Planter la pelle dans le sol et construire ! Selon les promoteurs immobiliers, c’est la manière de maintenir le logement abordable. Leur raisonnement : une nouvelle offre réduit la pression sur les prix et déclenche des mouvements de déménagement, ce qui met aussi des logements abordables sur le marché. Les critiques, eux, soulignent les limites de ce mécanisme.
La crise du logement fut l’un des grands thèmes des récentes élections néerlandaises. Les Pays-Bas comptent un déficit de 396.000 unités d’habitation, a calculé le ministère du Logement. L’appel à “construire, construire, construire” a été repris par presque tous les partis politiques.
Chez nous, la pénurie sur le marché immobilier est moins palpable, mais la baisse continue du nombre de permis de bâtir rend un scénario à la néerlandaise tout à fait envisageable. Selon la fédération du bâtiment Embuild, il faudra construire 375.000 logements supplémentaires dans notre pays au cours des cinq prochaines années. “Sinon, nous nous dirigeons droit vers une véritable crise du logement, comme aux Pays-Bas”, a averti le CEO Niko Demeester.
En Belgique aussi, on appelle donc à accroître la production de logements et à lever les obstacles. Un argument souvent entendu en faveur d’une offre supplémentaire est qu’elle améliore l’accessibilité au logement. Le fait que la majorité des nouveaux logements ne relèvent pas immédiatement de la catégorie “abordable” ne serait pas un problème. “C’est une erreur de penser que nous devons construire uniquement ‘pour le bas du marché’. Des études académiques montrent que pour 100 logements neufs construits dans des communes dont les revenus sont supérieurs à la médiane, 45 à 70 logements deviennent disponibles pour des ménages dont les revenus sont inférieurs à la médiane”, déclarait Gaëtan Hannecart, CEO du développeur de quartiers Matexi, dans une interview accordée à Trends-Tendances. Une étude récente d’Itinera, intitulée Un logement abordable grâce à des constructions neuves coûteuses ?, confirme cette affirmation du patron de Matexi.
Les chaînes de déménagements
Comment la construction d’appartements de luxe et de villas peut-elle contribuer à rendre moins chère une maison ouvrière dans un quartier défavorisé ? L’explication réside dans le phénomène des chaînes de déménagements.Une nouvelle construction déclenche des mouvements : les acheteurs d’un logement neuf vendent leur logement actuel, dont les nouveaux propriétaires déménagent à leur tour. Il se crée ainsi une chaîne de transactions au cours desquelles, à chaque fois, un bien meilleur marché se libère. “Lors des premières vagues de déménagement, cet effet reste limité, explique Sven Damen, professeur d’économie et de financement de l’immobilier à l’Université d’Anvers. Mais plus la chaîne avance, plus les logements libérés ont tendance à aboutir auprès des ménages à plus faibles revenus.”
Cela paraît plausible et s’accorde aussi avec le principe économique selon lequel une offre accrue, à demande égale, entraîne des prix plus bas. Cependant, Sven Damen souligne la complexité et l’hétérogénéité du marché immobilier. “Il n’existe pas deux logements identiques, dit-il. Au niveau local, on constate parfois qu’un grand projet de construction neuve peut revaloriser un quartier. Cela attire alors des revenus plus élevés. Dans un tel cas, ce n’est pas seulement l’offre qui se déplace, mais aussi la demande, de sorte que les prix peuvent malgré tout augmenter localement, en dépit de l’offre supplémentaire.”
Utilisation inefficace du parc immobilier
L’affirmation selon laquelle les chaînes de déménagements contribuent à rendre le logement plus abordable n’est donc pas exempte de critiques. Outre l’éventuel effet (localement) inflationniste des prix, dû à une demande accrue provenant de revenus plus élevés, les “sceptiques de l’offre” pointent également l’utilisation inefficace du parc immobilier existant et supplémentaire. Les nouveaux logements servant de résidences secondaires ou qui sont loués via des plateformes comme Airbnb ne soulagent en effet pas la pression sur le marché. L’effet des chaînes de déménagements lui-même est aussi remis en question : si les logements neufs sont occupés par des acquéreurs primo-accédants, aucun logement existant ne se libère.
Le professeur d’économie sociale Christian Nygaard ajoute, dans un article récent, qu’il est irréaliste d’attendre que l’offre de logements puisse être durablement augmentée et maintenue à un niveau bien plus élevé – ce qui est pourtant une condition nécessaire pour que le mécanisme des chaînes de déménagements fonctionne. En outre, souligne-t-il, tout effet positif de l’offre est rapidement annulé si la demande est stimulée en parallèle, par exemple par la hausse des revenus ou le nombre croissant de ménages.
L’affirmation selon laquelle les chaînes de déménagements contribuent à rendre le logement plus abordable n’est pas exempte de critiques.
Construire de manière ciblée
Sven Damen, lui, croit au fonctionnement des chaînes de déménagements. “Il existe de très nombreuses études sérieuses qui démontrent qu’une offre supplémentaire a un effet modérateur sur les prix, y compris dans les segments inférieurs du marché, dit-il. Ce n’est pas simple, car il faut pouvoir établir un lien de causalité. Cela exige une comparaison de l’évolution des prix dans des quartiers similaires où l’offre a ou non augmenté.”
Et c’est précisément là que certaines études, comme celle de Christian Nygaard, qui remettent en cause le mécanisme se trompent souvent, estime Sven Damen. “Elles se contentent d’observer l’évolution des prix là où l’offre a augmenté. Elles ne mesurent donc que des corrélations. Comme les promoteurs préfèrent construire dans les quartiers où les prix augmentent, cela donne une image biaisée. Elles sous-estiment ainsi l’effet de la nouvelle offre sur l’accessibilité.”
En même temps, Sven Damen reconnaît que les chaînes de déménagements ne sont pas une solution miracle à court terme. Ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un processus relativement lent : il peut s’écouler un certain temps avant que la construction neuve haut de gamme ne génère des effets de prix significatifs dans le bas du marché. De plus, il n’est pas facile de résoudre le problème d’accessibilité pour les ménages les plus modestes. Pour une partie de la population, il existe toujours un fossé entre ce que le marché de l’achat ou de la location demande et ce qu’ils peuvent payer.
davantage de logements sociaux ?
Faut-il alors concentrer l’offre supplémentaire principalement sur le segment inférieur, par exemple via davantage de logements sociaux ? “C’est un argument tout à fait valable, répond Sven Damen. De cette façon, on répond directement aux besoins des revenus les plus bas.” Il cite toutefois une étude récente qui a examiné quelle approche générait le plus grand effet de bien-être.
“La conclusion était que cet effet est plus important lorsque l’offre ne se concentre pas exclusivement sur le bas du marché, poursuit Sven Damen. Parce que cela produit des effets positifs sur les prix dans tous les segments, et donc pour tous les groupes de revenus. Un autre point d’attention est le risque d’un effet d’éviction (crowding-out, ndlr) : lorsque le secteur public construit davantage, cela peut réduire l’offre du secteur privé. Malgré cela, je pense qu’il est judicieux de combiner les deux stratégies : créer davantage d’offre, tant au sommet qu’à la base du marché.”
“Il est judicieux de combiner les deux stratégies : créer davantage d’offre, tant au sommet qu’à la base du marché.” – Sven Damen (UAntwerpen)
Alors, faut-il, comme les Néerlandais, “construire, construire, construire” ? Sven Damen nuance: “Je ne plaide pas pour construire partout et sans limites. Il existe des endroits où la construction supplémentaire n’est vraiment pas souhaitable.” Il estime toutefois qu’il est nécessaire d’augmenter l’élasticité de l’offre – très faible dans notre pays. “En résumé, il faut que l’offre sur les bons emplacements puisse croître davantage lorsque la demande augmente”, conclut le professeur.
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