Vendeurs, engagez-vous !

Force tranquille. Celui qui s’engage fait bien plus que vendre: il contribue activement à ce que le service soit à la hauteur des attentes de son client. © Getty Images/Maskot

Tous les vendeurs sont obnubilés par l’idée de faire signer, de faire s’engager leurs clients, sans réaliser que le premier qui doit s’engager totalement dans cette aventure humaine, c’est le vendeur lui-même…

Si vous demandez à un commercial quel est moment le plus jubilatoire d’une vente, il vous répondra sans hésiter, une étincelle de joie dans le fond des yeux, “la signature !”. Et on peut le comprendre tant la satisfaction d’obtenir de l’autre un “oui”, un accord, une validation, un engagement sur le service ou le produit proposé est intense.

C’est à cet instant précis que la vente se conclut. Le vendeur expérimente un pic de dopamine puissant qui lui fait oublier que, pour le client, l’achat provoque au contraire une anxiété quant au bien-fondé de sa décision. Tous les vendeurs sont donc obnubilés par l’idée de faire signer, de faire s’engager leurs clients, sans réaliser que le pre­mier qui doit s’engager totalement dans cette aventure humaine, c’est le vendeur lui-même.

Car en fin de compte, l’achat n’est qu’une étape pour obtenir un résultat qui dépasse le simple cadre de la transaction commerciale. Ce que le client espère, c’est un changement, une transformation, la réa­lisation d’une attente, d’un besoin, d’un désir ou la suppression d’une souffrance, d’un inconfort. Il n’acceptera de s’engager que s’il a la certitude que la personne ou l’entreprise en face s’engage d’abord elle-même pleinement à réaliser ce souhait ! C’est l’implication du vendeur qui initie la réciprocité de l‘engagement, établissant ainsi un fondement relationnel sain entre les deux parties. Et tout défaut d’engagement, aussi infime soit-il, va peser très lourd sur la décision finale du client.

Gare aux signaux d’incertitude

Vous observerez avec plus d’attention ce phénomène de “défaut d’engagement” la prochaine fois que vous écouterez un client questionner la fiabilité d’un produit ou d’un service et que vous entendrez le vendeur lâcher instinctivement des réponses bancales et évasives comme ” a priori “, ” normalement, oui ” ou ” ça devrait fonctionner “. Ces micro-hésitations, ces subtiles précautions oratoires envoient un signal d‘incertitude indélébile et rédhibitoire au système émotionnel du client.

Pour en comprendre les effets dévastateurs, envisagez l’analogie d’une salle d’opération. Alors que vous vous prépareriez à subir une intervention importante, vous tenteriez juste avant l’anesthésie de vous rassurer en interrogeant votre chirurgien sur ses chances de succès. Et le praticien de vous répondre: ” Ecoutez, normalement, si tout se passe correctement, je crois que vous devriez vous en sortir. En tout cas, on va essayer de faire de notre mieux “. Vous sentiriez-vous confiant ?

Le défaut d’engagement peut amorcer une lente spirale négative qui pèsera d’abord sur le moral, puis irrémédiablement, sur les résultats.

Lorsque je confronte ces mêmes vendeurs à ces expressions malheureu­ses, ils me rétorquent que ces répon­ses sont liées à l’existence de réels risques de dysfonctionnement et m’évoquent systématiquement des cas passés dans lesquels les promesses n’ont pu être tenues, provoquant un lourd sentiment d’échec chez le commercial avec, en prime, l’obligation de gérer la terrible frustration du client déçu.

Le poids de ces expériences négatives passées qui, généralement, ont de fort retentissements en interne (on partage plus volontiers les histoi­res dramatiques) handicapent lourdement leur capacité à s’engager pleinement dans l’instant, face au client. Et même si ces incidents sont statistiquement négligeables, leur impact sur la force d’engagement d’un commercial est colossal.

Au moment de se décider, votre client a besoin de sentir une force tranquille, une réelle assurance pour pouvoir vous suivre sereinement. Ces défaillances à pouvoir l’exprimer clairement vous coûtent tous les jours des ventes et laissent s’installer dans votre organisation un mal bien plus grand encore.

La théorie de l’engagement telle que définie par Robert-Vincent Joule dans son indispensable Petit traité de manipulation à l’usage des honnê­tes gens nous enseigne que les engagements pris de façon libre et volontaire par un client jouent positivement, a posteriori, sur la satisfaction et la perception de qualité de ce qu’il achète, par un simple mécanisme de conservation de la cohérence.

En conséquence, si les engagements créent des croyances positives soutenantes, comprenez que le défaut d’engagement alimente, lui, des systèmes de croyances négatives limitantes. En d’autres termes, par l’effet combiné du biais de négativité (tendance à prêter plus d’attention aux informations négatives) et du biais de projection négative (tendance à imaginer le pire), plus un commercial hésitera à s’engager vis-à-vis de son client, plus il entretiendra inconsciemment, par la suite, un doute, une suspicion, une défiance à propos de ce qu’il vend et se montrera involontairement encore plus attentif et vigilant à tous les incidents et défauts motivant cette défiance.

Pour reprendre quelques mots du fameux texte sur Le Pouvoir de l’Engagement de W.H. Murray, “tant que nous ne nous engageons pas, le doute règne, la possibilité de se rétracter demeure et l’inefficacité prévaut toujours !” Si l’engagement peut être considéré comme le début d’un cercle vertueux, le défaut d’engagement peut, lui, amorcer une lente spirale négative qui pèsera d’abord sur le moral, puis irrémédiablement, sur les résultats.

Remettre en perspective

Attention, une lecture rapide de ces quelques lignes pourrait encourager certains dirigeants commerciaux à chasser l’usage de ces expressions tièdes et insécurisantes pour obliger ses équi­pes à utiliser un vocabulaire démontrant un engagement sans faille. Ce serait tenter de traiter un symptôme sans s’occuper du mal beaucoup plus profond qui le provoque, car ces expressions trahissent une perte réelle de confiance. Et la confiance ne s’ordonne pas. Elle se gagne !

Ainsi, je vous encourage d’abord à faire la démonstration statistique du peu d’occurrence des incidents qui sont au cœur de ces croyances négatives et à les remettre en perspective avec tout le bien que l’entreprise apporte à ses clients, en cultivant sans relâche un storytelling positif et enthousiasmant.

Mais rationaliser ne sera pas suffisant ! Il est crucial de montrer également ce que l’entreprise fait activement pour supprimer les sources de ces problèmes afin qu’ils ne se reproduisent plus. Plus encore: il vous faudra, en tant que dirigeant, vous engager d’abord vous-même à ne jamais laisser un commercial seul face à la déception justifiée de son client. Il doit avoir lui aussi confiance dans le soutien de l’entreprise à assumer les conséquences de ses défaillances et à transformer ces rares accidents en occasion de faire la démonstration du professionnalisme et du sérieux de votre organisation. Au final, c’est à la façon dont elles traitent les anomalies et les insatisfactions qu’on reconnait les meilleures entreprises.

Enfin, invitez vos équipes à communiquer ouvertement leurs doutes et leurs craintes en interne pour en faire quelque chose de correctif et de productif, plutôt que de les exprimer involontairement à l’externe et générer plus de doutes, plus de croyances négatives et, à terme, plus d’échecs. Votre rôle de dirigeant implique que vous travailliez sans cesse à (r)établir un climat propice au développement de la foi dont vos forces de ventes ont besoin pour s’engager vis-à-vis de leurs clients.

Retrouvez la chronique de Laurent De Smet, alias Dr Sales, spécialiste dans l’expérience commerciale, managériale et marketing B to B, tous les deuxièmes jeudis du mois dans Trends-Tendances.

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