Trop concentrée, l’industrie du disque ?

Pressée par les labels indépendants, la Commission européenne va s’intéresser de près aux grandes manouvres entamées autour d’EMI.

Les majors étaient encore au nombre de cinq au milieu des années 2000. Elles ne seront bientôt plus que trois, si Universal et Sony parviennent à concrétiser leur plan de démantèlement d’ EMI. Née à Londres en 1897, la major EMI a signé des artistes renommés (Depeche Mode, Snoop Dogg, David Guetta, Coldplay, Norah Jones…) et gère un catalogue de droits particulièrement prestigieux (Beatles, Rolling Stones, Pink Floyd…). Mise aux enchères par Citigroup, EMI a rapidement aiguisé les appétits des grands acteurs de la musique. C’est finalement Universal (pour la branche “disques”) et Sony (pour la branche “droits d’auteur”) qui ont mis sur la table la meilleure offre.

Ces deux opérations ne sont pas encore bouclées. Elles sont en effet soumises à l’accord des autorités de régulation de la concurrence. La Commission européenne, en particulier, se montrera certainement attentive aux conséquences de ces montages dans un secteur déjà très concentré (voir tableaux). Les labels indépendants, représentés par l’association Impala, basée à Bruxelles, ont annoncé leur volonté de s’opposer à ces accords. “Ces fusions ne serviront qu’à renforcer un duopole qui existe déjà”, avance Helen Smith, directrice d’Impala. Depuis qu’elle a racheté BMG en 2007, Universal domine déjà l’industrie du disque aux côtés de Sony. Avec cette nouvelle acquisition, elle verra clairement sa position renforcée, au point d’atteindre 38,9 % de parts de marché, si l’on se réfère aux chiffres 2010 du consultant spécialisé Music & Copyright.

Position dominante ?

La Commission européenne devra déterminer si une telle position peut être qualifiée de dominante.

“Une entreprise acquiert une position dominante sur un marché lorsqu’elle peut se comporter librement, sans tenir compte de ses concurrents et de ses clients, précise Annabelle Lepièce, avocate associée chez CMS DeBacker, spécialisée en droit de la concurrence. A ce titre, la part de marché qu’elle détient est un indice. La Commission considère généralement qu’avec minimum 40 % de parts de marché, la position devient dominante.” On n’en est pas loin. Mais il ne s’agit pas du seul argument avancé par les labels indépendants pour faire annuler l’accord. “C’est aussi une question de pouvoir sur le marché, indique Helen Smith (Impala). Universal est devenu un acteur incontournable de l’industrie de la musique. La major a un pouvoir important sur les charts. Elle combine le recording (disques) et le publishing (droits d’auteur). Elle a aussi un pied dans le live via un accord avec Live Nation.”

Pour amadouer la Commission, Universal a annoncé son intention de se séparer de 500 millions d’euros d’actifs qualifiés de “non stratégiques”. Une façon pour la filiale du groupe français Vivendi de montrer que l’achat d’EMI ne fera pas d’elle l’ogre décrit par les labels indépendants. Lors du rachat de BMG, la Commission avait déjà obligé Universal à procéder à des cessions d’actifs. “Or, depuis cette opération, Universal a continué de grandir, pointe Helen Smith. La Commission ne peut pas accepter ce rachat même en cas de cessions d’actifs plus importantes que celles déjà proposées.” Si l’autorité européenne valide l’opération, Impala pourrait introduire un recours devant le Tribunal de l’Union européenne. Cette menace ne devrait pas laisser pas la Commission insensible. “L’année passée, plusieurs décisions en matière de concurrence ont été annulées par le Tribunal, atteste l’avocate Annabelle Lepièce. Du coup, la Commission devient de plus en plus prudente.”

Gilles Quoistiaux

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