Tweets, somnifères, karma… Le coup de fatigue d’Elon Musk

Elon Musk: "Cela semblait être un meilleur karma à 420 dollars qu'à 419 dollars", a-t-il expliqué lorsqu'il a choisi l'évaluation du prix de l'action. © REUTERS

Le 7 août dernier, le CEO de Tesla jetait un pavé dans la mare en expliquant via le clavier de son smartphone qu’il projetait de retirer le constructeur de voitures électriques de la cotation, et qu’il disposait du financement pour ce faire. Un tweet qui a mis Wall Street en émoi et a fait bondir l’action. Quelques jours plus tard, une interview choc accordée par Elon Musk au ” New York Times ” engendrait l’effet inverse.

Selon plusieurs médias américains, le gendarme boursier de Wall Street (la SEC) aurait en effet envoyé à Tesla une injonction – subpoena, en droit anglo-saxon – afin d’obtenir les éventuels documents étayant les déclarations de son patron sur Twitter le 7 août.

C’est le volet du financement de cette sortie qui semble particulièrement intéresser la SEC, laquelle a reçu plusieurs plaintes d’investisseurs à l’encontre de la communication d’Elon Musk. En neuf mots, ce dernier avait fait bondir le cours de l’action de 11 %. Selon les actionnaires remontés, le milliardaire s’est trop avancé en disant qu’il disposait déjà des milliards de dollars (ou des dizaines de milliards) nécessaires à une telle opération.

Quoi qu’il en soit, le titre Tesla a reculé de plus de 3 % après ces révélations. Il faut dire qu’en droit boursier américain, l’envoi d’un subpoena signifie que le stade de l’enquête préliminaire a été franchi et que les autorités se penchent sérieusement sur le sujet.

Pour sa défense, Elon Musk a expliqué lundi qu’il était en discussion avancée avec le fonds saoudien PIF ( lire l’encadré ” Que pèse le PIF ? ” plus bas). Dans un post, l’homme qui a envoyé une voiture dans l’espace a précisé que le fonds souverain de l’Arabie saoudite lui avait proposé ce projet il y a deux ans déjà, et que la monarchie pétrolière, qui dispose de fonds gigantesques, était toujours sur la même longueur d’onde. A l’entendre, c’est pour cela qu’il peut dire que le ” financement est prêt ” sans manipuler les marchés, même si aucun accord formel n’est signé. De son côté, Goldman Sachs a par ailleurs affirmé conseiller Tesla sur une sortie de la Bourse.

“Une année cauchemardesque”

Elon Musk est finalement un homme comme les autres. Il peut avoir un coup de mou. Pris dans cette enquête de la SEC depuis, l’homme qui a envoyé une voiture dans l’espace en a même un très gros. C’est en tout cas ce qu’il a confié dans une interview au New York Times. Celui qui est devenu l’un des patrons iconiques de la nouvelle économie est revenu sur sa santé, sa famille, son temps de travail et même les somnifères qu’il prend pour tenter de dormir… Quelques heures plus tard, l’action Tesla perdait jusqu’à 8,8 % à New York.

Le milliardaire a d’abord voulu s’expliquer sur son tweet du 7 août, celui qui a mis le feu aux poudres sur les marchés. Ce matin-là, Musk est avec sa compagne. Il se rend seul à l’aéroport lorsqu’il décide de tweeter sur la route et d’annoncer son projet de retrait de la cote de Tesla. Il n’avait consulté personne, concède-t-il à demi-mot. ” C’était une opération de transparence “, explique-t-il au New York Times, en référence aux discussions avec le fonds saoudien intervenues 10 jours avant.

Idem pour le prix de l’action. 420 dollars ? Un chiffre sorti du chapeau. Elon Musk voulait une prime de 20 % sur le cours actuel des actions du constructeur, ” ce qui faisait environ 419 dollars “, justifie-t-il. Le milliardaire décide ” d’arrondir à 420 dollars “, un clin d’oeil à l’un des chiffres qui fait référence au cannabis (16h20 ou 4h20 est considéré comme l’heure propice pour fumer un joint). ” Cela semblait être un meilleur karma à 420 dollars qu’à 419 dollars “, s’amuse-t-il. Mais Elon Musk est un homme fatigué. Celui qui dit avoir travaillé ” 120 heures par semaine ” en moyenne ces derniers temps pour résoudre ” tous les problèmes de Tesla “, a besoin de prendre un peu de recul après une année ” cauchemardesque “. ” Je n’ai pas pris plus d’une semaine de congé depuis 2001 “, souligne-t-il, entre rires et larmes.

Depuis 15 ans, Elon Musk ne s’est en effet pas économisé. Le génial touche-à-tout d’origine sud-africaine confie ainsi avoir récemment travaillé ” pendant trois ou quatre jours ” d’affilée sans rentrer chez lui pour suivre la production de la Model 3. Et tout ça ” au détriment de mes enfants et de mes amis “, explique le milliardaire, abonné aux somnifères.

Sans compter que le travail l’empêche également de faire la fête. ” J’ai passé ma soirée d’anniversaire dans mon bureau “. Il a également été contraint de passer en coup de vent au mariage de son frère en Catalogne, fin juin, alors qu’il était garçon d’honneur. ” Je suis arrivé deux heures avant la cérémonie et je suis reparti dans la foulée pour l’usine “, se désole Musk, qui assure pourtant ne pas vouloir lâcher les rênes du groupe qu’il a lancé en 2003.

Par Raphaël Bloch.

Que pèse le PIF ?

Yasir Al-Rumayyan Le patron du fonds souverain saoudien a investi en juillet plus de 2 milliards de dollars dans Tesla.
Yasir Al-Rumayyan Le patron du fonds souverain saoudien a investi en juillet plus de 2 milliards de dollars dans Tesla.© REUTERS

Difficile d’imaginer personnalités plus opposées. Elon Musk, flambeur médiatique, génial touche-à-tout capable d’envoyer une Tesla dans l’espace, et Yasir Al-Rumayyan, discret businessman, proche de Ryad. Et pourtant ces deux hommes font affaire. Ils sont même devenus de vrais partenaires. Le Saoudien de 48 ans a investi en juillet plus de 2 milliards de dollars dans Tesla. Surtout, Al-Rumayyan serait sur le point de racheter une grande partie du capital du constructeur de voitures électriques pour permettre à l’Américain de sortir son bijou de la cote. Un tour de force réalisé grâce au fonds qu’il dirige, le Public investment fund, surnommé le ” PIF “.

300 milliards sous gestion

Le fonds souverain saoudien a été lancé en 1971. L’idée, à sa création, était de permettre au royaume wahhabite de gérer et de développer sa manne pétrolière. A l’époque,

les milliards de dollars du fonds sont investis dans les infrastructures nationales, notamment les puits et les raffineries d’or noir. Quarante ans plus tard, et à la faveur de l’évolution du régime et de la situation géopolitique, Ryad a fait évoluer sa doctrine. Le PIF, qui explique régulièrement gérer pas loin de 300 milliards de dollars d’actifs, a adopté une stratégie beaucoup plus tournée vers l’international, sans pour autant délaisser le national (tourisme, divertissement, etc.). Depuis 2014, le fonds souverain investit à l’étranger, notamment dans des entreprises, afin de préparer l’après-pétrole.

La part des investissements à l’international, qui devrait atteindre 50 % en 2030, s’élève déjà à 10 %. Parmi ses investissements, on retrouve quelques gros coups. En 2015, le fonds a pris 38 % du capital du sud-coréen POSCO, numéro 4 mondial de l’acier. L’année suivante, il a investi 3,5 milliards de dollars dans Uber, dont il est actionnaire à 5 %. Yasir Al-Rumayyan est depuis membre du board du géant des VTC. Mais le plus gros fait d’armes du fonds, dont l’ambition est de gérer 2.000 milliards de dollars, est d’avoir participé au lancement du plus grand fonds technologique au monde en partenariat avec le japonais Softbank. Lancé en 2017, le Vision Fund a prévu de réunir 100 milliards de dollars d’ici 2022. Le PIF s’est engagé à y investir 45 milliards de dollars d’ici là. Sans s’interdire d’autres investissements. Comme 50 milliards dans Tesla.

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