Un super-marketer au secours de la planète
Expert en marketing, Nicolas Lambert a travaillé pour des multinationales avant de devenir CEO de l’organisation Fairtrade Belgium. Désormais consultant indépendant, il signe un ouvrage au titre provocateur: “Le Marketing peut-il sauver le monde?”. Rencontre et décryptage.
Il aurait pu enlever le point d’interrogation. Et tenter l’affirmation décomplexée. Ou du moins choisir un conditionnel plus fédérateur avec cette autre accroche: Le Marketing pourrait sauver le monde. Mais non. Pour son nouveau livre, Nicolas Lambert a préféré poser cette vraie question qui reste malgré tout décoiffante dans sa formulation: Le Marketing peut-il sauver le monde?
Osé mais prudent, le titre est à l’image de son auteur dont le parcours professionnel navigue entre les géants de l’agroalimentaire et les champions du développement durable. Sacré Marketer de l’Année en 2010, Nicolas Lambert affiche le profil atypique d’un véritable amoureux du marketing qui croit plus que jamais en la force de cette discipline économique pour tendre vers un monde meilleur, davantage respectueux de la planète et de ses habitants.
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Durant ses études d’ingénieur de gestion aux Fucam de Mons, Nicolas Lambert rêve déjà de travailler pour une organisation non gouvernementale, mais les propositions alléchantes du groupe Unilever guident l’étudiant vers une voie beaucoup plus commerciale. Diplôme en poche, le jeune homme rejoint donc cette multinationale en 1994 pour s’occuper de ses marques de margarine et de Becel en particulier “dont la promesse est d’être bénéfique à la santé du cœur” (sic).
Nicolas Lambert voit déjà, dans ce premier emploi, une dimension réellement sociétale – “Il s’agissait du premier vrai alicament”, raconte-t-il – mais après neuf années passées chez Unilever, son parcours prend un virage beaucoup plus “alcoolisé”. En 2003, le marketer rejoint en effet le géant brassicole AB InBev où il gère les marques Jupiler, Stella Artois et Diekirch, avant de passer, quatre ans plus tard, chez le concurrent Alken-Maes, propriété du groupe Heineken. C’est son travail de repositionnement de la bière Maes qui lui vaudra ce titre de meilleur marketer de Belgique francophone.
Virage équitable
Mais c’est en 2016 que s’opère le grand virage. Après quelques années passées comme directeur de la stratégie au sein de l’agence de pub Darwin BBDO, Nicolas Lambert devient CEO de Fairtrade Belgium, la branche belge de l’ONG Fairtrade International, dédiée au développement du commerce équitable.
Il voyage en Afrique, rencontre les producteurs locaux de café, de roses ou de cacao, et booste la notoriété de ce label social et environnemental en Belgique. Avec son profil de marketer et son parcours dans les multinationales, le CEO de Fairtrade Belgium sensibilise plusieurs entreprises à la cause de son ONG – son rêve d’étudiant – et à l’importance du développement durable dans leur business.
“On m’a souvent dit que j’avais complètement changé de registre, mais ce n’est pas vrai, corrige Nicolas Lambert, car le travail reste le même. Il s’agit de mobiliser les équipes, de faire de la com’, de développer les ventes et de se positionner au sein d’une grosse organisation internationale, avec évidemment une grosse différence dans l’esprit et la raison d’être. J’ai adoré cette mission, mais après six ans chez Fairtrade, j’estimais avoir fait le tour de cette structure et j’ai décidé de partir.”
Retraite et squelette
Nous en sommes en juin 2022, il y a tout juste un an. Nicolas Lambert s’installe alors comme consultant indépendant, tout en étant responsable du Think Tank Sustainability, dédié au développement durable, à la Belgian Association of Marketing (BAM). L’idée d’un livre lui trotte dans la tête depuis quelque temps déjà, mais il faudra attendre l’impulsion de Patrick Steinfort, ancien CEO de BAM devenu directeur de la collection Business & Société aux éditions Racine, pour que le projet devienne enfin concret.
En juillet dernier, Nicolas Lambert “s’enferme” durant une semaine à l’abbaye cistercienne du Mont-des-Cats, dans le nord de la France, et transforme sa note d’intention en un premier “squelette” littéraire. L’écriture de son ouvrage Le Marketing peut-il sauver le monde? est enclenchée avec la réelle volonté de questionner les marketers sur leur relation complexe avec le développement durable.
“Les professionnels du marketing ont des ressources extraordinaires en termes d’innovation, explique l’auteur. On peut les mobiliser pour transformer l’économie de notre société et le challenge est assez excitant. C’est le message de mon livre: comment mettre aujourd’hui toute cette somme de talents accumulés au service d’un autre type d’économie?”
Réinventer le marketing
Au fil de ses 182 pages, Nicolas Lambert détaille, de façon très didactique, sa vision d’un nouveau marketing davantage en phase avec l’écologie, sans toutefois tomber dans des considérations trop idéologiques ou culpabilisantes. Car l’auteur persiste et signe: il reste un vrai marketer – “Unileverien de cœur”, ajoute-t-il avec le sourire – et son défi consiste justement à ne pas diaboliser ce fameux marketing, mais plutôt à le réinventer pour accélérer la transition de l’économie vers un monde plus durable.
“J’ai voulu sortir de cette dimension binaire pour intégrer un troisième pôle: l’intérêt général.”
C’est indéniablement une tendance de fond. Ces dernières années, de plus en plus de marques et de publicitaires ont fait leur mea-culpa et tentent désormais l’aventure d’une activité économique davantage en phase avec la planète et les grands enjeux de société. De l’enseigne sportive Decathlon qui mise à présent sur le recyclage à la marque de soins Dove qui célèbre la diversité des corps, les exemples de marketing durable sont aujourd’hui nombreux avec, comme cerise ultime sur le gâteau vert, l’entreprise de mode Patagonia qui vient d’être “cédée à la planète” par son fondateur.
Ménage à trois
“Aujourd’hui, les entreprises doivent danser avec les paradoxes, constate Nicolas Lambert. Pour elles, ce n’est vraiment pas simple de se positionner entre, d’un côté, le marketing souvent jugé prédateur et, de l’autre, des consommateurs qui se sentent trop souvent manipulés. Avec ce livre, j’ai voulu sortir de cette dimension binaire pour intégrer un troisième pôle qui est l’intérêt général de la société. C’est au cœur de ce ménage à trois, comme je l’appelle, que se pose la question centrale du marketing durable: comment organiser, à l’avenir, une relation équilibrée et bienveillante entre les entreprises, les consommateurs et la société?”
Chez Nicolas Lambert, le point d’interrogation est donc bien nécessaire dans le titre de son nouveau livre. “Ce signe de ponctuation est assumé parce qu’il y a aujourd’hui un vrai débat, conclut l’auteur. Le marketing peut-il sauver le monde? A cette question, ma réponse est oui, mais à beaucoup de conditions. Il faudra d’abord sortir du business as usual et, encore une fois, miser sur cette profession qui a une vraie capacité à innover. Les marketers peuvent avoir une force énorme dans ce processus de transformation.”
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