Hasa Optix, un projet qui voit clair

Olivier Mouton

Grâce à ses instruments en acier inoxydable et recyclables, la scale-up bruxelloise se crée une place dans une niche importante de la chirurgie ophtalmique, de plus en plus sollicitée avec le vieillissement de la population. Un business vertueux, nous raconte son patron, Eric T’Scharner.

Oui, une entreprise belge peut répondre à un besoin croissant dans le domaine de la santé, en profitant d’une niche délaissée par les grandes majors internationales. Et oui, il est judicieux pour elle de combiner cela avec un souci du recyclage, en lien avec l’économie circulaire imposée par la lutte contre le changement climatique. La scale-up bruxelloise Hasa Optix l’a compris et illustre combien succès, audace et conviction vont de pair.

“Je suis entré dans cette aventure en 2019, en tant qu’investisseur, raconte Eric T’Scharner, chief everything officer de l’entreprise. L’entreprise travaille sur des instruments de chirurgie jetables pour opérer la cataracte, un besoin qui explose en raison de la pyramide inversée des âges. J’ai tout de suite compris que c’était une entreprise vitale, à la fois susceptible de se faire une belle place, mais aussi de répondre à des questions fondamentales pour notre société.”

Une idée toute simple

L’histoire commence, en réalité, dès 2012. Un couple, composé d’un chirurgien ophtalmologue néerlandais et d’une ingénieure anglaise, rêve de monter une entreprise pour répondre à un besoin criant. Dans cette profession, une des plus précises au monde qui touche des organes vitaux, les praticiens ne semblent pas contents des instruments mis à leur disposition. “Trop souvent, les chirurgiens leur disaient qu’en arrivant en salle d’opération, leur outil stérilisé était endommagé, résume Eric T’Scharner. Les infirmières se plaignaient du fait que chaque médecin disposait de son propre set. Bref, un chaos sans nom.”

Eric T’Scharner.
“Nous sommes un petit poucet disruptif. Et nous avons des ­partenaires formidables.” – Eric T’Scharner, CEO

La pince dite Rhexis, la plus utilisée pour commencer ces opérations de la cataracte, est celle qui casse le plus souvent. “L’idée qui a germé était de créer une marque à usage unique de qualité, pour éviter ce problème”, souligne le chief everything officer. Après trois années de recherches, Hasa Optix voit le jour en 2016 à Bruxelles, à deux pas de la gare du Midi. C’est une start-up composée de deux personnes. Les instruments élaborés tiennent compte de l’enjeu environnemental: ils sont sans plastique, uniquement composés d’acier inoxydable, un des métaux les plus facilement recyclables.

Le début de la croissance

En 2019, le Chirec devient un premier client important. Ce réseau d’hôpitaux et cliniques spécialisées est construit sur le site Delta, un des plus modernes de la capitale. “A cette occasion, ils décident de passer des instruments réutilisables à ceux à usage unique. Hasa Optix devient leur référence.” Eric T’Scharner arrive à ce moment pour soutenir la dynamique avec une participation minoritaire, puis il rachète le tout en décembre 2021 avec l’appui de CVC Capital Partners, via une société nommée Rayner, inventeur des implants intraoculaires.

La rencontre entre les partenaires est harmonieuse. “La relation est saine, souligne le patron d’Hasa Optix. Nous sommes petits et nous fabriquons des produits assez uniques. Ils nous ont apporté de l’argent qui nous a permis de créer une équipe. Nous sommes une quinzaine à Bruxelles, avec l’anglais comme langue usuelle, et des talents très intéressants venus d’Iran, de Thaïlande, d’Inde, du Vietnam ou d’Afrique. Mais Rayner nous apporte non seulement l’accès à des compétences, mais aussi à un réseau de distribution, pour lequel nous devenons un fournisseur complémentaire.”

L’espoir d’Eric T’Scharner, c’est de générer des profits à la fin 2024 ou au début 2025. “Nous sommes dans un secteur où sont actives cinq grandes entreprises, prolonge-t-il. La plupart ont acheté les grandes composantes de cette industrie de la cataracte et elles vendent le tout aux médecins. Nous arrivons de l’extérieur et nous cassons la façon dont cela fonctionne. Nous apportons un projet social et environnemental, ce qui est important pour les jeunes chirurgiens qui sont en quête de sens.” Hasa Optix profite aussi d’une niche qui n’est pas forcément rentable pour les géants. Bref, la scale-up bruxelloise se crée une place, à coup d’ingéniosité.

“Nos instruments génèrent moins de stress et d’infections, appuie-t-il encore. Ce qui libère du temps pour le personnel infirmier. Cela rejoint deux besoins: augmenter la qualité des soins et mieux maîtriser les coûts. A ce sujet-là aussi, notre offre correspond à l’air du temps.” La bascule se fait même au niveau de l’éthique: sans dépenses somptuaires pour la promotion, le bouche à oreille fonctionne.

Au moment de racheter l’entreprise, Eric T’Scharner avait d’ailleurs listé le ranking des 100 meilleurs chirurgiens ophtalmologues aux Etats-Unis pour demander à certains de tester les instruments. “Le premier d’entre eux m’a rappelé pour me dire que c’était incroyable. C’est lui qui nous a mis en contact avec CVC. Ce qui m’amuse, c’est que nous sommes un petit poucet disruptif. Et nous avons des partenaires formidables: depuis que je travaille, j’ai rarement vu une qualité de travail et des gens de valeur comme chez Rayer.”

Un rêve humaniste avant tout

Le propriétaire de la scale-up est conscient qu’il ne deviendra pas un géant. “Nous ferons peut-être, un jour, 50 millions de chiffre d’affaires. Ce n’est pas dans notre domaine que se situent les gros montants. Nous sommes loin du milliard des majors, nous occupons une niche un peu délaissée.”

Mais il avance. Fièrement, le voilà qui vient d’annoncer un partenariat avec Urbike pour créer un circuit de recyclage. “C’est très compliqué parce que c’est extrêmement réglementé et que personne ne se met réellement en mouvement, au-delà des rapports de consultants. Nous mettons des poubelles vertes dans les salles d’opération et nous travaillons avec des spécialistes du recyclage hospitalier. C’est imparfait. Mais c’est un début significatif.”

Dans la démarche d’Hasa Optix, il y a quelque chose d’assez humble, au fond. “Après 35 ans de carrière, à près de 60 ans, je me suis demandé si j’allais encore me lancer dans de telles démarches, confie Eric T’Scharner. Mais la valeur des gens avec qui je me suis lancé m’a convaincu. Nous faisons gagner 10 ans à Rayer. Si on y arrive, à un moment donné, ils reprendront le tout. Mais le plus important, c’est de pouvoir jouer un rôle, modestement, sur une cause centrale pour l’Organisation mondiale de la santé.”

D’ailleurs, au détour de notre échange, le chief everything officer met en avant son rêve ultime: “La cataracte est la première source de cécité dans le monde. Dans 75% des pays du monde, on n’opère pas ce mal à temps. Un des défis qui m’anime, c’est d’y travailler le jour où l’on sera rentable. Je rêve de pouvoir mettre ces instruments à disposition de médecins dans des régions où ils n’ont pas les moyens d’en disposer”. Comme une ultime démonstration qu’une entreprise peut être citoyenne.

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