Bureaux : la crise immobilière n’est plus très loin
La pression s’accentue sur les développeurs immobiliers. La hausse des taux a fait fuir les investisseurs et chuter de 20% la valeur des projets. De quoi sérieusement compresser leurs marges bénéficiaires. L’heure est à la revente d’immeubles pour retrouver un peu de cash. La crise immobilière n’est plus très loin.
La récréation est terminée. L’époque où les financements et l’argent facile coulaient à flot est révolue. L’heure est à l’analyse, aux réévaluations du portefeuille et à l’écrémage des actifs les plus problématiques. Le marché de l’immobilier professionnel connaît de sérieuses secousses. Et personne ne peut prédire la longueur des ondes qui frapperont ses principaux acteurs.
La hausse des taux d’intérêt décidée par la Banque centrale européenne depuis l’été dernier a des conséquences en cascade. Dès lors, si le besoin d’acheter des bureaux modernes répondant à toutes les normes énergétiques de durabilité est bien présent, l’envie de passer à l’action l’est nettement moins vu ce contexte économique particulièrement fragile. Résultat: un marché de l’investissement au ralenti depuis plus d’un an.
Il faut revoir toutes les évaluations immobilières des projets.”
Cela a démarré en mai dernier pour s’accélérer depuis janvier. Sur les cinq premiers mois de l’année, des transactions de bureau d’une valeur d’à peine 250 millions d’euros ont été conclues en Belgique, selon les chiffres du conseiller en immobilier JLL. Soit 88% de moins qu’en 2022 (2,2 milliards). Tous segments confondus (bureau, logistique, commerce, industrie), il a été vendu pour 1,2 milliard d’immobilier, pour 4 milliards un an plus tôt.
“La hausse des taux et l’évolution des conditions de financement font qu’il faut revoir toutes les évaluations immobilières des projets et donner des nouveaux prix de vente, lance Grégoire de Montpellier, director advisory Belgium chez BNP Paribas Real Estate. Ce qui change complètement la donne pour les promoteurs. Il n’y a actuellement pas d’équilibre entre ce que les investisseurs sont prêts à payer et ce que les vendeurs (les promoteurs, Ndlr) sont prêts à accepter. Et ce, même si les liquidités sont bien présentes dans le chef des investisseurs pour des actifs allant jusqu’à 50 ou 60 millions. Au-delà, l’attentisme et la prudence sont encore plus marqués.”
Et Adrian Glatt, head of capital markets Belux chez JLL d’ajouter: “Les transactions concernent pour le moment le plus souvent des family offices qui ne veulent pas aller au-delà de 20 millions. Investir peu pour perdre peu est leur nouvel adage. Alors que les investisseurs institutionnels, comme les fonds de pension, attendent une stabilisation des taux pour passer à l’action”.
22% de chute
Il faut dire que la chute est vertigineuse. Selon JLL, la valeur des immeubles de bureau a baissé de 11% par rapport au début de l’année et de 22% par rapport au premier trimestre 2022. Cela signifie qu’un immeuble dont la valeur de sortie était estimée à 100 millions ne vaut dorénavant plus que 78 millions. Un retour aux standards de 2018.
“Et il ne fait aucun doute que ces immeubles ne retrouveront pas leurs anciennes valeurs”, précise Adrian Glatt. Une catastrophe pour les développeurs immobiliers qui doivent revoir toutes les faisabilités financières de leurs projets. Ou constater que la compression de leurs marges rend impossible toute réalisation.
“Les investisseurs ne sont pas encore prêts à passer à l’action, appuie Pascal Mikse, head of research Belux chez BNP Paribas Real Estate. Il faut que les prix et les rendements se stabilisent pendant quelque temps. Le rendement de 4,4% qui a été défini en avril dernier lors de la vente par Nextensa de l’immeuble Treesquare est le seul étalon de comparaison valable. Il ne descendra pas en dessous dans le CBD (qui rassemble les quartiers européen, Nord, Louise et Pentagone). Cela signifie donc que les vendeurs doivent se contenter d’un prix de vente plus bas car l’acheteur exige un rendement plus élevé en raison de l’augmentation des alternatives pour l’immobilier. Il veut donc payer moins. Vu qu’il faut de six à neuf mois pour boucler une transaction et que les rendements pourraient encore augmenter, je ne vois pas le marché rebondir en 2023. Ce sera une très faible année.”
Ajoutons que la décote est encore plus importante (de 15 à 20%) pour les immeubles qui ne disposent pas de toutes les normes ESG. Un marché à deux vitesses s’est donc dessiné encore plus clairement ces derniers mois dans l’immobilier de bureau.
Des loyers qui compensent
Pour les développeurs, cet effondrement des valeurs rebat sérieusement les cartes. Certains ont acheté leurs immeubles à un prix élevé et ne peuvent plus le valoriser dans les mêmes conditions. Sans parler du fait que les conditions de financement ont également évolué. Un contexte économique qui, pour ceux qui peuvent se le permettre, poussent les développeurs à retarder la vente de leurs actifs, histoire de diminuer les pertes. Alors que d’autres, ceux qui se sont financés essentiellement via l’endettement, ont clairement le couteau sous la gorge.
Atenor est le premier à avoir ouvertement communiqué sur le sujet mi-mai. Le promoteur la hulpois a annoncé vouloir vendre 10% de ses projets avec des marges réduites, voire à perte. Une augmentation de capital est aussi au programme. Aucune information n’a toutefois filtré sur l’identité des immeubles mis à l’étalage, histoire de garder un certain poids lors des négociations.
Le contexte n’est clairement pas favorable pour le moment.
“Beaucoup d’autres promoteurs sont dans la même situation, précise Adrian Glatt. De nombreux projets et immeubles vont donc être mis sur le marché. Cela s’explique par trois raisons: les taux augmentent et ils n’arrivent plus à se financer, les rendements augmentent et les valorisations plongent alors que les taux d’endettement sont également à la hausse. Sans oublier que les promoteurs doivent vendre pour faire tourner le capital et retrouver du cash. Autant d’éléments qui font que le marché se retourne complètement.”
Selon De Tijd, le promoteur et investisseur anversois Brody connaît également les mêmes difficultés. Son portefeuille de projets serait en vente. D’autres devraient suivre. “La situation est clairement compliquée pour de nombreux promoteurs, reconnaît Olivier Carrette, le CEO de l’Union professionnelle du secteur immobilier. Je ne donnerai pas de noms mais le contexte n’est clairement pas favorable pour le moment. Il ne faut pas généraliser puisque la situation de chacun dépend de la manière dont ils se sont financés. Ceux qui ont un niveau d’endettement élevé souffrent le plus. Mais après 10 belles années, il faut accepter de voir ses marges bénéficiaires se réduire quelque peu. Il y a un certain retour à la normale. Les promoteurs devront se montrer créatifs pour s’en sortir.”
Notons que la situation aurait pu être bien pire si les loyers n’avaient pas – enfin – augmenté ces derniers mois. “Cela aurait en effet pu être bien plus catastrophique, explique Cédric Van Meerbeeck, head of research & marketing chez Cushman & Wakefield. Cette hausse des loyers compense quelque peu les baisses de prix. Les promoteurs ne s’attendaient pas à atteindre de tels niveaux de loyers (à 330 euros/m2, Ndlr). Ils auraient donc pu perdre bien davantage.”
Ce contexte particulier arrange bien évidemment ceux qui ont peu acheté ces dernières années et qui disposent de fonds propres suffisants pour réaliser l’un ou l’autre achat opportuniste. Et il y en a quelques-uns. “Un groupe comme Nextensa rentre clairement dans cette catégorie”, souligne Grégoire de Montpellier. Des acteurs qui disposent derrière eux de grandes familles pour les soutenir sont également en position de force puisqu’ils peuvent attendre plus patiemment un rebond du marché. On pense à des groupes comme Alides ou Baltisse, soutenus par les familles Maes et Balcaen. Alides vient d’ailleurs d’acheter le Loi 57 à Cofinimmo (10.000 m2), entièrement loués à Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP, qu’il redéveloppera à terme. Quant à AG Real Estate, son positionnement le rend également moins vulnérable.
“Avec les nouvelles conditions de financement, ces projets sont clairement moins rentables.”
“Nous avons été moins offensifs ces derniers temps, cela signifie que nous pouvons observer attentivement les opportunités qui vont arriver sur le marché et nous positionner dessus, lance Serge Fautré, le CEO d’AG Real Estate, qui évoque également la possibilité de retarder le lancement de certains projets de bureau: “Notre endettement est faible. Il y aura donc des affaires à faire, j’en suis certain.”
D’autres développeurs cherchent quant à eux des partenaires pour faire aboutir leur projet, histoire de limiter les risques. “Cela concerne notamment les promoteurs qui ne disposent pas encore de leur permis pour redévelopper un immeuble, fait remarquer Grégoire de Montpellier. Egalement les développements résidentiels dans les villes secondaires qui n’ont pas vu leur valeur subitement augmenter. Or, avec les nouvelles conditions de financement, ces projets sont clairement moins rentables. D’autant qu’il y a moins de particuliers à l’achat pour le moment. Cela pourra par exemple faire l’affaire d’acteurs plus petits qui disposent de cash et qui ont davantage de temps. Straco ou Equilis notamment. Ils pourraient profiter de l’occasion pour se constituer une banque foncière.” Précisons qu’il est bien plus compliqué d’être opportuniste en matière de bureau vu que les coûts d’immobilisation sont nettement plus élevés (taxe, assurance, frais de maintenance).
La suite? Les investisseurs devraient repointer le bout de leur nez dès que les taux se stabiliseront. “Ce que nous pouvons attendre d’ici l’automne, pointe Michael Despiegelaere, head of capital markets chez Cushman & Wakefield. Les investisseurs espèrent connaître une période de stabilité de deux trimestres pour repasser à l’action. Les vendeurs devront également s’acclimater à ces nouvelles données financières. On peut espérer que le marché repartira quand ses deux conditions seront remplies. Avec un retour des acteurs institutionnels, eux qui font défaut pour le moment.”
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