Entre rationalité et émotions : la délicate transmission des biens immobiliers
Les Belges détiennent un immense patrimoine immobilier. Beaucoup souhaitent le transmettre à la génération suivante de la manière la plus avantageuse possible. Toutefois, ils hésitent souvent à perdre le contrôle sur ce patrimoine, qui est souvent leur résidence principale. Pourtant, il est possible de faire une donation fiscalement avantageuse tout en restant maître de son bien.
Les Belges sont riches et la majeure partie de leur patrimoine est composée de biens immobiliers. Une grande partie de ce patrimoine est entre les mains de la génération plus âgée, ce qui pousse de plus en plus de Belges à réfléchir à la manière de transmettre cet héritage immobilier de façon fiscalement avantageuse à la génération suivante.
La planification successorale des biens immobiliers est en plein essor. Mais au-delà des arguments rationnels et chiffrés qui sous-tendent cette tendance, la transmission et la donation comportent également un volet émotionnel souvent négligé. « La planification successorale et son optimisation fiscale ne peuvent pas être envisagées de manière purement rationnelle, car elles se font en prévision d’un décès. Il y a toujours une dimension émotionnelle », explique Ayfer Aydogan, experte en planification successorale et avocate spécialisée en fiscalité.
Un médiateur sensible aux émotions
Ces émotions prennent davantage de poids avec l’âge. « Même les personnes les plus rationnelles ont du mal à faire une donation. On pourrait penser que plus les gens vieillissent, plus ils réalisent l’importance de faire une donation fiscalement avantageuse. Mais c’est justement la confrontation avec la fin de la vie qui fait que les personnes très âgées hésitent souvent à franchir le pas, contrairement aux sexagénaires ou septuagénaires », constate Ayfer Aydogan. « Les personnes dans la cinquantaine et la soixantaine acceptent plus facilement cette idée que les octogénaires », confirme Bart Chiau, expert en planification successorale chez NN Assurances et professeur invité à l’Université de Gand.
« Une donation aux enfants est irrévocable. Mais il est possible de mettre en place des mécanismes permettant au donateur de conserver une grande part de contrôle. »
Ayfer Aydogan
avocate fiscaliste
Le sujet peut également provoquer des tensions entre parents et enfants. « Les enfants voient les avantages fiscaux d’une donation, mais ils ne veulent pas donner l’impression qu’ils cherchent à obtenir l’héritage de leurs parents. Cela rend souvent la situation très délicate. Il est alors utile d’avoir un intermédiaire capable de comprendre ces sensibilités », explique Ayfer Aydogan.
« Écouter est essentiel pour comprendre ces sensibilités. Certains conseillers en planification successorale poussent presque à la donation, mais il ne faut forcer personne. À l’inverse, il est également inutile d’interdire toute donation », ajoute Bart Chiau. « Mais pour envisager une donation, la relation avec tous les enfants doit être bonne. »
« Chaque famille est unique, et les sensibilités le sont tout autant », affirme Ayfer Aydogan. « Au fil des ans, j’ai appris que, malgré tous les arguments rationnels que l’on peut présenter, si une personne n’est pas convaincue, elle ne fera pas de donation. Les intermédiaires professionnels ne doivent pas exercer de pression. »
Peur des coûts
Il existe cependant des moyens de répondre aux réticences liées à la donation. Les personnes âgées comprennent la logique fiscale de la donation, mais souhaitent tout de même conserver le contrôle de leur patrimoine immobilier. Cela est tout à fait possible, assurent les deux experts. « Une donation aux enfants est irrévocable, mais il est possible de mettre en place certains mécanismes qui permettent au donateur de conserver un contrôle, voire de continuer à bénéficier des revenus générés par le bien immobilier », précise Ayfer Aydogan.
« Il est possible de fixer des conditions à une donation », confirme Bart Chiau. « Par exemple, les parents qui font don de leur maison à leurs enfants peuvent en conserver l’usufruit ou le droit d’y habiter. Des conditions supplémentaires peuvent également être ajoutées, à la discrétion des bénéficiaires de la donation. »
Bart Chiau illustre cela par un exemple : « Supposons que des parents souhaitent faire don de leur maison, d’une valeur de 300.000 euros, à leurs deux enfants. En conservant l’usufruit, la nue-propriété revient aux enfants, qui paient les droits de donation. Ces droits peuvent aussi être payés par les parents. Ces derniers peuvent continuer à vivre dans la maison. Lorsqu’un des parents décède, l’usufruit revient au partenaire survivant, et lorsque ce dernier décède à son tour, la nue-propriété rejoint pleinement les enfants, qui peuvent ensuite se partager la maison de manière fiscalement avantageuse. »
Donner un bien immobilier est fiscalement plus avantageux que de le transmettre par héritage. Les biens mobiliers, comme l’argent, peuvent être donnés sans impôt grâce à un don bancaire, mais un don immobilier doit toujours se faire par un acte notarié, qui est enregistré. Cela entraîne des droits de donation, mais il existe des moyens de minimiser ces coûts.
Deux options pour donner un bien immobilier
Il existe deux options pour donner un bien immobilier : en totalité ou par tranches. « En tranches de 150 000 euros, vous pouvez donner à vos enfants au taux minimal de 3 % (ndlr, 3,3% en Wallonie, 3% à Bruxelles). Cependant, vous devez attendre trois ans entre chaque don pour bénéficier de ce taux réduit », explique Ayfer Aydogan. « Ceux qui choisissent cette méthode doivent bien évaluer la valeur de leur patrimoine immobilier et le temps nécessaire pour le transférer de manière fiscalement optimale. Les personnes avec un grand patrimoine immobilier doivent commencer à donner bien avant leur décès pour maximiser les avantages fiscaux. »
Cependant, les avantages fiscaux ne doivent pas pousser à faire un don imprudent. « Je prends souvent l’exemple de personnes qui viennent de prendre leur retraite », raconte Bart Chiau. « Leur maison est remboursée et ils viennent de recevoir leur assurance groupe. Certains envisagent de donner cet argent immédiatement à leurs enfants, mais ils oublient que la vie d’un retraité actif peut coûter cher. Ils n’ont pas encore une idée claire de leur longévité, des soins qu’ils pourraient nécessiter et de leur coût. C’est pourquoi je conseille toujours de ne pas trop donner, car on ne sait jamais comment la fin de vie se déroulera. »
Rester prudent
Pour de nombreux Belges, la résidence principale représente la partie la plus importante de leur patrimoine. Les taux avantageux des donations peuvent sembler tentants pour transmettre ce bien à temps aux enfants, mais il faut être prudent. « Si la maison familiale est votre seul patrimoine, il ne faut pas la donner précipitamment », avertit également Ayfer Aydogan. « Il est essentiel de préserver le confort du conjoint survivant. Si vous avez donné votre maison à vos enfants, vous devenez dépendant d’eux. Il peut y avoir des discussions sur qui paie quoi pour l’entretien ou les grosses réparations. Et si vous souhaitez vendre la maison, tout le monde doit être d’accord. »
Pour ceux qui achètent encore
Les donations sont avantageuses pour ceux qui possèdent déjà de l’immobilier, mais l’achat démembré est une option sous-estimée pour l’optimisation fiscale. “Cela est particulièrement intéressant pour ceux qui envisagent d’acheter ou d’acquérir des biens », explique Ayfer Aydogan. « Vous pouvez acheter un bien avec vos futurs héritiers et diviser l’usufruit et la nue-propriété. Ainsi, il n’y aura pas de transfert à faire après votre décès. »
Elle illustre cela avec un exemple : « Disons que des parents achètent avec leurs enfants un appartement à la mer d’une valeur de 400.000 euros. Les parents achètent l’usufruit et les enfants la nue-propriété. Si l’usufruit est évalué à 100.000 euros, les parents peuvent transférer les 300.000 euros restants à leurs enfants via un don bancaire, qui est exonéré de droits de donation. Avec cela, les enfants achètent la nue-propriété. Lorsque les parents décèdent, l’usufruit s’éteint et le bien revient sans impôt aux enfants. Le seul risque est que si les parents décèdent dans les trois ans suivant ce don bancaire, les enfants devront payer des droits de succession sur ces 300.000 euros. Pour éviter ce risque, ils peuvent enregistrer le don bancaire chez un notaire, mais cela entraîne des droits de donation. »
Les deux experts notent un intérêt croissant pour la planification successorale. « Lors des soirées d’information, entre cent et trois cents personnes assistent. De plus en plus de personnes s’y intéressent. Tout le monde devrait s’en préoccuper, même les petites fortunes », déclare Bart Chiau. « Il est faux de penser que seules les grandes fortunes ont accès aux techniques d’optimisation fiscale de leur patrimoine. Même les personnes avec un patrimoine modeste ou limité peuvent bénéficier de conseils et de techniques pour le faire », souligne Ayfer Aydogan.
Des milliards en quête de planification successorale
Selon la Banque nationale, le patrimoine immobilier total des Belges s’élève à près de 1 900 milliards d’euros. Une grande partie de ce patrimoine est détenue par la génération plus âgée. « Les baby-boomers d’après-guerre ont accumulé une grande richesse, principalement dans l’immobilier », explique Bart Chiau, expert en planification successorale chez l’assureur NN. Cela signifie que dans les années à venir, tout ce patrimoine passera à la génération suivante. « Des milliards seront transférées à la prochaine génération, car ces baby-boomers, qui ont maintenant entre 63 et 78 ans, vont décéder dans les années à venir. Nous ne sommes qu’au début de cette vague. Elle va augmenter dans les dix, vingt, trente prochaines années », déclare Bart Chiau.
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