Ronquières Festival: “Notre business model est fragile et risqué”
A l’entame de la saison des festivals, les organisateurs du Ronquières Festival font le point sur son évolution depuis sa création en 2012. L’édition 2023 sera un nouveau challenge et réserve quelques surprises aux festivaliers.
Ils sont quatre amis de longue date tous originaires de Binche à avoir lancé en 2012 le Ronquières Festival sur le site impressionnant et insolite du Plan incliné de la région du Centre. A l’entame de la saison des festivals, Bertrand Hamaide, Florence Humblet, Gino Innocente et Jean-François Guillin ont fait le point lors d’un déjeuner de presse sur l’évolution de l’un des événements musicaux forts de l’été, dans un contexte inflationniste, à tous les niveaux.
A l’affiche de la onzième édition étalée sur trois jours les 4, 5 et 6 août prochains, on trouve des valeurs sûres comme Louise Attaque, Placebo, Indochine, Benjamin Biolay et The Prodigy, ou encore les révélations francophones qui sont sur toutes les lèvres Pierre De Maere et Zaho De Zagazan.
Flambée des cachets des artistes
Les organisateurs annoncent d’entrée de jeu une augmentation du budget de pas moins de 70% cette année, pour un total de 4,5 millions d’euros. « Il y a une augmentation des coûts à différents niveaux. Ce ne sont pas seulement les cachets de tous les artistes qui explosent, mais les équipes qui travaillent sur les tournées – les danseurs, les techniciens – coûtent beaucoup plus cher. Les installations pour les concerts, les scènes, les effets spéciaux sont aussi de plus en plus sophistiqués. Les coûts sont poussés par la production. » Les organisateurs ne le cachent pas : « Notre business model est risqué et fragile.»
Des coûts poussés par la production
Pas de quoi les faire paniquer pour autant. Depuis dix ans, la croissance du festival a toujours été maitrisée, assurent-ils. « On est très prudents car on dépend fortement de la billetterie. On est quasi obligé d’arriver à 85 % de la jauge pour simplement arriver à un break-even (seuil de rentabilité, NDLR). On peut encore grandir, mais tout en sachant qu’on ne peut pas partir dans des délires, on ne va pas investir le double l’année prochaine, par exemple », explique l’un des organisateurs.
Les rentrées financières d’un festival proviennent avant tout des rentrées propres (80%), à savoir la billetterie, le bar et les locations des emplacements de food trucks. Le sponsoring commercial et les subsides complètent le tableau. « A Ronquières, les subsides comptent à peine pour 3 ou 4 % de notre chiffre d’affaires », dit Gino Innocente. Le sponsoring commercial pèse, lui, entre 10 et 15 %.
L’atout bénévole
Face à la concurrence des autres festivals wallons, une des forces du Ronquières Festival réside dans son équipe organisatrice très réduite. « Nous sommes seulement 5, dont une seule salariée», explique Bertrand Hamaide.
Alors que Dour ou Les Ardentes fonctionnent avec de nombreux salariés, l’équipe dirigeante fait principalement appel à des intermittents, de nombreux indépendants auxquels s’ajoutent des bénévoles, recrutés à travers des associations locales, des mouvements de jeunesse,… Ils sont 1200 mobilisés durant les trois jours, pour un total de 30.000 heures de prestation. « La structure de coût est très faible, très maitrisée ce qui nous permet de traverser sans trop de mal des périodes compliquées comme en 2020 lorsque le festival a dû être annulé à cause du Covid ».
« On est très prudents. Le seuil de rentabilité se fait à 80-85 % de la jauge.
« Travailler uniquement avec des bénévoles nous a aussi permis d’être présents en 2021, alors que tous les autres festivals belges étaient annulés, car ils travaillaient avec des salariés qui étaient en chômage Corona », fait remarquer, de son côté, Florence Humblet.
Objectif : 80.000 festivaliers
Le festival évolue. Quelques changements sont annoncés cette année. L’espace festivalier s’agrandit de deux hectares. La disposition des trois scènes sera aussi modifiée. « On va agrandir la main stage et la déplacer dans la grande zone qu’on appelle ‘la colline’, avec un gradin de verdure», annonce Jean-François Guillin, responsable de la régie du site et de tout ce qui est lié à la sécurité et la mobilité. “La prouesse technique sera d’installer la scène sur un terrain en dénivelé“, explique-t-il. La scène électro, le « Bâbord club », va aussi être plus développée.
Niveau tarif, pas de mauvaise surprise, le ticket à la journée est affiché à 59 euros, soit 5 euros de plus que l’année dernière, inflation oblige. Les organisateurs disent vouloir garder le festival, réputé pour sa convivialité et son esprit bon enfant, abordable pour toutes les générations.
Les ventes des tickets vont bon train. « On est déjà à 80% de la jauge. Notre jauge théorique est de 28.000 festivaliers par jour. Elle sera déjà atteinte le vendredi. Notre objectif est de passer à 80.000 festivaliers pour l’ensemble du week-end. On vient de 65.000 l’année dernière. La première édition avait rassemblé 12.000 personnes en 2012 », détaille Gino Innocente.
Pour le vendredi, avec Indochine en tête d’affiche, toutes les places ont très rapidement été sold out, comme les pass 3 jours. « Vu le succès, on a décidé de créer un pass deux jours pour le samedi et dimanche combinés. Il reste aussi des pass à la journée pour le samedi et le dimanche », poursuit l’organisateur. Au niveau du camping qui peut accueillir 5000 festivaliers, 60% des places sont parties. “Cette année, on propose des hébergements plus confortables, comme des tipis et des chalets. On sent qu’il y a une demande dans ce sens, et pas seulement des festivaliers plus âgés.”
Un budget nourriture maitrisé
Le budget nourriture des festivaliers ne devrait pas trop exploser, rassure Florence Humblet, responsable, entre autres, de la partie alimentation. « On a une quarantaine de food trucks pour tous les goûts, originaires principalement de Wallonie. Leurs prix ont un peu augmenté, c’est normal, mais ils restent raisonnables ». Cette année encore, le festival réitèrera le système 100% cashless. Un bracelet à recharger via l’application Payconiq avait déjà été expérimenté avec succès en 2022 pour payer nourriture et boissons.
Indochine, « un excellent rapport qualité-prix »
Le cachet des artistes est souvent un sujet tabou dans le milieu. On a tenté de soutirer des chiffres aux organisateurs. Combien demande, par exemple, Indochine, la grosse tête d’affiche du vendredi soir, pour se produire à Ronquières ? A cette question sensible, Jean-François Guillin hésite à répondre, avant de se raviser. « On a des contrats de confidentialité, on ne peut pas révéler le cachet des artistes. » Il nous donne toutefois une échelle des rémunérations. « C’est très variable, cela va de 2500 euros minimum pour un artiste pas très connu qui va ouvrir une scène, à des centaines de milliers d’euros. Ce sont de gros budgets. Indochine demande le plus gros cachet. Mais, au final, c’est le meilleur marché qu’on ait jamais programmé. C’est un très bon rapport qualité-prix ! En analyse coûts-bénéfices, c’est le plus rentable, car on a fait directement sold out grâce à lui le vendredi. »
“Même en doublant son cachet, il serait encore rentable“
Et d’avancer : « Nicola Sirkis pourrait très bien demander beaucoup plus et on mettrait le prix car même en doublant son cachet, il serait encore rentable. Mais je ne pense pas qu’il le fera, car il trouve lui-même que beaucoup d’artistes exagèrent leurs tarifs. Il a accepté de venir chez nous, car nos tickets sont à seulement 60 euros, mais il n’ira pas dans un festival à 100 euros l’entrée. Il veut rester abordable pour le plus grand monde et c’est tout à son honneur. »
Notons encore que depuis sa création, le Ronquières Festival compense totalement son empreinte carbone en faisant planter des arbres à Madagascar, via l’ASBL Graine de Vie. 100.000 arbres ont ainsi déjà été plantés.
“L’écologie est une préoccupation citoyenne, pas un argument marketing pour nous“
C’est que le festival se veut écoresponsable, mais sans le crier sur tous les toits. « Même si on ne communique pas beaucoup là-dessus car on préfère mettre en avant la convivialité, l’écoresponsabilité fait partie intégrante de notre ADN depuis le début. On utilise du papier recyclé, on fait un effort sur les contenants, on trie les déchets,… », explique Florence Humblet.
“L’écologie est une préoccupation citoyenne, pas un argument marketing pour nous. On ne veut pas tomber dans le greenwashing», complète Bertrand Hamaide.
80% des émissions carbone proviennent de la mobilité
Le gros challenge dans le futur proche sera celui de la mobilité. 80% des émissions carbone proviennent en effet des déplacements des festivaliers. Le site n’étant pas facilement accessible en transports en commun, les organisateurs devront trouver des astuces pour diminuer les voitures et inciter les festivaliers à covoiturer ou à prendre le train.
Pour l’heure, les organisateurs se montrent confiants. Avec la hausse inévitable des coûts dans un secteur fragile et les changements annoncés, l’édition 2023 sera toutefois un challenge et un test grandeur nature, quitte à ajuster la formule si besoin.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici