HeartKinetics: comment une pépite wallonne de la tech est tombée en faillite

Pierre-­François Migeotte, CEO d’HeartKinetcis: "Il nous a manqué quelques mois pour pouvoir créer une structure américaine et aller y chercher des investisseurs."

Alors qu’elle avait levé plusieurs millions d’euros en Wallonie ces dernières années, la start-up médicale HeartKinetics jette l’éponge, faute de trouver des fonds pour la suite de l’aventure. Rétroactes.

“La maladie d’HeartKinetics vient de son actionnariat fragmenté et des difficultés actuelles liées aux levées de fonds.” Alors qu’il vient de mettre son entreprise en faillite, Pierre-François Migeotte n’est ni dans le reproche, ni dans la rancœur. Au contraire, le fondateur et patron de la start-up HeartKinetics souhaite puiser une valeur d’exemple dans son expérience malheureuse. Car aujourd’hui, après cinq ans passés à transformer une tech­nologie innovante sortie des labos de l’ULB, la firme HeartKinetics, active dans l’univers “medtech”, est en liquidation faute d’avoir trouvé les quelques millions d’euros liés à sa survie. “Dès 2022, nous cherchions à lever 10 millions d’euros pour continuer notre développement et nous adresser au marché avec une offre commerciale bien établie”, détaille le patron de la start-up. Mais sans trouver de pistes probantes, le patron a progressivement réduit la voilure, et les montants recherchés. “Nous nous sommes finalement fixé de trouver 1,5 million d’euros.” Malgré un engagement de la Région wallonne de l’ordre de 500.000 euros, la start-up n’y sera pas parvenue.

Détection des insuffisances cardiaques

Comment cette entreprise, un temps pépite wallonne, en est-elle arrivée là alors qu’elle était parvenue à obtenir 2,7 millions d’euros en 2021 ? Retour au démarrage : HeartKinetics naît en 2019, sous forme de spin-off après 10 ans de recherche au sein de l’ULB sur les fonctions cardiaques des astronautes. A l’époque, Pierre-François Migeotte identifie un potentiel : celui de détecter les insuffisances cardiaques et d’en assurer le suivi grâce à la mesure de la composante mécanique de la fonction cardiaque. Et, à l’origine, sur base d’un outil assez répandu: le smartphone que la spin-off pouvait coupler à un algorithme maison. Dotés d’accéléromètres et de gyroscope, les téléphones portables constituaient un outil “magique” pour le projet.

La société est créée dans le courant de l’année 2019, quelques mois avant la crise du covid. Loin de poser problème, cette dernière se présente plutôt comme une opportunité pour Heart­Kinetics : le diagnostic à distance devient un sujet chaud. Et les investisseurs y croient. Quel­que 2,7 millions d’euros sont levés en 2021 dont une bonne partie auprès de la Région wallonne, du réseau BeAngels et de family, friends and fools.

Sur papier, tout est beau et prometteur. Mais dans la réalité, les choses se compliquent. Notamment parce que la réglementation européenne concernant la certification de matériel médical évolue. “Les modifications régulatoires ont créé un goulot d’étranglement et les process sont devenus très longs, se souvient Pierre-François Migeotte. Tout a alors pris du retard. Sans compter que nous allions devoir certifier une centaine de modèles de smartphones, ce qui était énorme. Le processus allait durer encore 12 à 18 mois… bien plus que les six mois additionnels sur lesquels nous avions tablés.”

Pivot vers le “B to B” et difficultés régulatoires

En parallèle, la start-up constate un grand intérêt des services d’urgence pour sa solution car elle permet de gagner du temps et de désencombrer les salles d’attente en assurant une prise en charge plus rapide (gain de temps sur les tests cardiaques). Une bonne nouvelle. Sauf que l’approche “smartphone” ne convient pas. Les hôpitaux, comme les services d’urgence, ne veulent pas s’appuyer sur un téléphone comme dispositif et préfèrent du matériel plus adapté. “Cela nous a obligés à imaginer un pivot (changement de direction, Ndlr), continue l’entrepreneur. C’est classique dans le monde des start-up mais tant les changements régulatoires que ce pivot nous ont fait perdre du temps.”

La firme décide donc d’identifier des partenaires et un dispositif existant qui peut convenir; cela lui évite de le développer et le fabriquer. Mais sans revenus, la firme ne peut que s’appuyer sur l’argent levé. Or le million supplémentaire obtenu auprès des banques et de la Région wallonne sous forme de prêt convertible n’aura pas été suffisant, alors que la firme a dû engager jusqu’à 16 personnes. “En technologie et certainement en medtech, on a besoin de multiples profils bien spécifiques et de haut niveau, enchaîne Pierre-­François Migeotte. On ne trouve pas tout dans la tête d’un seul informaticien: nous avons dû faire appel à des spécialistes des applis mobiles, de la sécurité, de l’infra­structure, du back-end, de l’IA, des ingénieurs du domaine médical, etc. Et outsourcer prend plus de temps et coûte plus cher au final.”

Nous avions besoin de multiples profils bien spécifiques et de haut niveau. On ne trouve pas tout dans la tête d’un seul infor­maticien.

En théorie, la start-up aurait pu réaliser un nouveau tour de financement. Mais avec l’évolution des taux, la crise et un retour “à la normale” du marché de la tech (des croissances moins délirantes qu’en plein covid), le marché de l’investissement start-up s’est retourné et les investisseurs, un peu partout dans le monde, se sont montrés plus frileux face aux nouveaux projets présentés. Et pas mal d’entre eux ont préféré diminuer les investissements pour soutenir/sauver leurs boîtes en portefeuille. Cela n’a pas été le cas des investisseurs d’HeartKinetics. “Nous comp­tions dans nos investisseurs du public comme Sambrinvest, des business angels comme des cardiologues, des médecins, etc., note le fondateur d’HeartKinetics. Mais nous n’avions pas de lead investor spécialisé dans le monde de la tech. Je pense qu’il n’a pas été clair pour tous nos investisseurs qu’il faudrait suivre lors de nos différentes éta­pes. Et la structure même de notre actionnariat avec plus d’une trentaine de personnes dans notre table de capitalisation n’était pas facile à comprendre et à faire accepter par de nouveaux investisseurs étrangers.”

Trop tard pour les USA

Avec un peu de recul, toutefois, Pierre-François Migeotte concède aussi une grosse erreur dans le développement d’HeartKinetics: n’être pas allé s’installer plus rapidement aux Etats-Unis. “On savait qu’on le ferait à un moment, mais nous aurions dû y aller plus tôt. D’abord parce que le marché y est directement important alors qu’il n’existe pas de marché européen unique. Ici, nous devions avoir un marquage CE puis des certifications par marché. Ensuite, pour lever des fonds aux Etats-Unis où ils sont plus en avance sur ce type d’innovation, il faut une structure là-bas. Il nous a manqué quelques mois pour pouvoir la créer et aller chercher des investisseurs.”

Certains peuvent s’étonner de ne pas parvenir à trouver 1 million d’euros. Surtout quand on est identifié comme une “pépite”. Est-ce que la Wallonie a abandonné HeartKinetics? “Au contraire: on avait beaucoup de soutien du public wallon, rétorque Pierre-­François Migeotte. C’est au niveau du privé que cela a coincé. Nous avions des marques d’intérêt d’hôpitaux et nous nous attendions à générer entre 400.000 et 800.000 euros de revenus en 2024.” Malheureusement, HeartKinetics est tombée avant même de pouvoir commercialiser sa solution.

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