingue des promoteurs immobiliers traditionnels, selon M. Bearelle. « Nous voulons apporter une contribution positive à la société avec chaque projet », explique-t-il. Cela fait 15 ans que notre slogan est : « Nous construisons la société, pas seulement l’immobilier. Nous créons de la valeur, nous ajoutons quelque chose qui n’existerait pas sans notre intervention. Il peut s’agir d’un impact écologique – comme la réduction supplémentaire de CO2 – mais aussi d’un impact social, par exemple en concevant des quartiers où les gens peuvent se rencontrer et apprendre à se connaître. »

Problème d’accessibilité au marché du logement

Un projet immobilier bien pensé pourrait ainsi apporter une solution au problème croissant de la solitude, cette « maladie de l’abondance totalement méconnue », selon M. Bearelle. Il dénonce les règles d’urbanisme « qui ignorent complètement les réalités démographiques » : « On est encore obligé de construire pour la famille classique avec deux enfants. Mais c’est – peut-être malheureusement – un idéal révolu. La réalité est que les célibataires sont la forme prédominante de la famille. À l’avenir, cette prédominance s’accentuera. Ce sont les statistiques. »

Selon Nicolas Bearelle, cette situation renforce également le problème de l’accessibilité au marché du logement. « Il y a une différence fondamentale entre ce que l’on obtient avec une licence et ce que la société exige de nous. On peut s’attaquer au bas du marché avec des logements sociaux. Nous payons (presque) les impôts les plus élevés au monde, donc l’argent est là. Le terrain est là aussi. Alors, gouvernement, faites ce que vous avez à faire et nous voulons être un partenaire. Et pour le segment supérieur, celui des personnes qui gagnent tout juste trop pour prétendre à un logement social, mais qui ne peuvent plus s’en sortir sur le marché du logement privé, le secteur privé pourrait jouer un rôle. Seulement, les règles ne sont pas conçues pour lui. L’obligation de construire principalement des appartements de deux ou trois chambres, l’aversion pour les studios, les espaces trop petits et les normes obsolètes de superficie par appartement rendent tout simplement le tout plus cher. »

Une suspicion malsaine

Dans le paysage immobilier belge, si Nicolas Bearelle aime positionner Revive comme un acteur quelque peu à contre-courant, sur la question des permis, il est en phase avec ses pairs du secteur : le processus d’octroi des permis doit être plus efficace et plus rapide. « Pourquoi est-ce si difficile ? Je rêve d’une sorte de plateforme sur laquelle nous pourrions télécharger nos plans, après quoi un système d’intelligence artificielle vérifierait s’ils sont conformes aux règles et réglementations locales en matière d’urbanisme. Et si c’est le cas, vous obtenez votre permis immédiatement. »

Nicolas Bearelle est également acerbe concernant les chambres de qualité dans les villes. « Celles-ci avaient certainement leur utilité par le passé, mais la qualité des constructions s’est fortement améliorée entre-temps, y compris à la demande des acheteurs. Nous travaillons avec des architectes de renom. Ces personnes font des études pour cela, des stages, et sont reconnues par l’Ordre des architectes. On peut supposer qu’ils connaissent leur métier et qu’ils peuvent concevoir quelque chose de beau. Mais non, il faut ensuite passer une telle chambre de qualité… Après quoi il faut modifier la façade, utiliser d’autres matériaux et réaménager les appartements. Ces modifications font grimper les coûts de construction. En période de prospérité, vous pourriez peut-être vous le permettre, mais pas actuellement. Le gouvernement devrait plutôt s’efforcer d’accélérer les procédures de permis. S’il veut une chambre de qualité, alors qu’il s’agisse d’une chambre qui facilite, qui accélère les choses, et non d’une chambre qui arrête et/ou retarde les projets. Car, là encore, cela fait grimper le prix de revient. Les promoteurs seront alors montrés du doigt, comme étant les coupables qui rendent les logements inabordables. »

La « lutte justifiée contre les politiques d’arrière-boutique » s’est transformée en de la suspicion malsaine, selon M. Bearelle. « Par le passé, si vous envisagiez d’investir 100 millions dans une ville, vous vouliez certainement savoir si les politiques sont favorables à votre projet. Et vous alliez aussi parler au maire ou à l’échevin compétent. Aujourd’hui, cette démarche est par définition considérée comme suspecte. Les administrations ont beaucoup de pouvoir, même si ces personnes ne sont pas élues. »

Modèle conflictuel

Les promoteurs immobiliers ne doivent pas compter sur de l’indulgence, car le secteur s’est très bien porté ces dernières années grâce à d’excellents chiffres d’affaires et à des marges généreuses, n’est-ce pas ? « C’est vrai », admet Nicolas Bearelle. « Mais la fête est finie depuis longtemps. Dans les années fastes, avant mon arrivée, des marges de 20 à 30 % étaient peut-être possibles. En revanche, de nombreuses sociétés immobilières sont aujourd’hui déficitaires. Si l’on considère les choses sur le long terme, les plus grands acteurs obtiennent des rendements compris entre 8 et 10 %. Est-ce beaucoup ? Dans une période où l’argent est “gratuit”, cela peut sembler beaucoup. Mais si vous obtenez 4 % d’intérêts sur un compte à terme, une marge de 8 % – et donc une prime de risque de 4 % – c’est bien trop peu. Cela explique également pourquoi les partis se retirent, ce qui entraîne une diminution de l’offre. »

Dans le même temps, M. Bearelle admet que le secteur de la construction et de l’immobilier peut encore réduire considérablement ses coûts en se concentrant sur l’innovation et sur d’autres méthodes de construction. Il donne l’exemple d’un projet pour lequel Revive s’est associé à AUAR, une société proptech anglaise qui utilise l’IA générative pour convertir des plans de bâtiments en un système de construction préfabriqué (voir l’encadré Participations dans la proptech et le coliving). « Nous avons ainsi pu réduire les coûts de construction de 15 %. Cela nécessite de s’asseoir au préalable autour d’une table avec toutes les parties concernées, telles que les architectes, les ingénieurs, les spécialistes de l’ingénierie et le maître d’œuvre. C’est là que le bât blesse dans notre secteur : il n’y a pas de chaîne de valeur intégrée. Le modèle conflictuel est ancré dans le processus de construction classique. »

Participations dans la proptech et le co-living
L’année dernière, Nicolas Bearelle est entré au capital de Coloc Housing, un promoteur spécialisé dans les projets de co-living. Coloc Housing rénove d’anciens bâtiments et les réaménage pour les rendre aptes à la colocation.  « Revive se concentre sur des projets de grande envergure. Coloc Housing n’est donc pas un concurrent, mais il propose un concept qui répond à un besoin croissant. Sur le marché locatif bruxellois, plus de la moitié des appartements de deux chambres sont déjà loués à des célibataires cohabitants. Il s’agit d’une cohabitation de fait. En fait, on pourrait s’attendre à ce que les politiques collaborent de manière proactive à la mise en place d’un cadre réglementaire favorable à la cohabitation. Or, c’est le contraire qui se produit. Les villes et les politiques continuent de se méfier de ces nouvelles formes de vie, car ils pensent qu’elles sont réservées aux riches expatriés. À Bruxelles, si l’on parle de cohabitation, on vous jette par-dessus les murs de la ville. Une folie totale, car c’est justement à Bruxelles que la proportion de célibataires est la plus élevée ».
Nicolas Bearelle a également pris récemment une participation dans AUAR, une start-up anglaise qui associe la robotique à l’intelligence artificielle pour construire des unités modulaires. « AUAR propose un modèle à petite échelle et à bas coûts », explique Nicolas Bearelle. « Ces dernières années, beaucoup d’argent a été investi dans le préfabriqué 2.0 : de grandes usines de logements pour la fabrication hors site et l’assemblage sur site. Lorsque le cycle de construction est au plus bas et qu’une telle usine ne fonctionne qu’à 80 %, elle est déficitaire. Par conséquent, certaines de ces grandes usines ont fait faillite. L’alternative d’AUAR est une micro-usine : vous mettez deux robots du secteur automobile – un investissement de quelques centaines de milliers d’euros – dans un entrepôt et c’est parti ».

Entrepreneurs au chômage et investisseurs à la recherche d’un emploi

Le secteur de l’immobilier est en grande difficulté et Revive n’échappe pas non plus à la forte baisse des ventes de logements neufs. 2023 a été la première année déficitaire en 15 ans d’existence. Et pour 2024, Nicolas Bearelle s’attend à des chiffres en demi-teinte. « Si les permis traînent et qu’il faut continuer à payer le personnel pendant ce temps… Nous avons une équipe de quatre-vingts personnes. Nos fonds, logés sous la gestion de Revive Fund Management, réalisent encore des bénéfices acceptables. » Revive prépare un nouveau fonds, qui se concentrera sur des projets de reconversion d’immeubles de bureaux délabrés.

M. Bearelle craint qu’en cette période de turbulences pour le secteur immobilier, « quelques cadavres supplémentaires ne tombent du placard ». Il en va de même pour le secteur de la construction, qui commence à ressentir les retards et les reports de projets. « La construction stagne», déclare M. Bearelle. « Nous recevons un nombre considérable d’appels et de courriels de la part d’entrepreneurs qui cherchent à obtenir du travail. »

Il y a cependant un point positif : le marché de l’investissement immobilier semble se redresser. « Les deux dernières années ont été particulièrement mauvaises pour le marché de l’investissement. Cela s’explique par l’écart important entre les attentes des acheteurs et des vendeurs en matière de prix. Dans le même temps, une grande quantité d’argent a été investie dans les infrastructures – tunnels, ponts, ports – une classe d’actifs présentant un profil de risque similaire à celui de l’immobilier. Cela a considérablement réduit les flux de fonds vers l’immobilier au niveau mondial. Nous l’avons également ressenti. Avec notre dernier fonds, nous visons une levée de 200 à 300 millions d’euros. Cela a été plus lent que prévu. Mais depuis quelques semaines, le climat s’est inversé. Les investisseurs étrangers qui se tenaient à l’écart il y a deux ans nous contactent spontanément pour nous demander : « Qu’en est-il, car nous sommes à nouveau sur le marché. L’écart de prix entre les vendeurs et les investisseurs se réduit également, ce qui donne lieu à des transactions. Je pense que le cycle est en train d’atteindre son point le plus bas. »

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