Comment adapter les immeubles au changement climatique

© SERGISON BATES ET AWG

La multiplication des phénomènes extrêmes va pousser les promoteurs immobiliers à modifier leurs modes de construction et la manière d’aménager leur site. Une évolution qui est en cours mais qui va devoir s’accélérer. Sans quoi, la facture finale sera importante.

Pas de canicule cet été contrairement à l’an dernier. Mais des inondations séculaires. Sans oublier des tornades ici et là. Le changement climatique continue de produire ses effets sur le territoire, une situation qui devrait encore empirer à l’avenir, ces épisodes extrêmes devant se rapprocher de plus en plus tout en faisant grimper la facture économique pour l’ensemble de la société. Les répercussions sur l’immobilier seront également indéniables. Dans ce cadre, adapter les immeubles et les maisons à ces évolutions semble être une nécessité. “Nous devons redoubler d’efforts pour préparer le parc immobilier européen à résister aux effets du changement climatique”, lançait d’ailleurs la Commission européenne en février dernier, dévoilant sa stratégie pour l’adaptation au changement climatique. L’idée sous-jacente étant d’accélérer la diminution de la vulnérabilité des occupants aux impacts du changement climatique.

Le changement climatique est pris en compte en immobilier depuis les années 1960 et 1970.”

David Roulin (ArtBuild Architects)

En Belgique, les initiatives en la matière sont encore relativement éparses. Cela semble être moins le cas en France, qui possède un coup d’avance en la matière. Son Observatoire de l’immobilier durable vient par exemple de publier un Guide des actions adaptatives au changement climatique, sorte de boîte à outils qui relève les actions (41 au total) à mettre en oeuvre pour adapter chaque immeuble aux risques à venir (vague de chaleur, sècheresse, inondation, submersion marine), les bâtiments imaginés aujourd’hui devant faire face à l’avenir à un climat nouveau, plus instable. “Alors que les coûts de la non-adaptation sont assumés à ce jour principalement par les assureurs, l’augmentation de l’ampleur et de la fréquence des évènements va reporter de plus en plus le coût de cette non-adaptation sur les acteurs de l’immobilier, relèvent les auteurs de ce guide. Et ce par le biais de l’augmentation du prix des primes ou de l’existence de clauses de non-assurance pour des biens très exposés aux aléas climatiques. […] Toutefois, la résilience du bâtiment face au changement climatique est encore trop peu considérée par les acteurs de l’immobilier qui, pour la plupart, n’ont pas connaissance des ressources existantes en termes d’adaptation.”

David Roulin (ArtBuild Architects)
David Roulin (ArtBuild Architects)© PG

Agir à grande échelle

Les nouveaux immeubles de bureaux sont aujourd’hui construits le plus souvent en tentant de respecter les normes Breeam. Une certification environnementale qui permet d’évaluer la durabilité d’un bâtiment et qui possède plusieurs niveaux d’ambition (good, very good, excellent, outstanding). Un volet dédié au changement climatique est déjà prévu (WST 05). L’idée est notamment de prendre en compte les fortes chaleurs, les pluies intenses, les rafales de vente, l’impact de la foudre ou encore des inondations lors de la réalisation d’un projet. “Chaque promoteur détermine le niveau qu’il souhaite atteindre, précise Géry de Biourge, CEO d’Advista, un bureau d’études et de conseils en environnement et en développement durable. Cela dépend bien évidemment de ses ambitions.” Et pour le moment, elles sont plutôt variables, voire très rares sur ce volet de la certification Breeam. “Le changement climatique est pris en compte en immobilier depuis les années 1960 et 1970, lance l’architecte David Roulin, CEO d’ArtBuild Architects. C’est un curseur important de notre réflexion. Elle concerne le bâtiment via une approche bioclimatique mais surtout via la planification urbaine, soit l’environnement global. Des aménagements qui sont normalement pris en main par les pouvoirs publics. Ce volet n’est donc pas neuf pour les spécialistes. Ce qui est neuf par contre, c’est la prise de conscience de ces enjeux suite à la répétition des crises.”

Quand nous réhabilitons un site d’envergure, l’impact que nous pouvons avoir est très important.”

Peter De Durpel (Extensa)

Cette prise de conscience du volet climatique par diverses entreprises a en tout cas poussé une série de promoteurs à changer leur fusil d’épaule et s’adapter à la demande. “Comme partout, il y a les bons et les moins bons élèves, poursuit David Roulin. Un promoteur ne fait pas ce métier pour faire du bien à la planète mais pour gagner de l’argent. Son but restera toujours de construire le plus de mètres carrés le moins cher possible et de vendre ses logements le plus cher possible. Certains ont néanmoins une conscience environnementale plus développée. Notre but en tant qu’architectes est de parvenir à les convaincre du bien-fondé d’effectuer certains choix pour l’avenir. Heureusement, ils deviennent de plus en plus sensibles à l’impact écologique d’un projet.”

Parmi les promoteurs les plus actifs en la matière, on peut notamment citer Extensa, qui redéveloppe actuellement deux sites d’envergure à Bruxelles (Tour & Taxis) et à Luxembourg (Cloche d’or). “Le choix de la localisation d’un projet reste déterminant, explique Peter De Durpel, COO d’Extensa. Il faut être conscient des risques et ne pas provoquer la nature. Lors de la réhabilitation d’un immeuble, l’impact que l’on peut avoir est limité. Par contre, quand nous réhabilitons et redessinons un site d’envergure, comme c’est le cas dans nos deux principaux projets, cet impact peut se révéler très important. Nous nous adaptons donc déjà au changement climatique. Auparavant, la priorité était de développer un projet agréable, confortable, minéralisé et avec un peu d’espaces verts. Aujourd’hui, tout tourne autour de la notion de parc. Les paysagistes sont essentiels. La réflexion est inversée. Elle s’articule autour de l’aménagement de toitures vertes pour réguler la chaleur des bâtiments, de la réutilisation des eaux de pluie voire d’aménagements spécifiques pour réguler le cycle de l’eau. Nous avons par exemple foré un passage sous l’avenue du Port pour évacuer les eaux de Tour & Taxis.”

Peter De Durpel (Extensa)
Peter De Durpel (Extensa)© PG

Ces nouvelles manières d’aménager le territoire ne peuvent théoriquement se traduire en ville que par une densification verticale, de manière à dégager des espaces au sol pour aménager des espaces publics de qualité. Reste à voir si tout le monde souhaitera embrayer dans cette voie. “Mais c’est capital, ajoute Peter De Durpel. A Tour & Taxis, cette densification verticale sera introduite dans la deuxième phase du projet. Cela permettra d’agrandir le parc. Il faudra à ce moment étudier l’impact des fortes rafales de vent sur les immeubles.”

La place des paysagistes dans les projets immobiliers devient de plus en plus importante et devrait encore s’accentuer à l’avenir.

La place des paysagistes dans les projets immobiliers devient en tout cas de plus en plus importante et devrait encore s’accentuer à l’avenir. “Investir dans les aménagements paysagers d’un projet est particulièrement bénéfique pour tout le monde, lance Guillaume van der Vaeren, CEO de JNC International. Si un promoteur peut réserver 7% de son budget global à ce type d’aménagements, nous pouvons déjà réaliser de très belles choses. Bien sûr, certains vont plus loin, comme la projet Bella Vita (Immobel et JCX) à Waterloo où la proportion avoisinait les 20% du budget. Il est en tout cas important de s’adapter. Les appartements sont de plus en plus petits. Avoir des espaces extérieurs pour se rafraîchir et refroidir la température en ville est essentiel.”

Le rôle des pouvoirs publics

Reste que pour faire rapidement évoluer la situation, la balle semble davantage dans le camp des pouvoirs publics, qui doivent déterminer le cadre et les actions à mener, que dans celui des acteurs immobiliers. “Je suis perplexe sur le rôle du promoteur pour faire avancer les choses, note David Roulin. Les autorités publiques ont davantage de possibilités. La stratégie défendue à Bruxelles par le bouwmeester dans le cadre de son deuxième mandat est très intéressante et rejoint les enjeux actuels.” Pour corroborer ces propos, on se rappellera justement ceux que nous a tenus il y a peu Kristiaan Borret, le maître architecte de la Région. “A Bruxelles, les 10 dernières années ont été dominées par la croissance démographique, avec une densification qui a clairement été poussée à son paroxysme; les 10 prochaines doivent par contre être dominées par le réchauffement climatique et la transition écologique. La densification du territoire doit être mise en pause pour se concentrer sur la végétalisation de la ville. Bruxelles doit entrer dans une nouvelle ère. Il faut la laisser respirer”. Pour y parvenir et accompagner cette mutation, un changement des mentalités sera en tout cas obligatoire. “Il y a aujourd’hui trop peu de place dédiée à l’innovation dans la construction et l’architecture, regrette David Roulin. Pour faire face au défi climatique, il faudra dégager du temps et des budgets. Soyons ambitieux.”

L’alternative de la construction sur pilotis

L’initiative ne date pas d’hier. Et n’est donc pas liée aux inondations de cet été. Le promoteur immobilier Christophe Nihon, CEO de Promactif, est en train de construire 10 maisons sur pilotis sur un terrain situé à Bergilers (Liège), en bordure du Geer, le ruisseau local. Un projet situé en zone d’aléa fort sur la cartographie des zones soumises aux risques d’inondation. Il envisage de faire de même d’ici peu à une autre échelle, en construisant un village intergénérationnel de 300 maisons sur le site de 50 ha de l’ex-RTT à Lessive. “Je n’ai rien inventé en construisant sur pilotis, explique-t-il. De nombreuses constructions sont réalisées via ce procédé depuis longtemps. La seule différence, c’est qu’au lieu d’être totalement enfoncés dans le sol, les pieux ressortent ici de 1,3 mètre.”

Un projet situé en zone d’aléa d’inondation faible oblige les constructions à s’élever à 30 cm au-dessus du niveau du sol. Pour ceux situés en zone d’aléa fort, ils doivent par contre être érigés à 1,3 m au-dessus du niveau du sol. “Cette technique de construction sur pilotis est une première en Wallonie. Elle comporte de nombreux avantages. Outre le fait de laisser l’eau ruisseler, elle permet également de respecter la nature, de ne pas perturber la biodiversité tout en n’imperméabilisant pas le sol. Cela peut être une solution à suivre pour faire face au changement climatique. Il n’y a aucun problème de stabilité et ce type de construction peut être réalisé à grande échelle.” Christophe Nihon encourage en tout cas ce type de construction. Deux des dix maisons sont déjà érigées. Alors que pour son projet de Lessive, un recours au Conseil d’Etat ralentit encore le chantier. Depuis, le projet avance donc à petits pas, en misant notamment sur la préfabrication en atelier.

Comment adapter les immeubles au changement climatique
© PROMACTIF GROUPE

“Et le coût est pratiquement similaire à la construction traditionnelle. Ce ne sont jamais que des pieux vissés dans le sol, où ils vont chercher leur portance. La plus grosse difficulté, ce n’est pas de construire sur pilotis, mais de changer la mentalité des gens. Cette option permet de ne pas déplacer des personnes qui habitent dans des zones à risques.”

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