Stijn Bijnens (CEO Cegeka) : “Nous sommes condamnés à grandir”

Stijn Bijnens, CEO de Cegeka © Franky Verdickt
Stijn Fockedey Stijn Fockedey est rédacteur de Trends

L’année s’annonce bien remplie pour Cegeka. La société KPN Consulting, récemment rachetée par la société IT d’Hasselt, doit être intégrée à ses activités néerlandaises. Le CEO Stijn Bijnens souhaite que l’entreprise se positionne également dans le domaine de la cybersécurité et en Allemagne.

Alors que Picanol se remet doucement de la cyberattaque dont elle a été victime, Cegeka se charge de la protection d’une grande quantité de données mobiles. Fabrice Wynants y prendra la direction du département Security Service. Vieille connaissance de Stijn Bijnens, il officiait auparavant chez Verizon. “Fabrice est l’un des premiers employés d’Ubizen, la société de cybersécurité (l’une des pionnières de l’internet en Belgique, ndlr) que j’ai cofondée en tant que chercheur à la K.U. Leuven. Après l’acquisition d’Ubizen par Verizon, il est resté à bord pour diriger les activités liées à la cybersécurité en Belgique, aux Pays-Bas et en France. Il est la personne idéale pour contribuer à une meilleure commercialisation de notre offre en matière de cybersécurité. Auparavant, nous vendions ces services plutôt comme un bonus.”

C’est un marché où il y a beaucoup de concurrence.

STIJN BIJNENS. “Notre ancrage local est un grand atout. D’autant plus aujourd’hui que les tensions dans le monde augmentent, comme c’est le cas pour le moment entre l’Iran et les États-Unis. La cybersécurité devient de plus en plus importante. Notre ambition est de devenir un acteur IT pertinent en Europe, auquel les entreprises et les gouvernements font confiance pour accompagner leur transformation numérique et protéger leurs données. Nous disposons déjà d’un security operations center pour surveiller le trafic réseau et les infrastructures de nos clients. Nous employons plus de 200 experts en cybersécurité. Nous sommes assez grands pour jouer également un rôle majeur en matière de cybersécurité.”

Ne s’agit-il pas d’un combat inégal ? Il suffit qu’un e-mail infecté soit traité pour que les hackers s’infiltrent.

STIJN BIJNENS. Le phishing (fraude en ligne au moyen de faux e-mails, sites web ou messages, ndlr) devient incontrôlable. Autrefois, ces e-mails étaient rédigés dans un anglais médiocre mais aujourd’hui, il n’est souvent plus possible de les distinguer des vrais courriels.

J’admets que parfois je ne sais pas non plus. C’est pour cette raison que, dans le doute, je m’abstiens d’ouvrir certains messages. Nous ne pouvons résoudre ce problème qu’avec l’aide d’une intelligence artificielle capable d’analyser des modèles à grande échelle. Un prestataire de services informatiques doit être suffisamment développé pour proposer cette expertise et ces solutions.

Un prestataire de services est voué à la faillite. C’est mathématique car les frais de personnel augmentent de 4 à 5% par an. La moitié est due à l’inflation, l’autre moitié à la majoration des salaires. Mais les clients n’acceptent une augmentation que si elle est conforme à l’inflation. Nous sommes donc constamment contraints de travailler plus efficacement. Cela ne peut se faire qu’en automatisant un maximum de tâches. Grandir est une bonne chose, mais nous sommes en réalité condamnés à grandir.”

Les entreprises dépensent pourtant de plus en plus pour les technologies de l’information, non?

STIJN BIJNENS. “Les budgets n’augmentent pas, ou du moins pas en fonction des besoins. La quantité de données que les entreprises conservent augmente de façon exponentielle. Mais les budgets ne suivent pas. Un fournisseur doit donc être suffisamment important pour absorber ces coûts tout en étant capable de se doter d’une expertise et d’une infrastructure suffisantes. Les petites entreprises IT renoncent. Cette situation va encore faire des victimes.”

Est-ce pour cela que l’opérateur de télécommunications néerlandais KPN a vendu sa filiale KPN Consulting à Cegeka à la fin de l’année dernière ?

STIJN BIJNENS. “Je ne peux pas parler au nom de KPN, mais je pense que le département KPN Consulting n’a rien à voir avec les télécoms. Ceux-ci fournissent essentiellement des services standard dans le domaine de la connectivité. La vente constitue un message clair à destination des investisseurs : KPN souhaite se concentrer sur les infrastructures et les services standard. Proximus prend une autre direction et veut fournir plus d’applications et de services sur mesure à ses clients. Je ne comprends pas très bien, car la tendance du marché des télécommunications est de se concentrer à nouveau sur le core business.

KPN Consulting a abattu un travail considérable pour la société mère. Je pense que KPN nous a choisis comme acquéreur dans un souci de continuité du service et de sécurité pour ses employés. Avec cette reprise, KPN deviendra un de nos principaux clients.”

Ce rachat va permettre à Cegeka de doubler sa taille aux Pays-Bas, ce qui va engendrer une augmentation du chiffre d’affaires d’environ 100 millions d’euros.

STIJN BIJNENS. “Avec les revenus supplémentaires de KPN Consulting, nous accédons au top trois des intégrateurs aux Pays-Bas. Nous connaissons également une croissance de 10% sans les reprises et nous voulons continuer à nous développer rapidement. C’est pourquoi nous avons beaucoup investi dans une équipe de management solide, en mesure de bien mener l’intégration et capable de gérer la taille de l’équipe néerlandaise. Avec Karim Henkens, nous avons parmi nous un champion. Il vient de Centric, notre double aux Pays-Bas à peu de choses près.”

Vous avez terminé votre première année chez Cegeka avec une importante reprise. Vous vous attendiez à cela ?

STIJN BIJNENS. “Non, même si je savais que notre actionnaire de référence André Knaepen avait beaucoup d’ambition. Une reprise, ça ne se prévoit pas. Il faut saisir les opportunités qui se présentent, il faut être deux pour danser le tango comme on dit. Je préfère les grosses reprises. C’est mieux quand on veut faire des économies d’échelle. Après les Pays-Bas, nous aimerions faire un rachat en Allemagne. Mais ce sera plus difficile. Avec 70 millions d’euros, nous disposons d’un flux de trésorerie suffisant pour financer nos projets et nos acquisitions sur fonds propres.”

Vous souhaitez notamment investir dans la 5G.

STIJN BIJNENS. “Les applications 5G figurent parmi nos priorités, mais nous restons sur notre faim en raison de l’impasse politique. Nous ne souhaitons pas vendre la 5G aux particuliers, notre objectif est plutôt de développer des applications commerciales pour nos clients.

D’autres pays sont déjà en train de construire des écosystèmes industriels. La 5G peut accroître considérablement la productivité. Les machines peuvent alors communiquer efficacement entre elles sans fil, le wifi n’étant pas une bonne solution en la matière. Avec la 5G, les usines peuvent changer leurs lignes de production plus rapidement. Aujourd’hui, elles doivent encore tirer des câbles de réseau. Elles pourront fabriquer des produits personnalisés au prix d’une production de masse. En outre, la 5G va générer une énorme quantité de données précieuses avec toutes ces machines connectées, dans presque tous les secteurs de l’industrie et des soins de santé. J’ai l’impression que les politiques comprennent l’importance de la 5G, mais en même temps, le fédéral patauge. C’est surréaliste.”

La 5G serait beaucoup trop chère.

STIJN BIJNENS. “Dans l’investissement total, ça va. Auparavant, il fallait du matériel de télécommunication spécialisé et coûteux pour mettre en place un réseau. Au Japon, Rakuten est capable de mettre sur pied un nouveau site 5G qui fonctionne en 8 minutes. L’entreprise Internet y est un acteur télécom à part entière, basé sur un équipement réseau générique comme celui de Cisco. Il y a une énorme convergence entre l’informatique et les télécommunications, ce qui rend tout beaucoup plus facile à configurer et à entretenir. La profession d’ingénieur en télécommunications me semble menacée dans un délai de dix ans environ. J’ai de la chance, c’est ma formation. (rires)

Vous avez choisi l’informatique au bon moment.

STIJN BIJNENS. “Ma vie n’a jamais été un grand projet. Je trouve charmant de voir à quel point les jeunes entreprennent avec autant d’adrénaline. Je n’ai jamais eu cette impulsion. Je suis né avec un grand talent : mon amour pour les mathématiques. Pendant mes études d’ingénieur civil, je me suis spécialisé en informatique principalement par opportunisme. Pour la spécialisation en électromécanique, il fallait réserver à l’avance un cabinet. J’étais un étudiant plutôt libre, l’informatique correspondait davantage à mon style de vie.

Ma première expérience avec Internet a également été purement fortuite. Pendant mes études, un camarade avait déjà choisi mon sujet de mémoire de prédilection et je me suis donc retrouvé dans le département qui administrait l’adresse .be. Au début des années 90, seuls les universitaires et quelques chercheurs de Den Bell (aujourd’hui Nokia, ndlr) à Anvers utilisaient Internet. De plus en plus d’entreprises sont venues frapper à la porte pour obtenir une adresse .be et elles ont également demandé des pare-feu et des systèmes de sécurité. Il se trouve que j’ai repéré cette opportunité. C’est ainsi que je suis entré dans la sécurité des réseaux et que j’ai créé Ubizen.”

Vous avez travaillé pendant plus de dix ans pour LRM, société d’investissement qui est également actionnaire minoritaire de Cegeka. Des voix s’élèvent pour demander le départ de LRM. La reconversion de l’industrie du charbon aurait eu lieu entre-temps.

STIJN BIJNENS. “Je ne suis pas en faveur de cela. Le Limbourgeois qui défend cette idée ouvertement risque gros (sourire). Nous avons encore besoin de LRM, car le Limbourg ne dispose pas encore d’un réseau étendu de familles d’entrepreneurs, comme c’est le cas dans les autres provinces. Dans de nombreuses entreprises du Limbourg, la deuxième génération commence à peine à reprendre le flambeau.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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