Comment faire baisser les prix de l’immobilier?

Pour envisager une baisse des prix de l’immobilier, il faut aujourd’hui être plutôt imaginatif. Si tout le monde s’accorde pour dire que la raréfaction du nombre de logements fait grimper les prix, la manière d’inverser la tendance et de gonfler l’offre divise. La promotion immobilière, avec ses prix élevés, est même dans le viseur.

Depuis 1990, les prix du marché immobilier belge n’ont baissé que deux fois. C’était en 2009 et en 2014. Et, accrochez-vous, la plus forte correction annuelle s’est élevée à… 0,6 %. C’est dire si l’immobilier belge peut être comparé à un grand paquebot insubmersible qui trace sa route, peu importent les contretemps ou les crises. Il le doit à quelques facteurs favorables qui ne l’ont jamais abandonné, que ce soit un taux d’endettement faible, un taux élevé de propriétaires, une épargne des ménages qui déborde et une stabilité des régimes fiscaux. Même dans le contexte actuel, alors que bon nombre de pays européens ont plongé dans une crise immobilière, il est passé entre les gouttes.

Les prix, par contre, ont continué à grimper. Moins vite que par le passé, mais la tendance perdure. De 2018 à 2023, les prix ont augmenté de 25 %. Et selon ING, on peut s’attendre à un bond de 3 % en 2024 et en 2025. Reste à voir si ces prévisions se concrétiseront, d’autant qu’il faut désormais différencier les évolutions des prix des biens rénovés ou neufs de ceux des passoires énergétiques. “Mais attention : il s’agit de prix nominaux, précise Etienne de Callataÿ, économiste en chef d’Orcadia Asset Management. Si nous prenons en compte l’inflation, les évolutions de prix ont été négatives ces deux dernières années (-4 % en 2022 et – 1,5 % en 2023, Ndlr).”

En Europe, la situation a en tout cas été bien pire qu’en Belgique. Si un krach immobilier a été évité un peu partout, la plupart des marchés européens sont entrés dans une phase de quasi-gel, avec un fort ralentissement du nombre de ventes, une insuffisance des nouvelles constructions et un tassement des prix immobiliers. Selon les données de l’agence de notation Fitch, citées dans un rapport sur l’immobilier mondial publié en décembre 2023, les prix ont chuté de 14 % au Luxembourg, de 5 % en Allemagne, de 2 % au Royaume-Uni et en France alors qu’ils ont légèrement progressé – de 2 % à 3 % – en Italie et en Espagne.

Des baisses qui succèdent à des années de hausses dans des marchés immobiliers où les prix restent historiquement très élevés, ce qui limite l’accession des jeunes à la propriété. Car si l’envolée des coûts de construction affecte tous les candidats à l’achat ou à la rénovation, celle des taux concerne surtout les nouveaux acheteurs et non ceux qui ont déjà emprunté. Une situation qui ne pousse pas les propriétaires – qui ont, eux, des prêts à taux fixe bas – à déménager puisque leur nouveau crédit serait moins avantageux. Un contexte qui ralentit toute la mécanique immobilière, dès lors qu’il y a moins de biens à la vente et d’acheteurs. Et ce ne sont pas les nouvelles exigences en matière de performance énergétique qui vont arranger la situation. Résultat, pour devenir propriétaire de son logement sans aide extérieure, il faut désormais être plutôt créatif. Et croiser plus que deux doigts dans l’espoir d’assister à une baisse des prix.

1. Augmenter l’offre, mais quelle offre ?

Deux théories s’affrontent sur ce plan. D’un côté, celle d’une augmentation de la production de logements qui, en provoquant un choc de l’offre, ferait diminuer les prix. De l’autre, celle qui estime qu’une augmentation du nombre de logements n’a aucun effet sur les prix. En réalité, il semble que la vérité se trouve quelque part entre les deux. “Ce n’est pas parce qu’on construit plus de logements que les prix diminuent, nous disait il y a peu l’économiste Ingrid Nappi, professeure à l’Ecole des Ponts ParisTech. Nous l’avons observé ces 15 dernières années. Nous n’avons jamais autant construit et les prix n’ont jamais autant augmenté. Ce qui fait le prix n’est pas l’offre, mais la demande. Ce n’est pas la construction neuve qui fait diminuer les montants demandés. Il faut différencier les flux du stock.”

Dans la même veine, certains soutiennent que construire davantage entraînerait plus de spéculation et ferait monter les prix, comme on a pu le voir dans certaines grandes villes. “En fait, la contraction de l’offre dans les territoires recherchés provoque des tensions qui font monter les prix de la location, d’une part, et enrayent la baisse des prix attendue dans le segment de l’ancien, d’autre part, quand bien même les taux d’intérêt ont considérablement augmenté, analyse David Miet, CEO de la start-up d’urbanisme Villes Vivantes. Autrement dit : si les effets de l’augmentation de l’offre ne font pas consensus, ceux de sa raréfaction sont plus clairs. Mais le point subtil de la notion de choc de l’offre se situe aussi dans la nature de cette dernière : si le but est d’avoir une baisse de prix, la seule promotion immobilière ne suffira pas. Pour qu’un choc d’offre puisse avoir une contribution positive à la résolution de la crise, il doit être significatif au regard de la demande. Et cela passe par davantage d’autopromotion.”

“La contraction de l’offre dans les territoires recherchés provoque des tensions qui enrayent la baisse des prix attendue dans l’ancien.” – David Miet (Villes Vivantes)

Un constat loin d’être partagé par les acteurs de la promotion immobilière, qui estiment qu’une augmentation de l’offre, ou un moindre retard de l’offre sur la demande, induit une dynamique positive (pour les demandeurs) de baisse des prix. “Il faut clairement augmenter le rythme de délivrance des permis, répète Olivier Carrette, CEO de l’Union professionnelle du secteur immobilier. Cela permettra de diminuer la pression et de faire baisser les prix. On le dit depuis longtemps, il est temps que les politiques agissent.”

2. L’inaccessible ­­promo­tion immobilière ?

Les prix du marché immobilier sont-ils influencés par l’équilibre entre offre et demande, comme pour les matières premières ou l’énergie, ou d’autres facteurs entrent-ils en jeu ? La question semble également diviser. “La promotion immobilière a besoin, pour produire, d’un marché en tendance haussière, explique David Miet. Mais ce n’est pas où on construit le plus que les prix montent. C’est l’inverse : les promoteurs ne construisent que là où les prix montent et sont déjà suffisamment élevés pour absorber les surcoûts de la promotion. Et ils construisent, naturellement, dans des volumes qui ne remettent pas en cause cette tendance haussière. La promotion immobilière ne peut donc pas être la locomotive d’un choc d’offre : les risques pris par les promoteurs ne sont acceptables que dans un schéma haussier des prix de vente. Dès que ceux-ci ne progressent plus, ils s’arrêtent de produire. Dans ce modèle, les volumes ne suivront que si les prix continuent de grimper. Or ils sont déjà trop hauts.”

Ajoutons que le marché immobilier belge est avant tout un marché de biens secondaires. Sur les 210.000 transactions enregistrées en 2023, seules 10 % ont concerné un bien neuf, une moyenne similaire à celle de la dernière décennie. “Une intensification de l’offre d’immobilier neuf peut ralentir les hausses de prix sur les marchés existants supérieurs et haut de gamme, mais n’aura aucun impact sur le marché existant abordable, tranche Eric Verlinden, co-CEO de Goddard Loyd. Pourquoi ? Parce que les prix de revient des promoteurs ont atteint un niveau qui n’est plus compatible avec les budgets les plus demandés par le Belge moyen.”

Produire du logement neuf abordable via la promotion immobilière paraît donc complexe à court terme : le foncier (terrains à bâtir ou immeubles à transformer/démolir) est de plus en plus rare et cher, les prix des matériaux de construction sont élevés et les nouvelles normes environnementales les gonflent encore. Et, surtout, l’actuelle rareté de l’offre permet de maintenir des prix élevés. “En Wallonie, il n’est désormais pratiquement plus possible de vendre un projet en dessous de 3.500 euros/m2, nous disait récemment Bernard Jacquet, CEO du promoteur Aboreal. Ce qui écarte toute une série de communes wallonnes du marché neuf.”

“La tendance va s’inverser”

“Ces dernières années, l’offre de logements en Belgique a augmenté plus rapidement que le nombre de ménages, ce qui a atténué la pression sur le marché, estime Wouter Thierie, économiste chez ING. Toutefois, cette tendance pourrait s’inverser à l’avenir. Les investissements dans la construction de logements ont fortement diminué depuis 2022. En outre, il devient de plus en plus difficile d’exploiter de nouveaux espaces et d’intensifier l’offre. Dans le même temps, le nombre de familles va continuer d’augmenter. Les pénuries de logements resteront importantes et si l’offre ne suit pas, cela pourrait conduire à une plus grande rareté et à des augmentations de prix.”

Un levier sur lequel il est notamment possible d’agir est celui de la taille des logements. Réduire le nombre de mètres carrés permet de compresser le prix, au détriment, certes, de la qualité de vie des habitants. “La production industrialisée et la construction hors site sont d’autres pistes à suivre pour baisser les coûts de production, et donc le prix final pour l’acheteur, pointe Hugues Kempeneers, directeur d’Embuild Wallonie. La mise en place d’une bouwteam (collaboration étroite entre le maître d’ouvrage, l’architecte et l’entrepreneur au stade de la conception) est également un élément qui peut favoriser la diminution de prix. Dans tous les cas, il est nécessaire de construire 225.000 logements d’ici 2030, il faut donc être créatif.”

3. Un électrochoc d’offre foncière ?

Un élément fait l’unanimité tant du côté des urbanistes que des promoteurs et des économistes : le fait qu’un des principaux leviers qui permet d’influencer l’évolution des prix est le foncier. “Comme les coûts de construction ne vont pas baisser et que de nombreuses normes environnementales vont encore les alourdir, une partie de la population est écartée du marché neuf, tranche David Miet. Il n’existe donc en fait que deux leviers pour diminuer la facture : le foncier, et l’augmentation de la production de logements en autopromotion, que ce soit du neuf ou de l’existant reconfiguré. Le choc de l’offre est surtout pertinent sur le foncier. Moins il y aura de foncier, plus les prix vont monter. La clé est donc de créer une abondance de foncier via les permis de bâtir. Car ce sont les prix des terrains qui créent la rareté. La rareté du foncier est aujourd’hui accentuée par les politiques.”

“La production industrialisée et la construction hors site sont d’autres pistes à suivre pour baisser les coûts de production, et donc le prix final pour l’acheteur.” – Hugues Kempeneers (Embuild Wallonie)

Une stratégie qui va toutefois à l’encontre des ambitions de “zéro artificialisation nette”, soit le fait de ne plus construire sur de nouveaux terrains à l’horizon 2050. “L’autre levier consiste à miser sur l’autopromotion, poursuit David Miet. Cette filière a toujours occupé de 30 à 50 % de la production de logements (en Wallonie, elle ­représentait 5.800 logements sur les 15.000 créés en 2018, derniers chiffres disponibles, Ndlr). Elle est plus abordable et permet de densifier les villes via la densification douce (en divisant des jardins, par exemple, Ndlr). La clé est d’enrayer la hausse des prix liée à la rareté.”

4. Qui osera jouer avec la fiscalité immobilière ?

L’évolution de la fiscalité immobilière reste une montagne qu’il semble bien compliqué de gravir pour les politiques, du moins sans risquer la chute. “La Belgique est une terre de propriétaires, confie Roland Gillet, professeur d’économie financière à la Sorbonne (Paris 1) et à l’ULB (Solvay). C’est un élément qui freine les baisses de prix. D’autant que beaucoup d’achats sont réalisés sous le coup de l’émotion et non de la valeur économique du logement. Aujourd’hui, ce sont davantage des facteurs comportementaux que des effets d’offre et de demande qui font évoluer les prix. Mais jouer sur la fiscalité immobilière peut être un élément important ; passer d’une fiscalité basée sur la possession à une fiscalité de l’acquisition peut être intéressant pour favoriser les primo-acquéreurs.”

Si baisser les droits d’enregistrement en Wallonie, du moins pour les primo-acquéreurs, permettrait à ceux-ci de dégager des moyens supplémentaires lors de l’achat, les retombées de la démarche sur les prix seraient plutôt modérées. La Flandre l’a démontré, elle qui a diminué les droits d’enregistrement mais a vu les prix continuer à augmenter. “D’autres pistes existent, lance Etienne de Callataÿ. Prenons deux exemples. Taxer les revenus locatifs au lieu du revenu cadastral aurait des conséquences non négligeables sur les prix. Même chose si on durcit la législation sur l’inoccupation des logements, ce qui va remettre toute une série de biens sur le marché et donc, alléger la pression. Une fiscalité lourde pèse sur les prix.” Ajoutons que les promoteurs souhaitent un retour à la TVA à 6 % sur les opérations de démolition et reconstruction, pour faire diminuer les prix de vente.

Réactions politiques

Christophe Collignon, 

ministre wallon du Logement

“Ces cinq dernières années, près de 2 milliards ont été investis dans le logement. Celui-ci doit clairement être une priorité de la prochaine législature. Parmi les propositions qui se trouvent sur la table, je pense à l’augmentation de l’offre de logement public, avec des procédures plus rapides telles que le partenariat public-privé. La location-achat est maintenant permise dans le logement public, il faudra la stimuler dans le privé. L’ouverture du logement public à des ménages et des personnes à revenus moyens va également permettre à ces occupants de bénéficier d’une aide transitoire de l’Etat, et ainsi d’épargner en vue de devenir propriétaires. Enfin, diminuer les droits d’enregistrement en refondant le système du chèque habitat pour l’orienter vers les jeunes de moins de 35 ans serait une piste très intéressante.”

Nawal Ben Hamou,
secrétaire d’Etat bruxelloise au Logement

“En fait, le problème n’est pas tant de diminuer les loyers et les prix de vente que de savoir comment endiguer leur hausse actuelle et freiner leur explosion. Alors, c’est vrai, nous avons mis en œuvre une politique de construction et d’acquisition volontariste pour étoffer l’offre bruxelloise en matière de logement social (2.000 logements neufs construits et achetés en cinq ans, Ndlr), mais cela ne suffira pas à répondre à la demande actuelle. Il faut être créatif et c’est en ce sens que le gouvernement m’a mandatée pour trouver 15.000 ‘solutions’, pour autant de ménages bruxellois dans le besoin. Mais malgré la multiplicité des outils, des mesures et des aides, cela ne suffira pas si on ne prend pas nos responsabilités via un encadrement des loyers.”

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