Droits d’enregistrement à 3%: “Lier la réduction éventuelle d’un achat au revenu cadastral n’est plus une solution pérenne”
L’une des mesures phares de la nouvelle feuille de route du gouvernement wallon annoncée ce jeudi: la réduction des droits d’enregistrement à 3%, à partir du 1er janvier 2025, pour l’acquisition d’un premier logement. Une mesure réaliste? Et favorable aux petits emprunteurs? Le notaire Renaud Grégoire fait le tour de la question.
La nouvelle mesure de réduction des droits d’enregistrement suscite de nombreuses réactions, et interroge. Certains craignent un problème de transition budgétaire, d’autres y voient là une forme d’injustice qui permettrait à des gens déjà riches de s’enrichir encore plus… Du côté du notariat, réduire les droits d’enregistrement en Wallonie semble être une décision logique. Puisqu’elle permettrait de s’aligner sur les autres Régions. Nous avons posé quelques questions à Renaud Grégoire, notaire et porte-parole de la Fédération des notaires.
Cette réduction des droits d’enregistrement à 3% pour les primo-acquéreurs, est-ce que c’est réaliste? Notamment au regard des finances de la Wallonie?
Sur la question des droits d’enregistrement, je ne suis pas certain que l’impact financier soit problématique sur la durée. D’abord, il faut évidemment éviter de comparer les 3% avec les 12,5%. Pourquoi? Parce que, en Wallonie, vous avez déjà un système de réduction à 6% dans certains cas, quand le revenu cadastral est modeste. Et nous, au niveau du notariat, nous sommes assez convaincus de l’idée que lier la réduction éventuelle d’un achat ou des taxes au revenu cadastral de l’immeuble n’était plus une solution pérenne qui permettait aux citoyens d’avoir une visibilité et de pouvoir choisir où ils voulaient s’installer.
Je prends un exemple: vous achetez un appartement qui va peut-être coûter 175.000€ ou 200.000€ à Wavre, il y a 0% de chance que le revenu cadastral soit inférieur à 745€. Autrement dit, vous êtes certain de devoir payer 12,5% de taxe. Vous achetez pour le même prix une maison en pierre dans un village reculé du Namurois ou du Hainaut. Eh bien, vous allez avoir 95% de chance que ce soit un revenu cadastral modeste. Or, vous avez toute une série de citoyens qui ont envie de s’installer dans des endroits qui soient pratiques, qui n’ont pas envie d’avoir une voiture et qui, parfois seuls, voudraient être dans des villes parce que c’est plus simple… Le revenu cadastral n’était certainement plus du tout un élément qui était pertinent. Et donc la mesure telle qu’elle est proposée, pour le notariat, paraît vraiment être quelque chose qui est en adéquation avec la société moderne.
Après, sur votre question sur la praticabilité financière, on n’a pas encore de détails, je n’ai pas de recul suffisant pour vous répondre. On regarde un peu, on calcule ce que ça va coûter, mais il faut comparer ça avec toutes les mesures qui y sont liées. Il faut savoir que la réduction à 6% va évidemment disparaître. Ce sera 3%, si on est en mesure d’en bénéficier. On va également supprimer l’abattement, qui s’appliquait dans toute une série de cas. On ne payait alors pas de droits d’enregistrement sur la première tranche de 40.000€. Enfin, il y a un autre élément important: ils vont supprimer le régime du chèque habitat, qui est un système de déduction d’impôt par rapport au crédit hypothécaire.
C’est déjà comme ça à Bruxelles et en Flandre. On voit qu’ils se sont quand même alignés sur des mesures existantes. L’avantage, c’est qu’on a du recul sur ces mesures puisqu’on sait que d’autres régions les pratiquent différemment, d’une façon ou d’une autre, depuis déjà un certain nombre d’années. Mais je ne pense pas que cela va avoir le même impact que la question des droits de succession. La conséquence budgétaire de la révision des droits de succession est probablement plus importante.
Et pour les petits emprunteurs? Est-ce une bonne nouvelle?
Globalement, cette mesure va permettre à toute une série de Wallons et Wallonnes, par exemple isolés ou avec de plus faibles revenus, ou qui n’ont pas la chance d’avoir des parents qui vont leur donner des sous pour financer les frais d’acquisition, de pouvoir rentrer sur le marché immobilier. Et donc à ce titre, nous trouvons vraiment que c’est quelque chose de positif.
Quand vous êtes propriétaire d’un bien et que vous voulez bouger, c’est là que ça devient intéressant. Imaginons que vous êtes propriétaire tout seul et que demain, vous vouliez vous installer avec un partenaire dans un autre bien. Vous pouvez bénéficier avec votre partenaire d’un régime de 3%, à la condition que vous vous engagez à vendre le vôtre, par exemple dans l’année. Pour l’instant, ils ont annoncé “à brève échéance”, mais on suppose que ce sera un an. C’est en tous cas ce qui est pratiqué ailleurs, à Bruxelles comme en Flandre. C’est une mesure qui facilite la mobilité. L’idée, c’est que la réduction à 3% n’est pas là pour encourager des gens qui vont faire des placements, mais pour encourager les gens qui vont s’installer dans le bien qu’ils achètent. Et c’est particulièrement ces personnes là que le régime doit évidemment privilégier.
Quid de la suppression du chèque habitat?
On n’a pas encore tous les détails, mais si j’ai bien compris, ils ne vont pas toucher aux chèques déjà en cours. Donc ça veut dire que ça va encore durer plusieurs années, puisque ce chèque est valable 20 ans. “Mais est-ce que ça ne coûte pas moins cher d’avoir le chèque habitat sur 20 ans?”, m’a-t-on déjà demandé? D’abord, on n’a jamais le chèque habitat sur 20 ans parce qu’en général, c’est rare qu’on reste propriétaire pendant 20 ans.
Mais il faut se poser les bonnes questions. Est ce que vous préférez payer 3% au moment de l’achat d’un bien, et bénéficier donc d’une économie de 20.000, 30.000 ou 40.000 euros, quitte à ne pas avoir votre réduction annuelle de 1500€? Ou est ce que vous préférez avoir effectivement cette espèce de ristourne? Moi, je ne suis pas en mesure de vous dire si c’est mieux l’un ou l’autre. Ce que je sais, c’est que c’est au moment de l’achat que, généralement, une réduction est intéressante. Surtout pour les plus petits budgets.
Est ce que vous pensez que la mesure va aider à rebooster le marché immobilier?
Effectivement, on m’a posé cette question: “vous ne pensez pas que ça va profiter aux vendeurs et que les prix vont monter?” Je pense que si cette mesure était sortie il y a trois ans, à la sortie du Covid, dans un marché en ébullition, peut-être qu’effectivement ça aurait encore accentué ce boom. Mais elle arrive maintenant dans un marché immobilier tendu, dans une période un peu plus creuse. Elle va contribuer à soulager un peu le marché.
Au niveau du notariat, on n’a pas l’impression que ça va profiter aux vendeurs parce que c’est une mesure qui ne vise que certains acquéreurs. C’est plutôt quelque chose qui est ciblé, qui est de nature à relancer un pan de l’économie ou à soutenir un pan important de cette économie. Ce n’est pas négligeable. Le marché immobilier, c’est quand même plein d’acteurs. La mesure va permettre de continuer à garantir l’accès à la propriété. Et on sait que la propriété de son immeuble, au niveau économique et sociétal, a énormément d’intérêt en termes de pérennité du niveau du pouvoir d’achat des ménages.
Irons-nous jusqu’à supprimer complètement ces droits d’enregistrement?
La suppression totale des droits d’enregistrement ne me paraît pas quelque chose de faisable. Le fait d’acheter un immeuble ne doit pas devenir comme Amazon, où on commande un truc et on le remballe s’il ne nous convient pas. C’est quand même quelque chose d’invasif: vous avez énormément de frais à côté, vous avez des formalités administratives qui coûtent de plus en plus cher, des renseignements d’urbanisme… Bref, on a vite 2000 ou 3 000€ de formalités, en plus des honoraires… Ce sont des montants importants. Donc aller mettre des droits d’enregistrement à 0% ne me parait pas être une option soutenue. 3%, c’est déjà un cadeau.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici