Voici comment Qover et Flowchase ont levé des fonds

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Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Trouver des fonds pour financer sa start-up est devenu un parcours du combattant par les temps qui courent. Beaucoup de start-up font le gros dos et reportent ce processus. Pourtant, certaines annoncent des levées de fonds, comme la scale-up Qover ou la start-up Flowchase.

La “fête est finie”, “le marché est down”, “tout le monde est tendu”… Le créneau des levées de fonds pour les start-up de la tech et du numérique n’est définitivement pas en grande forme. Après la période covid qui avait boosté considérablement le digital, la crise économique, la guerre en Ukraine, l’évolution des taux d’intérêt et les faillites bancaires (Silicon Valley Bank, etc.) ont eu raison d’un véritable hype.

Désormais, il ne fait plus bon trouver des fonds pour développer sa start-up de la tech. Les chiffres publiés par nos confrères de L’Echo au début du mois de juillet en témoignent: à peine 300 millions d’euros ont été levés par les jeunes pousses belges de la tech et des biotechs au début 2023. Un montant en chute libre puisque, sur la même période l’an dernier, ce montant s’élevait à 864 millions… Ce serait même le pire niveau de levées de fonds depuis 2017. Un sacré revers alors que l’argent semblait couler à flot jusqu’en 2022!

“En 2021, cela a même été la folie, admet Frank Maene, managing director du fonds belge Volta Ventures. On jetait littéralement l’argent aux start-up. A l’époque, les taux d’intérêt bas ont poussé pas mal d’investisseurs à se tourner vers elles. Surtout après le covid, alors que le cloud et le numérique avaient le vent en poupe et que de très nombreuses sociétés avaient adopté l’outil numérique et payaient pour des softwares en ligne.”

Beaucoup espéraient faire fortune grâce à ces jeunes pousses prometteuses qui affichaient des croissances phénoménales, à l’instar d’entreprises comme Zoom, le spécialiste de la vidéoconférence qui a vu son taux d’utilisation exploser en pleine pandémie. “Les investisseurs avaient peur de passer à côté de certains dossiers”, confirme Thibaut Claes, invest manager chez Wallonie Entreprendre. Résultat: une période folle pour les investissements, de l’argent facile pour les start-up et des valorisations souvent excessives.

Puis, le conflit en Ukraine et le contexte économique sont venus totalement chambouler la donne. D’un marché de start-up, le marché est revenu dans les mains des investisseurs. Ce sont eux, désormais, qui mènent la danse. Avec une prudence bien affichée dans les investissements. Ils ont cessé de ne miser que sur la croissance “à tout prix”, ont réclamé des comptes quant à leurs (futures) rentabilités et ont revu les multiples sur lesquels sont calculées leurs valorisations, lesquelles ont largement fondu. Et bien sûr, ils se sont montrés hyper-sélectifs et ont refusé beaucoup de dossiers.

Pourtant, malgré le contexte, certaines start-up et scale-up sont parvenues à lever des fonds. Parmi elles, Flowchase, une jeune pousse wallonne qui permet d’améliorer l’accent anglais de ses utilisateurs, et Qover, une scale-up bruxelloise spécialisée dans l’assurance digitale.

Réussir malgré le contexte

Flowchase, fondée en 2020 et qui emploie aujourd’hui six personnes, est parvenue à boucler une levée de fonds à 1,5 million d’euros pour poursuivre son expansion en Europe et s’implanter sur le marché de la formation professionnelle avec une offre en anglais commercial et spécialisé.

ZOÉ BROISSON
“Après le krach des marchés boursiers, nous avons observé que les fonds adoptaient une position de repli.” Zoé Broisson (Flowcase) © pg

Cette levée de fonds a pris neuf mois. Un accouchement… pas forcément facile. “On a démarré notre processus de levée de fonds fin juin 2022, se souvient Zoé Broisson, CEO et cofondatrice de Flowchase. Idéalement, nous cherchions 800.000 euros en capital et comptions sur un processus de six mois.”

Tout ne s’est pas déroulé tout à fait comme prévu. La première étape de la jeune pousse a été de faire le tour des investisseurs actuels, le fonds W.IN.G et ses business angels. Tous se sont montrés favorables et ont embrayé. Forte de 300.000 euros promis, la CEO s’était alors mise en tête de trouver un demi-million auprès des fonds de capital- risque spécialisés en edtech, la tech au service de l’éduction. “Malheureusement, est arrivé le krach des marchés boursiers et, dans les discussions que nous avions engagées, nous avons observé que les fonds adoptaient une position de repli.”

Pas vraiment une grande surprise… Sur le marché de l’investissement, “pas mal de fonds, surtout quand ils ont une enveloppe relativement fermée, ont décidé de garder leur cash pour, en priorité, sauver les start-up qu’ils avaient en portefeuille”, explique Thibaut Claes. “Beaucoup de fonds étaient et sont encore dans ce type de discussion avec les fondateurs des boîtes dans lesquelles ils ont investi.”

Ainsi, les fonds rencontrés par Zoé Broisson ont décidé, à tour de rôle, de fermer la porte. “On nous a expliqué qu’ils devaient faire attention à leur cash et qu’en tant que jeune start-up, nous représentions plus de risques que d’autres, se souvient l’entrepreneuse. Certains ont fait valoir des critères de sélection renforcés. Et l’on a vu que certains fonds edtechs, par exemple, ont décidé d’investir uniquement dans des start-up actives sur la formation professionnelle. Ce sont des entreprises qui atteignent plus facilement la rentabilité que celles qui, comme nous, sont dans l’univers de l’enseignement où les cycles sont plus longs.”

Mais l’entrepreneuse ne se démonte pas pour autant et décide de faire “pivoter” son approche de levée de fonds et d’aller frapper à la porte de nombreux business angels, vu le montant assez peu élevé recherché. “On a rencontré 25 profils différents, en Belgique mais aussi en France, aux Pays-Bas… Avec un très bon répondant, les uns appelant les autres, continue Zoé Broisson. Et là, les choses sont allées vite.” Les accords sont tombés en très peu de temps. Et bonne surprise, la jeune pousse s’est aussi vu octroyer des aides à la recherche de la Région wallonne ainsi que le financement d’un doctorat industriel en collaboration avec l’UMons. De quoi annoncer une levée à 1,5 million.

Imposer ses conditions

Pour Qover, les choses se sont passées quelque peu différemment pour arriver à lever 30 millions d’euros en série C, l’étape de levée de fonds qui doit permettre d’accélérer la croissance, d’augmenter ses parts de marché et, éventuellement, d’attaquer l’international.

La scale-up bruxelloise avait levé 20 millions en 2021 et, bien que poussée dans le dos pour “brûler du cash” afin de croître, ses fondateurs Quentin Colmant et Jean-Charles Velge ont choisi de ralentir la cadence. “Au premier semestre de 2022, en plein démarrage de la guerre en Ukraine, sachant que pas mal de nos clients de la nouvelle économie étaient financés par du capital à risque, on a voulu miser sur la sécurité et ne pas nous reposer sur l’argent levé et nos deux ans de runaway (durée durant laquelle une start-up peut tenir avec l’argent levé auprès des investisseurs, Ndlr)”, se remémore Quentin Colmant, devenu CEO de Qover. La scale-up fait le choix de diminuer les coûts, notamment en réduisant les effectifs. De 120 personnes, la firme repasse sous la centaine. Le mot d’ordre, c’est la profitabilité. La scale-up fait bien parce qu’elle évolue dans la fintech, un des créneaux de la tech qui subit le plus les effets de la crise.

Quentin Colmant et Jean-Charles Velge (Qover) “Il faut lever des fonds quand on n’en a pas besoin. Cela donne beaucoup plus de pouvoir de négociation.”
Quentin Colmant et Jean-Charles Velge (Qover) “Il faut lever des fonds quand on n’en a pas besoin. Cela donne beaucoup plus de pouvoir de négociation.” © PG

Mais si elle réduit son train de vie, Qover ne dispose à ce moment-là, selon son CEO, pas de buffer, pas de marge de sécurité. Et si elle devait perdre de gros clients, elle serait obligée de lever des fonds en 2024 alors que le marché ne serait pas bon. Alors confiants dans l’état financier et la vision de leur boîte, les deux patrons décident de tenter le tout pour le tout et d’entamer une recherche de fonds… à leur façon. Après avoir pris langue avec leurs actionnaires existants (qui ne voyaient pas de raison de remettre du cash à ce stade), les boss de Qover sont allés voir quelques fonds de capital-risque avec lesquels ils avaient des discussions informelles régulières.

“On les a appelés en mode no bullshit (pas de craques, Ndlr), évoque Quentin Colmant. On leur a dit tout ce qui était bien et moins bien dans notre business. On a évoqué notre souhait de lever des fonds mais en précisant d’emblée qu’on ne voulait aucune baisse de valorisation et aucune des clauses défavorables que prévoient actuellement les capital-risqueurs pour se protéger. Et on leur a laissé deux semaines.”

Une approche bulldozer d’une scale-up forte d’une belle croissance, d’un business qui ramène du cash et en mesure d’atteindre la rentabilité, d’après ses plans. Mais les capital-risqueurs refusent. Les entrepreneurs de Qover reprennent alors contact avec des assureurs partenaires qui s’étaient montrés prêts par le passé à discuter d’investissements. Et particulièrement Zurich Global Ventures à qui Quentin Colmant présente les mêmes conditions qu’aux venture capitalists. Hors de question de prendre une grande part ou d’intervenir dans le business d’une autre manière que comme investisseur financier. On est en mars 2023. Le 15 mai, une terms sheet est signée et une date fixée au 30 juin pour finaliser le deal. Les choses se concrétisent enfin, en compagnie d’autres investisseurs tels qu’Alven, Anthemis et Kreos Capital.

Un sacré coup!

Qover annonce donc en juillet une levée de fonds de 30 millions, dont une certaine partie en dette, sans préciser les détails. De quoi minimiser la dilution des fondateurs. Et à une valorisation qui, d’après Quentin Colmant, n’est pas en baisse. Au contraire, elle serait en croissance “à deux chiffres”, sans vouloir en dire plus.

Un sacré coup dans l’environnement actuel des start-up et particulièrement des fintechs! “Nous y sommes parvenus parce que nous avons toujours été raisonnables. Il faut lever des fonds quand on n’en a pas besoin. Cela donne beaucoup plus de pouvoir de négociation”, analyse le CEO de Qover qui espère, grâce à l’appui de Zurich Global Venture, pouvoir chasser des clients bien plus gros que ceux que signe la scale-up aujourd’hui. Aujourd’hui, la firme va réaccélérer la cadence, reprendre les engagements et “rouvrir les vannes”. Mais sans excès. Avec l’ambition de ne plus jamais lever d’argent, enchaîne Quentin Colmant, “et si on lève à nouveau des fonds à l’avenir, c’est soit qu’on est en difficulté, soit qu’on lance de très gros projets”.

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