Xiaomi, le chinois qui veut connecter le monde
Créé il y a seulement huit ans, le groupe chinois s’est hissé au 4e rang mondial des fabricants de smartphones avec des modèles de qualité. La prochaine étape : entrer dans les maisons pour y vendre des services.
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Ils sont des milliers de fans à s’amasser fébrilement devant les grilles de la salle omnisports de Shenzhen, au sud de la Chine. Le soleil de plomb qui s’abat cet après-midi de mai n’entame pas leur enthousiasme. Vêtus de tee-shirts rouges et munis de banderoles, ces jeunes Chinois – des garçons pour la plupart – attendent ce show avec impatience. Leur idole ? Lei Jun, le fondateur du fabricant de mobiles Xiaomi, l’une des icônes de la high-tech chinoise.
L’homme, 48 ans, est régulièrement comparé à Steve Jobs. Une référence qu’il se plaît à cultiver. Chemise blanche, jean, baskets, le voilà qui s’élance dans un keynote digne de ceux d’Apple, dévoilant sous les applaudissements des ” Mi fans “, ces fidèles supporters de la marque, son dernier joujou : un smartphone répondant au doux nom de MI8 (en référence aux huit ans de l’entreprise) ressemblant furieusement à l’iPhone X. Même les animojis popularisés par Apple (cochon, panda, renard, lapin, etc.) sont là ! Applaudissements dans les gradins.
L’Europe en ligne de mire
Il y a toutefois une grosse différence entre le dernier smartphone de Xiaomi et celui d’Apple : son prix, trois fois moins cher. ” Notre mission est de fabriquer des produits incroyables à des prix justes “, répète Lei Jun à l’envi. Ce credo a été fixé dès la création de l’entreprise, en avril 2010. A l’époque, le brillant ingénieur en informatique a déjà un passé accompli de PDG à la tête de Kingsoft, un éditeur de logiciels de bureau. Il a fait fortune en revendant un site d’e-commerce à Amazon et joue les business angels dans une vingtaine de start-up chinoises.
Avec ses produits connectés, Xiaomi élargit considérablement la taille de son terrain de jeu.
Avec sept ingénieurs et designers chevronnés débauchés chez Google, Microsoft ou Motorola, il fait alors le pari fou de bousculer les mastodontes Apple et Samsung grâce à des smartphones aussi aboutis technologiquement mais vendus deux fois moins cher. Xiaomi (” petit riz ” en mandarin) est né. Un hommage aux racines paysannes de Lei Jun ?
” Mi ” fait aussi référence à mobile Internet, comme aime à se définir l’entreprise. Les mauvaises langues préfèrent, elles, s’amuser de la ” mission impossible ” que s’est fixée Xiaomi. Elles vont vite être démenties. Sorti en septembre 2011, le premier smartphone s’écoule à 300.000 exemplaires en 34 heures, porté par un marketing ciblé, des ventes flash sur Internet et un prix accessible (1.999 yuans, environ 240 euros). Le chiffre d’affaires de Xiaomi dépasse le milliard de dollars au bout de deux ans et les 10 milliards au bout de quatre. Basé à Pékin, Xiaomi est aujourd’hui le quatrième fabricant mondial derrière Samsung, Huawei et Apple, avec 92 millions de smartphones vendus l’an dernier. Très présent en Chine (où il réalise près de la moitié de ses ventes), réussissant à détrôner Samsung en Inde, bien implanté en Asie du Sud-Est, Xiaomi se prend désormais à rêver d’Europe. Il vient de s’établir en Espagne, en France et en Italie.
Passé un gros trou d’air en 2016, durant lequel la start-up a failli rejoindre le cimetière déjà bien garni des étoiles filantes du mobile, Xiaomi a de nouveau le vent en poupe. Huit ans après sa création, l’entreprise peut se targuer d’afficher une croissance à deux chiffres de ses ventes sur un marché du smartphone qui stagne globalement et s’inscrit même en recul en Chine. Pour s’imposer et répondre à la concurrence croissante d’autres fabricants chinois, tels qu’Oppo et Vivo, Xiaomi accepte des marges minuscules. Voire même le revendique ! A l’occasion de son introduction en Bourse au début de l’été, le fabricant s’engage à ne pas faire plus de 5 % de marge nette dans les terminaux. De quoi rendre perplexe plus d’un investisseur !
Son introduction à la Bourse de Hong Kong n’a pas suscité l’enthousiasme escompté.
Si Xiaomi l’assume, c’est qu’il refuse d’être considéré comme simple fabricant de hardware. ” Xiaomi est une société internet proposant des smartphones et d’autres objets intelligents, connectés par une plateforme IoT ( Internet des objets, Ndlr) “, explique Lei Jun dans une lettre aux investisseurs. Des bracelets connecté jusqu’aux purificateurs d’air, en passant par les autocuiseurs de riz ou encore les enceintes et les brosses à dents connectées, l’entreprise multiplie les produits, rêvant d’être au coeur d’une maison intelligente dont la plupart des objets seraient connectés et pilotés par un téléphone Xiaomi. Pour cela, la société ne produit elle-même que les équipements principaux (TV, PC portable, routeurs et enceintes), confiant le reste à une myriade de start-up. Plus de 200 entreprises ont déjà rejoint l’écosystème, conservant leur autonomie mais bénéficiant du soutien, de la marque et du réseau de ventes de Xiaomi.
Avec tous ces produits, Xiaomi élargit considérablement la taille de son terrain de jeu : en forte croissance, le marché des objets connectés devrait être trois fois plus gros que celui des smartphones d’ici à 2022, estiment les analystes de Credit Suisse.
Le modèle de l’iceberg
Mais le principal objectif de Xiaomi est encore ailleurs. Tous ces objets vendus quasiment à prix coûtant sont autant de produits d’appel visant à attirer de nouveaux clients. Et une fois ces clients conquis, l’objectif final est de leur proposer une multitude de services Internet. Le nerf de la guerre est là. C’est via la vente de services internet que Xiaomi compte monétiser sa coûteuse expansion dans les téléphones, partie émergée d’une stratégie bien plus grande. ” L’iceberg est une bonne analogie pour expliquer le modèle économique de Xiaomi “, observent les experts de la banque helvétique.
Le déploiement de cette stratégie n’en est qu’à ses prémices. Mais Xiaomi réalise déjà l’essentiel de ses profits dans les services mobiles. Ces derniers comptent pour près de la moitié de la marge brute du groupe quand les smartphones lui apportent 70 % de son chiffre d’affaires.
Pour toucher ses clients, le fabricant a développé et pré-installé sur ses smartphones un Mi Store avec de nombreuses applications maison (Mi Music, Mi Video, Mi Browser, etc.). De même, il revendique 190 millions d’utilisateurs actifs par mois à son système d’exploitation MIUI, dérivé d’Android et mis à jour chaque semaine. ” Nos utilisateurs passent quatre heures et demie par jour sur leur téléphone “, se réjouit Lei Jun sur la grande scène du Palais des sports de Shenzhen. Avec environ 20 % du temps passé sur les applications maison. Pour l’heure, l’essentiel des revenus internet est issu de la publicité et des jeux. Mais Xiaomi a d’autres idées en tête, comme en témoigne la création d’une banque sur Internet, suivant les pas des mastodontes Tencent et Alibaba.
Reste à savoir si cette stratégie peut s’avérer payante. L’émergence de nouveaux concurrents dans les terminaux a déjà contraint Xiaomi à changer son modèle de distribution, associant la vente sur Internet à l’ouverture de boutiques (déjà plus de 300 en Chine) bien réelles mais plus coûteuses.
Xiaomi, qui a affiché une perte nette de 44 milliards de yuans (5,5 milliards d’euros) l’an dernier, n’a pas totalement convaincu les investisseurs à l’idée qu’il n’était pas qu’un fabricant chinois de téléphones de plus. Son introduction à la Bourse de Hong Kong n’a pas suscité l’enthousiasme escompté et, depuis, l’action se négocie sous son prix d’entrée.
Pour parvenir à lever les doutes, Xiaomi va devoir prouver qu’il est capable de monétiser ses services Internet ailleurs qu’en Chine et de sa grande muraille numérique qui censure Google et son App Store. Extrêmement dynamique, le marché indien pourrait faire figure de test. Les ” Mi fans ” sont déjà prêts à prendre leur bâton de pèlerin.
Par Frédéric Schaeffer.
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