Serge Van Herck (CEO d’EVS): “Nous voulons être numéro 1 mondial d’ici 2030”

Serge Van Herck, CEO d’EVS: "Le client achète chez nous la certitude que la diffusion en direct se fera sans aucun problème."
Myrte De Decker Journaliste TrendsStyle.be
Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

La phase finale du championnat d’Europe de football et les Jeux olympiques nous réservent un été sportif. Et de belles opportunités pour les technologies de la société belge EVS, indispensables à la diffusion des images en direct partout dans le monde. Un entretien où il est question de douves, résultats record et objectifs ambitieux. “Les acquisitions qui nous permettent d’élargir notre offre vont renforcer notre croissance”, déclare Serge Van Herck, le CEO de l’entreprise.

Nous attendons Serge Van Herck, plongé dans de difficiles négociations avec un client australien, pendant une bonne heure. Et à ­l’issue de notre entretien, il filera au resto pour célébrer l’accord. Le CEO d’EVS n’a en réalité jamais le temps de souffler. Quand nous l’avons rencontré, les résultats annuels 2023 de ­l’entreprise devaient être annoncés (ses revenus ont dépassé les 173 millions d’euros, pour un résultat d’exploitation de 41 millions et un bénéfice net de près de 37 millions, Ndlr). Il y a quelques semaines, Serge Van Herck était aussi à Las Vegas, où il aidait aux préparatifs en vue du Super Bowl…

TRENDS-TENDANCES. ­L’entreprise EVS fête son 30e anniversaire. Peut-on parler d’événement marquant, ou est-ce “business as usual” ?

SERGE VAN HERCK. Compte tenu des Jeux olympiques, il s’agit d’une jolie étape. La proximité de Paris rend cet anniversaire spécial ; nous le célèbrerons en compagnie de nos clients et de nos collègues. Le timing n’aurait pas pu être meilleur.

EVS a-t-elle décroché d’intéressants contrats pour les JO ?

Des accords de non-divulgation nous interdisent de nous étendre sur le sujet. Mais nous avons en effet pas mal d’affaires liées aux JO de Paris. C’est du reste toujours le cas lors des années paires, qui accueillent JO, Coupe du monde et Championnat d’Europe de football. Ce sont systématiquement d’excellentes années pour nous.

Mais la contribution de ces événements au chiffre d’affaires est de plus en plus limitée.

En chiffres absolus, cette part reste à peu près la même. Mais nos autres activités se développent ­tellement que ces événements perdent en effet relativement en importance. Mais c’est une bonne chose. Nous sommes toujours obligés d’expliquer ces rebonds bisannuels ; alors moins ils sont visibles, mieux c’est. Nous avons clos 2023, une année impaire, pourtant, sur des résultats record. L’exercice a même été meilleur que le précédent, qui était pourtant une année de Coupe du monde. Cela montre que notre croissance n’est plus exclusivement liée à ces événements sportifs.

Après des années de baisse, 2021 a marqué un tournant décisif pour EVS. Que s’est-il passé ?

L’entreprise a été fondée en 1994, après deux épisodes de faillite. La troisième fois fut la bonne. Entre 2011, l’année du départ du cofondateur Pierre L’Hoest, et 2020, la tendance a été négative. Cinq CEO se sont succédé durant cette période. Lorsque je suis arrivé fin 2019, j’ai vite compris qu’il fallait à EVS un nouvel élan, une nouvelle stratégie et une vision claire. En compagnie de 35 collègues environ, j’ai mis tout cela sur papier. La crise sanitaire a pesé sur les ­résultats de 2020 mais 2021 a ­permis d’enregistrer une forte croissance, qu’explique en partie l’acquisition, en mai 2020, de la société néerlandaise Axon. J’ai par ailleurs modifié et élargi les équipes de direction.

En quoi avez-vous agi autrement que vos prédécesseurs ?

Un collègue m’a dit : EVS est une collection d’aimants tous orientés différemment. Les grands événements sportifs, comme les Jeux olympiques, en sont le pôle ­d’attraction : c’est à ce moment-là que nous parvenons à regarder dans la même direction et à réaliser de grandes choses. Mon objectif était que tout le monde regarde toujours dans la même direction. C’est pourquoi nous avons fixé, ensemble, des objectifs à l’échelon de l’entreprise, des départements et des personnes.

Nous avons en outre compris quelque chose d’important en 2019. Il existe une théorie selon laquelle, pour être le meilleur dans son secteur, il faut viser un de ces trois objectifs : l’excellence opérationnelle, le leadership produit ou l’intimité avec le client. Pour ce qui est de l’excellence opérationnelle, je citerai les Ikea de ce monde, qui fabriquent de bons produits à des prix très concurrentiels. Il est clair que nous n’en faisons pas partie. Je pensais en revanche être un leader dans le domaine des produits, puisque la moitié du personnel se consacre au R&D et que nous cherchons sans cesse à améliorer et à élargir notre gamme. Or, en discutant stratégie, nous avons compris que nous n’étions pas ce genre d’entreprise non plus. Ce qui fait vraiment la différence, c’est notre proximité avec les clients. Nous sommes à l’écoute de leurs besoins, auxquels nous répondons en mobilisant nos technologies. Nous sommes et restons aux côtés du client, pour lui assurer continuité et fiabilité. Avec nous, il a la garantie que la diffusion en direct se fera sans aucun problème.

Ces solutions à la mesure du client ne rendent-elles pas le produit plus onéreux ?

Nous fabriquons des produits flexibles, que nous installons chez le client et que nous adaptons à l’environnement. Cette flexibilité est justement ce qui nous permet de proposer une solution plus large – non pas un produit à application unique mais un produit dont les multiples solutions peuvent former leur propre écosystème.

Comment ?

La combinaison de plusieurs de nos produits fait plus que chaque produit séparément. Prenez notre interface LSM (un dispositif semblable à un ordinateur, Ndlr), que les opérateurs du monde entier ­utilisent pour envoyer des rediffusions ou du différé. Cet appareil peut désormais être utilisé pour ExtraMotion, notre technologie générative basée sur l’IA qui ­permet de créer des ralentis avec n’importe quel type de caméra. La réalisation d’un beau ralenti exige 150 à 300 images par seconde. Une caméra ordinaire n’en enregistre que 50. Si vous la ralentissez, l’image apparaît comme “déchiquetée”. Notre technologie consiste à placer deux images “hallucinées” entre deux images réelles ; nous créons donc artificiellement 150 images, à partir de 50 images par seconde. Les possibilités des caméras ordinaires de nos clients s’en trouvent donc soudain multipliées.

Serge Van Herck (CEO d’EVS): “Tout le monde commence à ­comprendre que quelque chose a changé.”

Comment suivez-vous les innovations et les nouveautés ?

La moitié de nos 620 employés travaillent à la R&D: 80% dans les logiciels et 20% dans le matériel. Ils développent de nouveaux produits ou ajoutent de nouvelles fonctionnalités à ceux qui existent. Nous utilisons également l’IA générative ; cela fait cinq ans que nous travaillons sur la question, avec une équipe de 15 personnes désormais. Je ne pense pas que beaucoup d’entreprises belges puissent dire qu’elles exploitent déjà ainsi l’IA.

Les grands réseaux américains, le Super Bowl… L’Amérique du Nord est-elle votre principal marché ?

Notre principal marché est ­toujours l’EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique). Mais l’Amérique vient effectivement juste après. C’est là que la croissance a été la plus vigoureuse ces dernières années, et devrait le rester. Les budgets consacrés à la télévision y sont beaucoup plus élevés qu’en Europe.

“Cela fait cinq ans que nous ­travaillons sur l’intelligence ­artificielle, avec une équipe de 15 personnes désormais. Je ne pense pas que beaucoup d’entreprises belges puissent en dire ­autant.”

L’Europe évolue-t-elle dans cette direction elle aussi ?

Les différences culturelles me semblent trop importantes. Je vois mal l’Europe débourser les budgets que l’on paie aux Etats-Unis pour des événements sportifs. Au cours des 10 prochaines années, Amazon va mettre un milliard de dollars sur la table par an pour pouvoir diffuser le Thursday Night Football. L’Europe ne joue pas dans la même cour.

EVS a récemment signé un contrat de 50 millions d’euros sur 10 ans. Est-ce une bonne stratégie pour le futur ou un tel contrat est-il plutôt exceptionnel ?

Il s’agit de l’accord le plus important de notre histoire. Nous constatons que les durées des contrats sont de plus en plus longues. C’est dû au fait que les entreprises médias achètent les droits de diffusion pour des périodes plus importantes également, ce qui leur donne suffisamment de temps pour amortir leurs investissements, très élevés. Notre objectif est de devenir numéro 1 du secteur d’ici à 2030, ce qui devrait représenter un chiffre d’affaires de 350 millions d’euros. Nous sommes convaincus de pouvoir y parvenir, moyennant ­probablement un certain nombre d’acquisitions. La stratégie actuelle nous met en mesure d’atteindre notre objectif.

Une vague de consolidations est en cours. Avez-vous l’intention de prendre la tête de ce mouvement ?

Absolument. Les acquisitions qui nous permettent d’élargir notre offre renforcent notre croissance. Nous ne sommes pas encore très actifs dans les domaines de l’audio, du graphisme, des caméras et des solutions spécifiquement axées sur les services d’information. Aujourd’hui, nous comblons ces lacunes en concluant des partenariats. Mais nous voulons pouvoir offrir ces services nous-mêmes.

Un bilan sans dettes et la robustesse des flux de trésorerie ­d’exploitation assurent la solidité financière de l’entreprise. Jusqu’où pouvez-vous aller en matière d’acquisitions ?

En 2022, nous avons étudié une vingtaine de dossiers, dont aucun n’a été retenu. Nous plaçons la barre haut. Nous ne voulons pas faire courir de risques à EVS. Une acquisition de 400 millions d’euros, par exemple, serait trop dangereuse. Nous pouvons financer sans problème jusqu’à 50 millions ­d’euros ; 100 millions, ça serait déjà plus difficile. Nous acceptons un léger levier d’endettement, sans vouloir payer de prix fous ou prendre des risques inconsidérés.”

L’entreprise s’est-elle entourée de douves qui protègent l’activité et les marges bénéficiaires des attaques de la concurrence ?

Oui. Quelque 7.000 opérateurs EVS dans le monde utilisent notre interface et notre technologie. C’est une douve très sûre, car rares sont les opérateurs qui peuvent ou veulent utiliser autre chose. Il est souvent arrivé que des concurrents tentent de convaincre – sans succès – ces opérateurs de passer à une autre technologie. Nos clients ne vont pas s’y risquer, en particulier parce que nos produits sont extrêmement fiables. Lorsqu’une entreprise médias paie des centaines de millions pour des droits télévisuels ou sportifs, elle investit dans la fiabilité. Prenons le Super Bowl : les annonceurs déboursent 7 millions de dollars pour un spot de 30 secondes. Il n’est pas question de rater quelques secondes d’antenne.

Qui sont vos principaux ­actionnaires ?

Michel Counson, un des trois fondateurs d’EVS, reste un des principaux actionnaires, avec une participation d’environ 6 %. Il travaille toujours ici comme ingénieur hardware. Viennent ensuite quelques fonds, dont la participation ne dépasse pas 5 %.

Cette structure de l’actionnariat rend-elle EVS vulnérable à un rachat ?

Nous sommes cotés en Bourse depuis 1998, mais aucune offre n’a jamais été émise. C’est une situation intéressante. La moitié de nos actionnaires sont des fonds de petite taille, les autres, des institutionnels ; 75 % sont belges. Si quelqu’un faisait offre un jour, à qui s’adresserait-il ? A Michel, dont la participation n’est que de 6 %. Et au conseil d’administration, mais il faudrait que la proposition parvienne à convaincre tous les petits actionnaires.

L’action ne semble pas encore refléter l’élan retrouvé, n’est-ce pas ?

Tout le monde dit depuis des années que son cours est sous-­évalué mais depuis l’an passé, nos résultats se font remarquer. ­N’oubliez pas qu’entre 2012 et 2020, le chiffre d’affaires a reculé. Nous avons enregistré un résultat record en 2021, mais beaucoup ont vu là l’effet du report des JO et du championnat d’Europe de football. Le chiffre d’affaires a augmenté en 2022 également ; là, on a parlé de l’effet Coupe du monde. Mais en 2023, année impaire sans grands événements sportifs, il a de nouveau progressé. Tout le monde commence à comprendre que quelque chose a changé.

A l’occasion d’une présentation aux investisseurs, vous avez parlé du BHAG (“Big Hairy Audacious Goal”) d’EVS. De quoi s’agit-il ?

Comme je l’ai dit, nous voulons être numéro 1 mondial d’ici 2030. Cette ambition est affichée dans tous les bureaux de l’entreprise.

Quels sont les plus grands risques pour EVS ?

La cybersécurité est un casse-tête. Les risques sont importants. La question n’est pas de savoir si nous serons victimes d’une cyberattaque, mais quand. Nous investissons beaucoup dans notre protection mais nous partons du principe que tôt ou tard, une agression réussira, que des pirates s’introduiront et bloqueront nos opérations. La question est donc de savoir à quelle vitesse nous pourrons redémarrer. Contrairement à tant d’entreprises qui se contentent d’espérer qu’aucune attaque n’aboutira jamais, nous sommes prêts à rebondir rapidement. Une autre difficulté est celle qui consiste à dénicher des talents. Pour l’instant, l’excellence de notre image nous permet de recruter sans problème mais à long terme, trouver suffisamment d’ingénieurs va devenir difficile. Ce qui pourrait ralentir notre croissance.

“Nous sommes prêts à redémarrer rapidement en cas de cyber­attaque.”

Pour terminer : votre technologie VAR (assistance vidéo à l’arbitrage) est parmi les meilleures au monde, mais la Fédération belge de football ne l’utilise pas. Que répondez-vous à cela ?

Nous sommes numéro 2 mondial pour les systèmes VAR. L’histoire de la Belgique est particulière. La Fédération cherchait un fournisseur de services. Nous n’en sommes pas, c’est pourquoi elle a choisi un concurrent canadien. Nous espérons néanmoins être un jour actifs en Belgique, par le biais d’un partenariat.

Profil

· 1987-1992 : ­ingénieur civil en électro­mécanique, UGent
· 1996-1998 : MBA à la Vlerick Business School
· 2017 : Executive Education, ­Mergers and ­Acquisitions, Harvard Business School
· 1994-2001 : ­responsable des services satellitaires chez ­Belgacom
· 1997-2001 : ­directeur ­d’Eutelsat
· 2001-2003 : ­senior manager chez Accenture
· 2003-2017 : CEO de Newtec
· Depuis 2019 : CEO d’EVS

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