Charleroi, nouvel eldorado des investisseurs immobiliers ?


De retour du Mipim, la grand-messe de l’immobilier organisée à Cannes, Thomas Dermine (PS) est gonflé à bloc, avec l’envie de donner un nouveau coup de fouet à Charleroi. Il est vrai que le Pays Noir dispose de nombreux atouts qui convainquent de plus en plus d’investisseurs, surtout flamands.
Le strass et les paillettes des lieux, les petits fours et le rosé n’ont pu masquer la réalité actuelle. Celle d’un secteur qui a connu la crise et qui met un certain temps à en sortir. La construction de logements neufs est dans le dur, l’immobilier commercial est toujours en crise existentielle, les clients sont hésitants et les banques plus méfiantes. Un signe qui ne trompe pas : la fréquentation du Mipim était clairement en baisse cette année. La pluie s’est même invitée au salon international de l’immobilier qui a pris ses quartiers, durant trois jours, dans le célèbre Palais des Festivals.
Mais cela n’a pas empêché Thomas Dermine de nouer de nombreux contacts sur la Croisette. Principalement en s’exprimant en néerlandais. “C’est tout le paradoxe du Mipim. Il faut faire 1.000 km pour rencontrer des gens qui habitent à moins de 100 km de chez soi.” Mais le bourgmestre de Charleroi s’est prêté volontiers au jeu, présentation sous le bras.
Une ville en chantier
Quiconque s’est promené à Charleroi il y a une dizaine d’années et s’y promène aujourd’hui peut difficilement nier la modernisation des lieux. C’est évident pour la Ville-Basse, avec Rive Gauche, la place Verte, les quais de Sambre, jusqu’à la rénovation de l’Esplanade de la gare Charleroi-Central. Ça commence à le devenir pour la Ville-Haute, avec les récentes rénovations de la place du Manège, autrefois réservée aux voitures, et bien sûr, la place Charles II, qui accueille l’Hôtel de Ville.
Dans les deux cas de figure, il reste du chemin à parcourir. Même Rive Gauche “est un échec relatif”, admet le bourgmestre de Charleroi. Le centre commercial a pourtant accueilli 7,6 millions de visiteurs en 2024, ce qui en fait le quatrième plus fréquenté du pays, avec une croissance deux fois supérieure à la moyenne belge. Mais il reste difficile de capter ce flux pour le garder dans le centre-ville. “Le pari qui avait été fait, celui que Rive Gauche fasse tache d’huile dans l’environnement immédiat, doit encore se matérialiser”, ajoute le socialiste. L’horeca, la culture, le sport, les aires de jeu doivent y contribuer. La Ville-Haute, elle, a largement été désertée par les commerces. Et l’objectif reste le même pour tout le centre-ville : faire revenir les habitants qui ont fui en périphérie, voire plus loin encore.
Quiconque s’est promené à Charleroi il y a une dizaine d’années et s’y promène aujourd’hui peut difficilement nier la modernisation des lieux.
Depuis 2012, 20% du territoire de Charleroi Métropole – 30 communes et 600.000 habitants – a été ou sera remodelé. Pour un investissement public et privé de 3 milliards d’euros, dont 1,5 a déjà été finalisé. Et le potentiel est encore important : quelque 200 hectares de foncier sont disponibles et activables. Notamment pour le développement de pôles économiques et industriels, comme le Left Side Business Park, un projet très ambitieux de bureaux, commerces et logements intégré dans le centre de Charleroi. Il reste également énormément de surfaces disponibles à Gosselies, sur le site Caterpillar, bien sûr, mais aussi au sein du projet Technopôle-Villette, à l’ouest de Charleroi, où sont déjà implantées d’importantes entreprises comme Nexans, Thales Alenia Space ou encore Alstom.

Des atouts incontestables
L’espace disponible, c’est un atout qui ne peut être négligé face à une Flandre saturée et une capitale qui est congestionnée. Le tout, à un prix imbattable. Charleroi, c’est aussi la possibilité de toucher plus de 5 millions d’habitants à 60 minutes de route, jusque dans le nord de la France, et à 1,5 million de personnes en transports en commun. Des arguments qui ne laissent pas les investisseurs indifférents.
L’accessibilité de Charleroi est un autre de ses grands atouts. Avec l’aéroport, bien sûr – 10,5 millions de passagers en 2024 – et quelques projets qui vont bientôt se concrétiser, comme le chantier du métro 5, le ring vélo ou le bus à haut niveau de service (BHNS). Le gouvernement fédéral a finalement abandonné le projet d’implanter une gare à l’aéroport de Charleroi, mais le “véritable gamechanger” est ailleurs, selon Thomas Dermine. “J’ai reçu la confirmation de la SNCB qu’on pouvait réduire le trajet Charleroi-Bruxelles de 55 à 36 minutes, dit-il. Sans investissements. Simplement en supprimant des arrêts. C’est donc une question de volonté politique.”
Ce serait un avantage de plus pour conserver une population dans le centre de Charleroi, mais aussi pour faire grimper le potentiel immobilier. Les entreprises qui voudraient s’y installer peuvent également trouver sur place de la main-d’œuvre. Ce qui était une faiblesse devient une force. C’est une denrée de plus en plus rare, voire inexistante au nord du pays. Évidemment, c’est encore mieux si celle-ci est qualifiée, ce à quoi la Ville s’attelle depuis un certain temps : 7.800 étudiants sont inscrits dans un établissement de l’enseignement supérieur sur Charleroi, avec une croissance de 25% par an au niveau universitaire. Le problème est que cette masse est jusqu’ici très dispersée. Les hautes écoles de Louvain en Hainaut et Condorcet sont réparties sur plusieurs sites, à Gosselies, Marcinelle, Gilly, Montigny-sur-Sambre.
Et c’est le même constat pour l’IFAPME. L’objectif du bourgmestre est de quasiment tout rassembler dans un campus situé dans le centre-ville. Il regrouperait l’UCLouvain, l’ULB, l’UMons, les hautes écoles, mais aussi la formation avec E6K, l’IFAPME et la Cité des Métiers. Une toute nouvelle démographie pour le centre de Charleroi avec 3.000 apprenants dans la Ville-Basse, 2.500 dans la Ville-Haute et 4.000 à dix minutes de transports en commun depuis le centre. Thomas Dermine voudrait aboutir pour la rentrée 2026. C’est demain.

L’extension d’A6K-E6K dans l’ancien tri postal, à deux pas de la gare de Charleroi – Crédits Architectes : Igretec
Caterpillar
Parmi les 200 hectares de foncier disponible, il y a les 93 hectares de l’ancien site de Caterpillar. C’est énorme : une fois et demie la surface du centre de Charleroi. Pendant longtemps, la Ville et la Région ont tenté de retrouver un repreneur unique, avec un double échec cuisant : le constructeur de voitures électriques ThunderPower et le parc d’attractions Legoland, qui s’est retiré au tout dernier moment.
Désormais, le site est divisé en trois lots. Un premier tiers est destiné au secteur des loisirs. “Contrairement à ce que l’on peut penser, c’est un secteur dynamique qui connaît une croissance de 10% par an”, explique le Carolo. L’éditeur Dupuis s’est montré intéressé pour faire de ce site un parc d’attractions Spirou, comme celui qui se situe en Provence, pas très loin d’Avignon. “Ils ont environ six mois pour présenter un plan financier qui tient la route”, poursuit Thomas Dermine. Le deuxième tiers fait environ 50 hectares et est destiné aux acteurs de la logistique. Cinq candidats ont été retenus et devront déposer leur projet définitif à l’été, pour une décision au mois de septembre au plus tard. Il s’agit de cinq acteurs flamands : MG Real Estate, WDP, Watson & Dickens, Logistics Capital Partners et enfin Intervest Offices & Warehouses.
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L’objectif est de faire coïncider les échéances. Si le parc Spirou ne devait pas se faire, il n’est pas impossible que le premier lot soit aussi alloué aux logisticiens. Le tout doit devenir opérationnel pour 2027. Enfin, la Ville de Charleroi se réserve le dernier tiers, plus petit, pour continuer à développer le secteur biotech et pharma, avec des bureaux.
Thomas Dermine a également lancé une perche aux acteurs de la défense, dont John Cockerill qui s’était montré intéressé par le site d’Audi, à Bruxelles. Mais, faute de gouvernement bruxellois, et avec un bourgmestre de Forest pas vraiment chaud pour accueillir une usine d’armement, le bourgmestre de Charleroi a tenté sa chance. “Je ne pouvais pas ne pas au moins essayer”, nous dit-il, sans trop y croire. Car implanter une chaîne de véhicules blindés avec tourelle prend du temps, même si le site pourrait s’y prêter. La sélection définitive des acteurs de la logistique se fera dans quelques mois à peine. Et l’intention n’est pas de leur mettre des bâtons dans les roues avec des projets encore peu concrets.
Ailleurs, les projets d’ampleur ne manquent pas. On peut citer la “megafactory” d’Aerospacelab. L’usine offrira 7.000 m² de surface de production et 4.000 autres de salle blanche. Le chantier a démarré l’année dernière et les premiers satellites à sortir de chaîne sont attendus en 2026. À terme, entre 400 et 500 personnes devraient y travailler. Il suivra d’autres projets emblématiques, comme le data center de Google à Farciennes, l’immense projet d’agrandissement d’A6K-E6K dans l’ancien tri postal destiné à la formation, ou encore le District Cleantech et ses 80 hectares de friches industrielles reconvertis en zone d’activité économique.

Le résidentiel
Thomas Dermine fait du résidentiel un maillon essentiel pour redynamiser Charleroi et son centre. Les prix ont augmenté ces dernières années, mais ils restent largement attractifs. “On est sur une tendance haussière sur les cinq dernières années, confirme Sylvain Bavier, porte-parole de notaires.be. C’est évident pour les maisons, c’est un peu plus stable pour les appartements”, ajoute le notaire qui exerce dans la région. En 2024, le prix médian d’une maison était de 150.000 euros à Charleroi contre 206.000 euros en Wallonie et 370.000 dans le Brabant wallon voisin. C’était 145.000 en 2023. Le prix médian d’un appartement se situait lui à 110.000 euros, en légère baisse par rapport à 2023, “mais rien de particulièrement inquiétant”.
Pour Sylvain Bavier, pas de doute, “l’attractivité du centre de Charleroi augmente. La ville a longtemps été désertée par ses habitants et ses commerçants, mais la politique de grands travaux porte ses fruits. C’est surtout vrai pour la Ville-Basse avec la rénovation des quais, Rive Gauche, l’assainissement des rues, dont le passage de la Bourse. Cela joue également sur le sentiment de sécurité.” Le notaire observe aussi un début d’amélioration dans le haut de la ville, “mais le problème, si je puis dire, se situe plus entre les deux. Au niveau de l’artère entre la Ville-Haute, le boulevard Audent, et la Ville-Basse, jusqu’à la rue de la Montagne”.
“La ville a longtemps été désertée par ses habitants et ses commerçants, mais la politique de grands travaux porte ses fruits.” – Sylvain Bavier (notaires.be)
Les investisseurs en quête de bons coups sont déjà largement présents. “Notamment des Bruxellois et des Flamands”, nous confirme Sylvain Bavier. La ville de Charleroi compte environ 90.000 logements, dont la moitié a été érigée avant 1919. Ce qui en fait aussi un beau terrain de jeu pour les promoteurs. Depuis 2019, 50 projets sont en cours de rénovation pour environ 4.500 logements. Dans son plan de développement résidentiel, le bourgmestre répartit ces projets en trois générations. La première, avec des projets déjà réalisés comme le projet Colisée, juste en face de Rive Gauche, comprend 62 appartements avec un taux de remplissage de 90%, après une commercialisation en 2022. “Contrairement à sa mauvaise réputation, le taux de commercialisation du résidentiel se porte bien à Charleroi”, appuie Thomas Dermine.
La deuxième génération comprend des projets en cours, comme le KISS, 18 maisons unifamiliales et trois immeubles de 69 appartements, lui aussi érigé dans le centre. Pour sa part, le projet Tirou 1 comptera, dès mi-2026, 23 appartements, des bureaux et des commerces, et embellira le boulevard Tirou avec un style d’immeuble “new-yorkais”, selon son promoteur, BPC Group. La troisième génération est pour le moment au stade de plan, mais avec des projets très ambitieux, comme le site Saint-Joseph et ses 340 logements à Montignies-sur-Sambre ou l’îlot Verlaine, dans le centre, avec ses 35.000 m² de logements, hôtel, bureaux, loisirs et commerces.

Projet Tirou 1 – Crédits architectes : Jaspers-Eyers Architects
Un changement de mentalité
Sur papier, avec de tels atouts, chaque investisseur, promoteur ou entreprise devrait débarquer en courant à Charleroi. Ce qui n’est pas encore tout à fait le cas. Parce que la ville souffre d’un déficit de réputation, qui est le fruit d’un déclin qui a duré des décennies. Thomas Dermine croit particulièrement en l’investissement venu du nord du pays. “L’avenir de Charleroi, c’est la Flandre. Au-dessus de chez nous, il y a la zone la plus riche d’Europe. Une zone où il devient impossible d’obtenir un permis avec des prix du terrain industriel qui sont six à dix fois plus chers. Ici, il y a des gens pour bosser, et Charleroi est hyper central, avec un voisinage immédiat de cinq millions de personnes. C’est unique en Europe”, résume le bourgmestre de Charleroi.
“Quand je rencontre des entrepreneurs flamands, ils me disent : ‘Arrêtez de parler de chômeurs et de friches. Vous avez des gens prêts à bosser et du terrain disponible’. C’est le changement de mentalité que Thomas Dermine essaye d’insuffler : “Ce qui était des tares est devenu des atouts. Nous nous sommes construits des barrières mentales qu’il faut aujourd’hui briser. Les Flamands sont demandeurs, j’en ai eu encore la preuve au Mipim avec des intérêts concrets.”
À condition de pouvoir mettre ces personnes au travail. En valeur absolue, 8.000 emplois nets ont été créés à Charleroi depuis 2015. C’est l’une des meilleures performances des grandes villes. Mais beaucoup de ces emplois profitent à des personnes hautement qualifiées qui habitent en périphérie. D’où le défi de développer l’enseignement supérieur dans la cité carolo.
Thomas Dermine se dit “bien conscient” qu’attirer les investisseurs ne fera pas tout, pointant aussi les enjeux de sécurité, de propreté et de densification. Mais cela semble aller dans le bon sens, appuie le notaire Sylvain Bavier : “L’extension du métro, le tram, les chantiers d’embellissement, le Palais des expositions… Toutes ces choses, mises bout à bout, vont finir par faire boule de neige et rendre à Charleroi un peu de sa superbe.” C’est tout le mal que l’on souhaite au Pays Noir.
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