Immo: “Les politiques doivent se reconnecter à la réalité du terrain”

Hugues Kempeneers et Francis Carnoy © photos: Sven Hanssen

Hugues Kempeneers succède à Francis Carnoy comme directeur général d’Embuild Wallonie. Une passation de pouvoir dans un contexte particulièrement incertain pour la construction. Relance des investissements, dynamisation de la rénovation énergétique du bâti et révision de la fiscalité immobilière figurent en haut du carnet de commandes auprès du gouvernement.

Changement de style et de carrure chez Embuild Wallonie. Les larges épaules de Hugues Kempeneers (34 ans) ont remplacé en début d’année le physique moins imposant de Francis Carnoy (63 ans) à la tête de l’ex-Confédération Construction Wallonie. Trente-cinq ans – dont 18 en tant que directeur général – que le second arpentait les couloirs des politiques pour tenter de relayer les demandes du secteur, avec une ténacité et un talent qui lui sont propres. Si son successeur a fait ses preuves pendant 10 ans au sein d’Embuild Brussels, ce Bruxellois pur jus devra toutefois rapidement s’acclimater à un paysage wallon qu’il connaît moins bien. Car les défis s’annoncent nombreux.

Nous aurons besoin de 80.000 travailleurs. Il faut donc parvenir à attirer davantage de jeunes, de femmes et de migrants.” Hugues Kempeneers

TRENDS-TENDANCES. Quel sera votre premier challenge en arrivant à la tête d’Embuild Wallonie?

HUGUES KEMPENEERS. Avant tout mettre en place nos actions de lobbying pour bien préparer les élections régionales de 2024 et les priorités que nous allons défendre. Embuild a déjà travaillé sur un mémorandum en vue de ces élections. Le volet wallon y est bien évidemment intégré. Cinq priorités ont été définies. Elles doivent permettre que la réalité de terrain puisse être bien comprise par le gouvernement et les administrations.

Quelles sont-elles?

H.K. Renforcer les investissements publics, préserver l’accessibilité financière des logements, résorber la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée, accélérer et simplifier les permis d’urbanisme et accélérer la rénovation énergétique du bâti.

Voilà 10 ans que vous travaillez chez Embuild Bruxelles. La Wallonie, c’est un grand saut dans l’inconnu?

H.K. La colonne vertébrale est similaire. Ce n’est donc pas un saut dans l’inconnu sur ce point. Par contre, les acteurs sont totalement différents. Il faudra un temps d’adaptation.

Vous arrivez à un moment particulièrement tendu pour la construction en Wallonie, avec une pénurie de main-d’oeuvre, une hausse des coûts de construction et une incertitude des promoteurs sur la nécessité de lancer des projets immobiliers d’envergure vu le contexte. L’année 2023 sera-t-elle celle de tous les dangers pour la construction?

H.K. Nous n’avons pas de boule de cristal pour 2023 et 2024. Mais il est clair que les entrepreneurs ont besoin d’avoir davantage de prévisibilité en matière d’investissement. C’est un élément essentiel pour leur croissance. Nous attendons donc un message clair des politiques pour qu’ils soient à la hauteur du plan de relance qu’ils ont élaboré. Il faut accélérer la reconstruction dans les zones inondables. Il faut davantage d’investissement public, ce qui permet de dynamiser l’investissement privé. La construction est au carrefour de toutes les politiques du gouvernement wallon, il faut bien s’en rendre compte.

Hugues Kempeneers
Hugues Kempeneers© photos: Sven Hanssen

Avez-vous l’impression que votre message est entendu?

H.K. Notre objectif n’est pas de nous opposer au gouvernement mais bien d’être un partenaire. Je souhaite développer des partenariats win-win pour avancer ensemble. Prenons par exemple la pénurie de main-d’oeuvre. Nous devons mettre en place des actions avec l’IFAPME, le Forem ou des acteurs privés pour résorber cette pénurie qui est malheureusement structurelle. Il y a entre 6.000 et 7.000 postes vacants. Nous ne pouvons continuer dans cette voie.

Quel bilan tirez-vous de l’action du gouvernement wallon?

FRANCIS CARNOY. Nous n’avons pas à nous plaindre de la qualité du dialogue avec les politiques. Et ce depuis 30 ans.

Et donc le bilan est bon en matière de construction?

H.K. Le rôle d’une fédération professionnelle n’est pas d’être pour ou contre les politiques mais d’être un partenaire. Nous avons un rôle de lobbyiste. Nous ne voulons pas freiner les ambitions du gouvernement mais au contraire l’accompagner et le soutenir.

F.C. Soixante pour cent du plan de relance, c’est de la construction. On ne va pas s’en plaindre. Le contenu est bon mais il faut le mettre en oeuvre. Des groupes de travail planchent notamment sur la pénurie de main-d’oeuvre pour y parvenir.

Justement, comment résorber cette pénurie?

F.C. Il y avait 57.000 travailleurs salariés en Wallonie il y a cinq ans. Nous sommes 62.000 aujourd’hui. Et d’après nos projections, si on triple les besoins via la rénovation du bâti, nous aurons besoin de 80.000 travailleurs. Il faut donc parvenir à attirer davantage de jeunes, de femmes et de migrants.

H.K. Il faudra attirer les jeunes en mettant en place des incitants. Il faut rendre le métier beaucoup plus attractif que ce qu’il n’est. Selon SD Worx, sur dix catégories d’ouvriers les mieux payés, huit sont issus de la construction. C’est donc un secteur qui paie bien, qui propose des avantages extralégaux importants, une stabilité d’emploi, et qui évolue nettement sur le plan digital.

L’enjeu de la rénovation sera le vrai défi des prochaines années puisqu’il faudra multiplier par trois le rythme actuel de rénovation. Comment y parvenir alors qu’il est déjà compliqué de trouver un entrepreneur?

H.K. Le défi est en effet gigantesque. Pas moins de 150 milliards doivent être dépensés d’ici 2050 pour atteindre les objectifs de rénovation du bâti en Wallonie. Les pouvoirs publics n’y parviendront pas tout seuls, ils devront avoir le soutien du privé. Un partenariat public/privé est incontournable. Il y a un million de logements à rénover, il faudra donc clairement trouver un nouveau modèle économique. Reno+, projet développé par Buildwise, la Wallonie et Embuild, doit définir la feuille de route à appliquer. Je pense en tout cas que le temps des études est révolu. Il n’y a plus une minute à perdre. Il faut avancer.

F.C. Il faudrait surtout que les 150 milliards d’euros que nous allons dépenser pour la rénovation énergétique bénéficient au maximum à l’économie wallonne. C’est le but d’un plan de relance. Or, la Wallonie importe beaucoup de matériaux pour exécuter les chantiers. Il est donc nécessaire de réindustrialiser la Wallonie. Il faut réduire notre dépendance aux fournisseurs étrangers. Quand on dépense un euro, cela bénéficie pour 41 centimes à peine à la Wallonie. Il y a donc un taux de fuite de 60% alors qu’il n’est que de 40% en Flandre. Depuis toujours, nous allons chercher les fournisseurs les moins chers, parfois au bout du monde. Je pense que nous sommes arrivés au bout de ce modèle économique.

Certains bourgmestres veulent freiner l’étalement urbain sans densifier pour autant. Cela ne va pas.” Francis Carnoy

La différence de fiscalité immobilière entre la Flandre et la Wallonie devient gigantesque. Quelles pistes préconisez-vous en Wallonie pour dynamiser le nombre de transactions dans un contexte morose?

H.K. Les droits d’enregistrement sont de 1% en Flandre ; il est évident qu’on y a emprunté une voie différente de la nôtre. Notre souhait est de continuer à octroyer des avantages fiscaux mais de les conditionner à une rénovation. Pour le moment, avec le chèque-habitat, nous subventionnons le transfert de propriété. Si le bien est de mauvaise qualité au départ, il l’est toujours par après. Il n’y a aucun upgrade au niveau qualitatif. Lors d’un transfert de propriété, nous proposons donc d’obliger un propriétaire à rénover son bien dans les trois ou cinq ans. Cela peut se faire aussi via une modulation significative des droits d’enregistrement ou via des exonérations temporaires du précompte immobilier. La Région dispose de leviers suffisants pour améliorer l’accessibilité au logement et dynamiser la rénovation énergétique du bâti existant. Mais pour y parvenir, il faut avant tout que les politiques se reconnectent à la réalité du terrain. C’est le rôle d’Embuild Wallonie de relayer les demandes du secteur.

Francis Carnoy
Francis Carnoy© photos: Sven Hanssen

F.C. Comme le renforcement de l’investissement public. Il n’est pas demandé pour effectuer des dépenses inconsidérées mais parce qu’il y a des besoins majeurs en matière de rénovation et d’infrastructures. Cela fait 30 ans que je dénonce la dette cachée et le manque d’entretien du bâti, du rail, des routes ou des canalisations.

Que vous inspire le stop à l’étalement urbain?

F.C. Conceptuellement, c’est une bonne mesure. Car il faut protéger la biodiversité. Mais attention, n’allons pas trop vite! Tous les coûts explosent actuellement, ce n’est pas le moment de provoquer une diminution de l’offre de terrains. Auquel cas, cela va alimenter la hausse des prix de ces terrains, de la construction et de l’immobilier. Donc, oui au stop à l’étalement urbain mais il faut le moduler intelligemment.

Opposer le stop à l’étalement urbain et la hausse des coûts paraît tout de même hasardeux…

F.C. Il y a un double discours entre Région et communes. Certains bourgmestres veulent freiner l’étalement urbain sans densifier pour autant. De grands projets immobiliers sont donc bloqués dans les villes et villages wallons. Cela ne va pas. S’il n’y a plus de foncier urbanisable autour des agglomérations, forcément, l’offre diminuera et donc les prix monteront. Pour densifier les périmètres urbains, il faut être plus ouvert à des projets de plus grande ampleur. D’ici 2030, il y aura 8.000 ménages supplémentaires chaque année en Wallonie. Dire, comme certains, qu’il ne faut plus effectuer de démolition/reconstruction mais se concentrer sur la rénovation ne tient pas la route. Il est encore nécessaire d’augmenter le nombre de logements. La ville doit de toute manière être entièrement repensée. Dans cette optique, les charges d’urbanisme freinent clairement les ambitions. Car il faudrait au contraire des incitants, de manière à amplifier le retour à la ville et freiner l’étalement urbain. On pourrait d’ailleurs également faire évoluer la fiscalité pour inciter les gens à habiter dans les centres.

Vous continuerez à travailler à mi-temps pendant trois ans comme conseiller général. Et ce jusqu’à votre retraite. Quel sera votre rôle?

F.C. Je serai en appui d’Hugues. Ma mémoire de la construction est à sa disposition. Je garderai également quelques mandats, notamment chez Cap-Construction, Promethea ou à l’Union wallonne des entreprises. Mais je ne tiens absolument pas à jouer un rôle de belle-mère! Je quitte la scène et retourne dans les coulisses. Après 40 ans de carrière, j’ai envie de faire autre chose.

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