Une nouvelle filière tournesol en Wallonie: de la graine à la mayonnaise

Encore peu cultivé chez nous, le tournesol est une culture innovante pour les agricultaurs belges.
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Une filière tournesol est en train de se développer en Wallonie. Celle-ci rassemble tous les acteurs de la chaîne alimentaire – agriculteurs, coopérative, industriel et distributeur – et a déjà abouti à une mayonnaise 100% bio et belge.

“Les tournesols sont fanés, mais la récolte est imminente”, explique Étienne Frippiat, agriculteur à Falaën. C’est la deuxième fois que celui-ci sème du tournesol dans l’un de ses champs situés dans la commune de Onhaye (Namur). “C’est la graine que l’on utilise principalement, le but est qu’elle soit la plus sèche possible.”

En Belgique, le gros enjeu avec le tournesol est de pouvoir le récolter quand il arrive à maturité. “Il ne faut pas oublier que c’est une plante du Sud qui a besoin de chaleur et de soleil”, détaille Gautier Aubry, ingénieur agronome chez Farm For Good, la coopérative qui développe cette nouvelle filière. “Une année comme celle-ci, très humide et peu ensoleillée, est compliquée pour le tournesol.”

Face au changement climatique, de nouvelles cultures deviennent possibles dans nos régions. C’est le cas du tournesol qui est en train de s’implanter en Wallonie. Aujourd’hui, ce sont une vingtaine d’hectares qui sont destinés à cette nouvelle culture développée en agriculture régénérative bio.

À l’initiative de cette nouvelle filière ? La coopérative Farm for Good et l’entreprise Bister, qui produit des sauces et moutardes belges. “C’est Arthus de Bousies, le CEO de Bister qui nous a contactés pour développer cette filière tournesol”, se remémore Clotilde de Montpellier, fondatrice de la coopérative Farm For Good qui a vu le jour en juillet 2023. Les deux responsables se connaissent bien : ce n’est pas la première fois qu’ils collaborent. Il y a quatre ans, les deux entreprises avaient déjà travaillé ensemble afin de relocaliser la production de moutarde en Belgique.

“Avec les années, nous avons construit une relation de grande confiance entre les agriculteurs et l’équipe Bister. C’est grâce à des partenariats à long terme comme celui-ci qu’on arrivera à faire évoluer le secteur vers un système plus durable”, avance la fondatrice de la coopérative. Avec ses 95 agriculteurs qui cultivent près de 8.200 hectares, soit 1% de la surface agricole utile wallonne, la coopérative est l’un des plus grands réseaux de la Région.

L’année dernière, 50 tonnes de graines de tournesol ont été récoltées, ce qui a pu aboutir à environ 200.000 pots de mayonnaise.

Une culture innovante

Encore peu cultivé dans nos régions, le tournesol est une culture innovante pour les agriculteurs belges. “Pour permettre la transition vers une agriculture durable, c’est-à-dire biologique et régénérative, il est essentiel de pouvoir allonger la rotation des cultures, précise Gautier Aubry. Il faut donc pouvoir alterner les cultures différentes sur six à huit ans, et les diversifier. Le tournesol s’inscrit parfaitement dans cette optique.” Une opportunité pour les agriculteurs du réseau Farm For Good qui utilisent des variétés linoléiques, dites précoces. “Les variétés plus tardives, même si elles offrent davantage de rendement, ne sont pas souhaitables en Belgique, car il n’est pas certain de pouvoir les récolter”, souligne l’agriculteur.

Ce sont aujourd’hui sept exploitations wallonnes qui se consacrent à cette nouvelle culture depuis deux ans. “C’est une plante qui a très peu d’ennemis, à l’exception des oiseaux ou des limaces lors des semis. Elle est très résistante, ce qui en fait une culture idéale pour l’agriculture biologique”, avance Étienne Frippiat. La plante est également une solution adaptée aux changements climatiques : peu gourmande en eau, elle résiste bien à la sécheresse et s’adapte très facilement aux différents types de sols. “Elle est également moins exigeante en fertilisants, ce qui réduit les coûts pour les agriculteurs et limite les pertes, tout en valorisant des terres de moindre qualité”, assure l’ingénieur agronome de Farm For Good.

Étienne Frippiat (agriculteur), Clotilde de Montpellier (Farm For Good), Geoffroy Gersdorff (Carrefour), Arthus de Bousies (Bister) et Manu Lange (Alvenat)

La guerre en Ukraine comme catalyseur

Si le réchauffement climatique a permis l’arrivée de cette nouvelle filière, c’est également la guerre en Ukraine qui a agi comme catalyseur. À l’époque, la Belgique et d’autres pays d’Europe doivent alors faire face à une pénurie d’huile de tournesol, qui entre dans la composition de nombreux aliments. “Cette filière pallie aujourd’hui d’éventuelles pénuries”, assure l’agriculteur.

De son côté, la moutarderie Bister souhaitait depuis longtemps relocaliser ses matières premières et notamment l’huile de tournesol, à l’instar de ce qu’elle a fait pour les graines de moutarde. “J’étais assez atterré de devoir importer des matières premières issues de l’autre bout de monde pour nos produits”, pointe Arthus de Bousies. En plus de l’impact carbone, cette importation était également une source de préoccupation économique. “La guerre avait provoqué un quadruplement des prix”, se rappelle le CEO qui précise que la mayonnaise se compose à 80% d’huile de tournesol. “Dépendre de l’Ukraine pour notre principale matière première, alors qu’on cherche à avoir un impact positif sur l’économie locale, n’a pas de sens”, ajoute-t-il.

Vouloir produire belge et bio n’est pas de tout repos : récolte, rendement, coût de production et commercialisation sont autant d’obstacles pour ne citer que ceux-là. “Il faudra certainement encore cinq à dix ans avant que la culture ne soit implantée de manière significative”, ajoute Donatienne van Houtryve, CEO de la coopérative Farm For Good. En moyenne, les rendements des agriculteurs de la coopérative se situent au-dessus de deux tonnes par hectare. “L’année dernière, certaines parcelles ont donné des rendements supérieurs aux parcelles traditionnelles en France dont le rendement moyen tourne autour de 2,6 tonnes/hectare, s’enthousiasme Gautier Aubry. Cela démontre le potentiel de la culture si nous acquérons encore davantage de technicité.”

En tant que coopérative, Farm For Good fait le lien entre les agriculteurs et l’industrie. “Notre rôle est aussi de guider les agriculteurs vers des cultures qui peuvent leur rapporter”, explique Clotilde de Montpellier, qui rappelle que l’objectif de la coopérative est d’aider les agriculteurs à combiner le bio, l’accessibilité et un prix juste. “Il est évident que se lancer dans une nouvelle culture peut faire peur, mais nous sommes là pour limiter le risque.” Conditions météorologiques, prix des semis ou coûts de production… chaque étape est prise en considération par les acteurs de la chaîne. “C’est évidemment essentiel de se parler et de connaître les contraintes de chaque acteur”, abonde Arthus de Bousies.

De l’agriculteur… au distributeur

Pour que la filière soit pérenne, il est primordial que l’industrie et les transformateurs soient associés à l’ensemble du processus. “C’est une chance d’avoir des entreprises comme Bister, qui cherchent à relocaliser un maximum de matières premières”, poursuit Clotilde de Montpellier. Tout comme il l’avait déjà fait avec la moutarde, Arthus de Bousies s’est donc engagé à acheter la production de tournesol en cas de réussite ou de couvrir une partie des frais en cas d’échec.

Le prix est 50 cents plus élevé que le conventionnel, soit le prix de la transition.

Arthus de Bousies

CEO de Bister

Dans ce cas, on parle sans conteste d’une réussite puisque la récolte 2024 est la deuxième de la filière naissante. L’année dernière, 50 tonnes de graines de tournesol avaient été récoltées, ce qui a pu aboutir à “environ 200.000 pots de mayonnaise”, estime le CEO de Bister qui commercialise donc une mayonnaise 100% bio et… 99% belge. “Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore parvenus à trouver du vinaigre bio produit en Belgique. Mais nous ne perdons pas espoir…”, sourit-il. Pour les agriculteurs, ces pots de mayonnaise représentent un projet concret de la valorisation de leurs produits. “Nous n’avons pas l’habitude de collaborer avec l’industrie. On se rend compte qu’en communiquant de façon transparente, il est possible de faire converger nos visions”, note Etienne Frippiat. Cela passe par des échanges réguliers sur les contraintes respectives des différents acteurs de la chaîne de valeur et leur capacité à trouver des solutions ensemble. “C’est tout le travail de la coopérative Farm For Good”, complète Clotilde de Montpellier.

C’est la première fois qu’une filière rassemble tous les acteurs de la chaîne alimentaire, à savoir les agriculteurs, la coopérative, les industriels et même les distributeurs. “Quand nous avons décidé de développer une deuxième filière, nous étions tellement enthousiastes que nous avons contacté Carrefour et Déli Traiteur dans la foulée afin de les inclure dans ce nouveau chapitre. C’est toute la chaîne de valeur qui doit se mobiliser pour le lancement d’un nouveau produit qui soutient la transition”, rappelle la CEO de la coopérative Farm For Good.

Bister commercialise une mayonnaise 100% bio et… 99% belge car l’entreprise n’a pas encore trouvé du vinaigre bio produit en Belgique.


Le distributeur, avant-dernier maillon de la chaîne avant le consommateur, sélectionne les produits de son assortiment. “Aujourd’hui, il faut pouvoir proposer différents produits, cela signifie des premiers prix et du premium, mais le plus important pour nous, c’est surtout le rapport qualité-prix”, avance Geoffroy Gersdorff, CEO de Carrefour Belgique. En collaboration avec les acteurs de la filière, le distributeur s’est engagé à écouler la totalité des volumes des produits issus de la filière, ce qui signifie que l’ensemble des produits de Farm for Good seront commercialisés dans ses magasins. Pour le CEO de Carrefour, outre le volume, la notion du prix reste le principal obstacle. “Dans le rayon des sauces, il y a de tout en termes de prix, l’enjeu est donc d’être capable d’exprimer au client la valeur additionnelle de ces produits.”

En tant que dernier maillon de la chaîne, le consommateur joue forcément un rôle crucial. “Il est essentiel de sensibiliser le public à des initiatives telles que celle-ci et de montrer comment un simple geste d‘achat en magasin peut concrètement soutenir des actions sur le terrain et faire effet de levier”, note Clotilde de Montpellier. Le prix de la nouvelle mayonnaise bio et belge ? 3,50 euros. “50 cents de plus que le conventionnel, soit le prix de la transition”, glisse Arthus de Bousies.

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