Sous pression, Planet Parfum se refait une beauté

Planet Parfum veut renforcer la formation de ses vendeuses, qui doivent devenir de véritables conseillères. © PG
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Evoluant dans un paysage de plus en plus concurrentiel, Planet Parfum est forcé de transformer son image et de simplifier sa structure pour éviter un déclassement. L’enseigne est en train de rénover toutes ses boutiques de fond en comble. ” Si nous voulons continuer à exister demain, il est indispensable d’apporter du service et de nous raconter comme marque “, explique son CEO.

C’est un secteur en plein chambardement, forcé suivre les dernières évolutions pour ne pas voir son business s’évaporer. Il faut dire que la concurrence s’est intensifiée dans la distribution de parfums et de produits de beauté et de soin. ” La parapharmacie ne cesse de se développer dans ce dernier segment, avec du conseil crédible et un positionnement santé, explique Isabelle Schuiling, professeur de marketing et spécialiste du luxe à la Louvain School of Management (UCL). On assiste, par ailleurs, à l’arrivée de nouveaux entrants qui se spécialisent dans le maquillage. On peut, par exemple, penser à la chaîne Mac (Estée Lauder), à l’enseigne low cost Kiko ou encore aux boutiques NYX (L’Oréal) ou Flormar. La grande distribution, si elle n’est pas directement concurrente, vend aussi des produits cosmétiques. Enfin, la vente par Internet se développe fortement dans ces secteurs, et les marques ne doivent plus forcément passer par les distributeurs. ”

Un contexte compliqué dont on est bien conscient chez Planet Parfum, deuxième acteur du secteur en Belgique derrière Ici Paris XL. ” Tout acteur présent sur le marché et qui vend des produits de beauté est un concurrent. Nous ne sommes finalement qu’un petit segment, celui des produits de luxe, dans un marché énorme “, explique Tanguy De Ripainsel, le CEO. Les premiers concurrents de cette chaîne encore 100 % belge sont les autres parfumeurs. Le paysage dans notre pays est assez simple : il y a un acteur majeur et principal, Ici Paris XL. Vient ensuite Planet Parfum, nettement plus petit. Galeria Inno arrive en troisième position et puis enfin, derrière, se trouvent toute une série de chaînes locales et des parfumeurs indépendants qui possèdent un ou deux magasins. ” Nous sommes très présents lors des moments de fête, précise le responsable. Or, à ces périodes-là, nos concurrents ne sont pas seulement les parfumeurs, mais tous les acteurs qui vendent des cadeaux. A ce rythme-là, on peut facilement imaginer qu’Apple devienne un concurrent, tout comme un chocolatier de luxe, etc. ”

 l'enseigne a décidé d'offrir des services personnalisés à ses clients.
l’enseigne a décidé d’offrir des services personnalisés à ses clients.© PG

Expérience et personnalisation

Dans ce paysage en constante évolution, les parfumeurs doivent absolument se réinventer pour survire. ” S’ils ne se différencient pas suffisamment, on n’aura plus besoin d’eux à l’avenir, assure Isabelle Schuiling. Les jeunes, aujourd’hui, ne vont déjà plus beaucoup dans les parfumeries. Ils préfèrent les plus petits magasins et les achats en ligne, influencés par les blogueuses et tutoriels. ” Pour cette spécialiste, il est important que des enseignes comme Planet Parfum offrent à la fois une expérience unique et une expertise pointue. ” Les deux mots d’ordre doivent être l’expérience et la personnalisation, soutient-elle. Le client doit être mieux accueilli et les vendeuses ne doivent plus se cantonner à leur rôle. Elles doivent devenir de vraies conseillères. Ces enseignes doivent, par ailleurs, faire appel aux outils du marketing expérientiel. Elles le font déjà un peu, mais pas dans un cadre suffisamment glamour. Elles doivent permettre de tester les produits, jouer avec la réalité augmentée, communiquer beaucoup plus sur leur e-commerce, nouer des partenariats avec des blogueuses, réaliser des tutoriels, etc. Pour personnaliser leurs services, elles doivent utiliser les informations digitales collectées sur leurs clients pour leur proposer, par exemple, un rendez-vous spécial de soin. ”

“Nous n’avons pas encore une approche extrêmement personnalisée de l’e-commerce, nous ne sommes pas encore assez orientés client dans notre manière de concevoir les choses.” – Tanguy De Ripainsel

Chez Planet Parfum, les équipes se sont lancées dans une refonte totale du concept afin de répondre aux différents défis que nous venons de passer en revue et surtout pour stopper la dégringolade du résultat opérationnel (lire l’encadré ” Le bilan à la loupe “). ” Quand votre résultat se dégrade dans le temps et que votre chiffre d’affaires stagne, à un moment donné, vos coûts augmentent et votre marge est sous pression. Il faut s’interroger et se demander quel modèle on veut mettre en place, assure Tanguy De Ripainsel. Concrètement, nous avons décidé de retourner vraiment la dynamique de l’entreprise. ” Comment ? En se positionnant sur ” le conseil en beauté sur des marques internationales extrêmement qualitatives “, selon le CEO.

 les clients peuvent tester les maquillages en situation réelle dans les boutiques.
les clients peuvent tester les maquillages en situation réelle dans les boutiques.© PG

Se raconter comme marque

” Avant mon arrivée en juillet 2016, un énorme travail de remise à niveau de tous les basiques avait été mené, détaille le CEO. Au niveau des outils de management des stocks, des systèmes informatiques, etc. Et aujourd’hui, nous transformons complètement nos magasins. Rien que cette année, nous rénovons la moitié de notre parc de la cave au grenier. ” Un deuxième axe de ce plan de transformation passera par une amélioration de la communication. ” Jusqu’à fin 2016, Planet Parfum parlait très peu sur l’ADN de l’entreprise, affirme Tanguy De Ripainsel. Nous communiquions beaucoup sur les promotions, sur notre assortiment, mais nous ne nous racontions pas comme marque. Aujourd’hui, si nous voulons continuer à exister demain, il est indispensable d’apporter du service et de raconter pourquoi on fait les choses. Cela nous amène à vouloir dorénavant prendre la parole sur la beauté sélective. Nous pensons qu’il existe un tel créneau dans le marché belge. Tout cela implique bien évidemment un troisième axe de transformation très important pour nous : l’augmentation substantielle de la formation des personnes qui travaillent dans nos magasins. Connaître les produits, c’est une chose. Pouvoir les expliquer, c’est déjà différent. Pouvoir les raconter et offrir un service personnalisé à toutes les personnes, c’est un niveau encore supérieur. Aujourd’hui, avoir une parfumerie qui ne s’exprime que sur la promotion et le prix, c’est un modèle à court terme. A long terme, on ne fidélise pas, et les clients ont alors toutes les raisons d’aller chercher d’autres canaux, digitaux par exemple. ”

“Encore des progrès à faire en e-commerce”

L’e-commerce, justement, Planet Parfum le voit plutôt comme un canal complémentaire, ” qui n’est pas vraiment en concurrence directe avec ce que nous faisons “, pense le CEO. ” Il est difficile aujourd’hui de s’affranchir de nos magasins car nous vendons des produits sensoriels, de la couleur, des textures, etc. Maintenant, les points de vente doivent offrir quelque chose de plus. D’où l’importance du service, de la possibilité de tester les produits, etc. ” Au niveau de l’e-commerce en tant que tel, l’enseigne dispose de son propre webshop. Les clients peuvent commander en magasin ou chez eux, et se faire livrer en magasin ou à domicile. Tanguy De Ripainsel reconnaît toutefois que ” c’est un canal sur lequel nous avons encore énormément de progrès à faire “. ” Aujourd’hui, nous jettons un peu le catalogue en ligne et, bon an mal an, nous essayons de donner des informations. Nous n’avons pas encore une approche extrêmement personnalisée de l’e-commerce, nous ne sommes pas encore assez orientés client dans notre manière de concevoir les choses. Ce sont autant de points sur lesquels nous devons nous améliorer. ”

Sous pression, Planet Parfum se refait une beauté
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Une amélioration du résultat ? “Nous restons très prudents !”

En ce qui concerne la digitalisation des points de vente, le CEO ne pense pas qu’il faille forcément multiplier les écrans dans les boutiques. ” La digitalisation vient de nos clients, explique-t-il. Nous avons mené des tests très poussés dans les magasins, avec des écrans qui présentent l’assortiment, des testeurs, etc. Mais nous remarquons que leur utilisation n’est pas gigantesque. En revanche, nos clients utilisent énormément leur smartphone dans nos points de vente. Nous continuerons donc à avoir des écrans, mais ceux-ci doivent apporter quelque chose de plus. Il est possible d’imaginer que ces écrans racontent une histoire que les clients ne peuvent pas trouver ailleurs, qu’ils permettent de se prendre en photo et de poster cette photo sur le site de l’enseigne, etc. ”

Si Planet Parfum espère bien remonter la pente grâce à son plan de transformation, Tanguy De Ripainsel se veut prudent. ” Il faut être très modeste, lance- t-il. Le paysage concurrentiel a fortement évolué. Nous espérons bien sûr un résultat positif vu l’énergie considérable dépensée. Disons que nous espérons des améliorations déjà pour cette année, mais nous restons très prudents ! “

Le bilan à la loupe

En analysant les comptes de Planet Parfum, il faut constater qu’ils se sont profondément transformés en 2015. En cause : une méga-fusion avec 12 sociétés, ainsi que la fermeture de cinq magasins et l’ouverture de deux nouveaux. “Nous avions toute une galaxie d’entreprises, explique Tanguy De Ripainsel, CEO de Planet Parfum. Il pouvait s’agir de quelques magasins parfois liés à des rachats à l’époque, à des structures, à des régions, etc. Nous avons décidé de tout regrouper. Nous avons mené un travail considérable d’harmonisation, ce qui au final, nous facilite la vie, ne serait-ce qu’en gestion, d’abord des P&L et puis des payrolls, des différents contrats que nous pouvons avoir avec nos marques, etc. Cette structure datait d’il y a longtemps. L’entreprise s’est construite progressivement, et il n’était pas écrit que nous deviendrions une chaîne avec 80 magasins.”

En regardant le compte de résultat, on voit que si les ventes augmentent un peu (de 1,54 %), le résultat opérationnel, lui, s’effondre. Il passe ainsi de -1.696.410 euros en 2014 à -5.107.300 euros en 2015. Le cash-flow opérationnel, quant à lui, passe de -113.000 euros à -2.469.000 euros. “C’est dû à une dégradation de la marge brute de 1,41 % (-836.000 euros), mais surtout à l’augmentation des coûts salariaux, qui passent de 1.699.000 euros à 15.658.000 euros, explique Pascal Flisch, business development manager chez Roularta Business Information. Une augmentation qui n’est pas compensée par les gains réalisés au niveau des frais généraux, qui passent de 37.925.000 euros à 26.060.000 euros. Si la perte nette n’est que de 868.000 euros au final, c’est parce qu’un résultat exceptionnel positif de 3.277.000 euros est réalisé. Le résultat courant avant impôts, lui, est de -4.126.000 euros. C’est ce trou qu’il va falloir compenser pour pouvoir annoncer la réussite de l’opération.”

Planet Parfum explique la dégradation du résultat opérationnel par plusieurs éléments. “Dans le cadre du processus d’harmonisation des sociétés, il y a eu un passage dans une commission paritaire différente, avec un impact assez fort sur les salaires, assure Tanguy De Ripainsel. Par ailleurs, le modèle commercial de la parfumerie en Belgique a fortement évolué. Pendant tout un temps, il y avait un système où le client recevait, sur base de sa carte de fidélité, presque de façon systématique -20 % sur l’assortiment. Mais à un moment donné, la pratique a perdu son sens, et nous sommes donc passés en prix nets. Mais le consommateur, lui, conservait une attente de prix plus bas, ce qui a posé problème… Enfin, il y a encore d’autres facteurs comme des ouvertures qui n’ont pas tenu leurs promesses, l’arrivée de concurrents, etc.”

100% Belge

Planet Parfun est une enseigne 100 % belge. Avec Di, elle fait partie du groupe Distriplus détenu à 50/50 par Ackermans & van Haaren et la CNP d’Albert Frère. La famille Cloquet, qui a fondé l’entreprise il y a 46 ans, n’est plus du tout présente. A ce jour, la chaîne possède 83 boutiques (80 en Belgique et 3 au Luxembourg). Davantage présente en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre, elle vend des produits de beauté sélective et se positionne sur trois axes : le maquillage, le parfum et les soins (visage et corps). “Nous sommes un petit acteur local et cela nous plaît, lance Tanguy De Ripainsel, le CEO. Il est clair que les chaînes faisant partie d’un grand groupe peuvent bénéficier de conditions d’achat plus avantageuses, mais je trouve que notre situation apporte plus d’avantages que d’inconvénients. Le fait de pas être un des grands acteurs nous permet parfois de décrocher des exclusivités. Par ailleurs, notre petite taille nous donne une souplesse et une rapidité de mouvement qui est appréciable.”

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