Bâtir sur autrui, c’est bâtir pour autrui, même en cas de divorce

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Il arrive que des époux construisent leur maison sur un terrain appartenant à l’un d’eux, ou que l’un investisse beaucoup d’argent dans la propriété de l’autre. Que deviennent terrain et maison si le couple divorce ou se sépare ? Qui devient propriétaire de la maison achetée ou rénovée en commun ?

Jean et Anne-Marie viennent de convoler en justes noces et souhaitent construire leur maison sur un terrain appartenant à Anne-Marie, qui l’a reçu par donation de ses parents. La situation de Maryline et David est semblable : ils réalisent ensemble d’importants travaux de rénovation dans une maison appartenant à David, qui l’a achetée avant le mariage. Que se passera-t-il si ces couples divorcent ? A qui reviendra la propriété de la maison ainsi construite ou rénovée ? Le partenaire qui a investi dans la maison reste-t-il sur le carreau ou peut-il prétendre à une compensation financière ? Droit d’accession Les modalités de propriété d’une maison érigée sur le terrain d’un tiers sont régies par le droit d’accession. Concrètement, cela signifie que le propriétaire du terrain acquiert automatiquement la propriété de tous les ouvrages (bâtiments ou constructions) qui s’y trouvent. L’adage ne dit-il pas que bâtir sur autrui, c’est bâtir pour autrui ? Cette règle générale vaut en principe également pour les époux et les cohabitants. L’époux ou le partenaire qui est propriétaire uniquement du terrain reçoit donc automatiquement la propriété des bâtiments qui se dressent sur ledit terrain, indépendamment de celui des deux qui a effectivement financé la construction ex novo ou les travaux de rénovation.

Le droit d’accession s’applique même lorsque les époux ont construit ensemble la maison pendant le mariage avec le patrimoine commun – tel que les revenus professionnels qu’ils ont accumulés ensemble pendant le mariage – ou qu’ils l’ont chacun payée avec leurs fonds propres, par exemple avec de l’argent hérité. Même si le partenaire à qui n’appartient pas le terrain a entièrement construit la maison à ses frais, le propriétaire du fonds deviendra plein propriétaire de la maison. En cas de divorce, le propriétaire du terrain peut donc conserver à la fois le terrain et les briques.

Pour que cela ne soit pas le cas, l’époux propriétaire du terrain doit accepter le rachat par son partenaire d’une partie de la maison. Mais ce n’est pas si simple : le fait que la maison soit la propriété de l’un des époux n’empêche pas le juge de paix d’éventuellement autoriser celui qui n’est pas propriétaire à occuper malgré tout ce logement à titre provisoire pendant la procédure de divorce ou dans le cadre de mesures urgentes et temporaires. L’époux propriétaire doit alors déménager (temporairement) mais il peut demander une indemnité à l’autre conjoint en échange de cette occupation temporaire.

Compensation financière A première vue, l’application du droit d’accession est injuste. La construction ou rénovation d’une maison coûte en effet pas mal d’argent, parfois même davantage que la valeur du terrain. Heureusement, le législateur a prévu une solution sous la forme d’une compensation financière pour celui qui perd son droit de propriété sur le bâtiment ou la rénovation. Les dispositions précises dépendent du régime matrimonial des époux. Le régime légal Les partenaires mariés tombent sous le coup du régime matrimonial légal s’ils n’ont pas signé de contrat de mariage ou ont stipulé contractuellement que le régime légal était d’application. Le régime légal est également appelé régime de la séparation des biens avec communauté d’acquêts. Les propriétés et dettes des deux partenaires avant le mariage demeurent propres. Tout comme les héritages et donations reçus pendant le mariage. Tombent en revanche dans l’escarcelle commune tous les revenus et dettes générés pendant le mariage.

En cas de régime légal, la loi prévoit que le partenaire propriétaire du terrain – et donc également de la maison — doit indemniser l’autre partenaire. Si les époux ont, par exemple, contracté un emprunt pendant leur mariage pour financer la construction de la maison et que cet emprunt est remboursé avec des fonds communs gagnés pendant le mariage, l’époux propriétaire du terrain et de la maison devra verser une indemnité à l’autre partenaire. L’époux non propriétaire percevra également une indemnité s’il a investi ses propres deniers — par exemple dans le cadre d’une donation reçue — dans la construction ou la rénovation de la maison.

Par ailleurs, la loi fixe également le montant de cette indemnité : au moins aussi élevée que le montant du patrimoine commun ou que le patrimoine propre de l’époux non propriétaire investi dans la maison. L’époux non propriétaire reçoit donc la moitié du patrimoine commun ou la totalité du patrimoine propre qu’il a investi.

Pour déterminer l’indemnité exacte, il convient donc d’établir la valeur des biens immeubles — les bâtiments — et le montant de l’investissement propre consenti par le non-propriétaire ou par le patrimoine commun. Si la maison a pris de la valeur depuis l’investissement, ce qui est généralement le cas, cette augmentation de valeur devra être intégrée dans l’indemnité.

Prenons un exemple : des époux ont fait construire une maison de 200.000 euros en 1995 avec leur patrimoine commun sur un terrain appartenant à madame, d’une valeur de 100.000 euros. En 2014, les époux divorcent. A ce moment, la maison vaut 300.000 euros et le terrain 150.000 euros. Une indemnité de 300.000 euros doit donc être versée au patrimoine commun, dont l’époux non propriétaire (monsieur) perçoit la moitié, soit 150.000 euros.

A l’inverse, si la valeur du logement a baissé au moment du divorce (par exemple à 180.000 euros), monsieur touchera tout de même 100.000 euros, ce qui représente la moitié de l’investissement réalisé en commun. Dans la pratique, il est dès lors important de déterminer la valeur précise du terrain et de la maison. Un expert sera donc diligenté pour procéder aux estimations si les deux époux ne parviennent pas à un consensus. Les époux peuvent désigner ensemble ce tiers ou laisser ce soin à un notaire ou un tribunal. L’estimateur estimera séparément le terrain et le bâtiment et la valeur des investissements issus du patrimoine propre de l’époux non propriétaire et du patrimoine commun dans la maison.

Enfin, il existe également une suspicion à l’avantage du patrimoine commun. S’il est impossible de démontrer avec quels fonds la maison a été construite ou rénovée, on supposera que les travaux ont été financés par le patrimoine commun. Si l’époux non propriétaire affirme qu’il a investi ses propres deniers dans la maison, il devra le prouver.

Le régime de la séparation de biens Sous le régime de la séparation de biens, il existe en principe uniquement des biens et dettes propres. L’époux non propriétaire qui a investi ses fonds propres dans la construction ou la rénovation de la maison qui appartient à l’autre conjoint peut également prétendre à une indemnité. Le non-propriétaire devra alors prouver deux choses : il devra tout d’abord apporter la preuve qu’il a effectivement investi dans la maison. Cette démonstration peut être faite en produisant des factures et autres preuves de paiement. Ensuite, il devra exposer le fondement juridique sur la base duquel il réclame le montant. Ainsi, le conjoint non propriétaire peut-il notamment arguer qu’il a accordé un emprunt au propriétaire ou qu’il a procédé à une donation, qu’il révoque désormais.

Pour éviter les discussions a posteriori, il vaut donc mieux stipuler des conventions claires sur papier au moment de l’investissement. Il est, par exemple, préférable de consigner le montant investi par le conjoint non propriétaire dans la maison et la raison pour laquelle ce montant a été mis à disposition (par exemple, pour un emprunt ou une donation). Attention : quiconque ne peut pas établir ce type de document. Compte tenu des sommes en jeu, mieux vaut demander conseil à un spécialiste, un avocat ou un notaire.

JOHAN STEENACKERS

Notre conseil Si une maison est construite sur un terrain qui est la propriété d’un seul des partenaires mariés, la maison devient la propriété intégrale du propriétaire du terrain, en vertu du droit d’accession. Cependant, une indemnité financière est prévue pour le non-propriétaire, tant lorsque les époux sont mariés sous le régime légal que sous le régime de la séparation de biens. Pour éviter toute contestation lors du divorce, le droit de propriété peut aussi être divisé entre les deux partenaires par un contrat de mariage notarié. C’est plus spécifiquement le cas lors d’un apport du terrain dans le patrimoine commun. Quoi qu’il en soit, faites-vous assister sur le plan juridique.

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