Une “prescription verte” pour soigner le burn-out
Des “soins verts” pour réinsérer progressivement sur le marché du travail les personnes souffrant de burn-out à travers des activités au contact de la nature. Cette initiative suggérée par un collectif d’associations et d’experts de la santé permettrait de réaliser des économies budgétaires importantes, à l’heure où près de 500.000 personnes sont en incapacité de travail longue durée en Belgique.
“Quand je sème des petits pois, mes ruminations s’envolent”, confie Geneviève (*). “Les activités de maraîchage m’obligent à reconnaître mes limites, à travailler sur la maîtrise de mon temps et des tâches qui me sont confiées”, ajoute cette ergothérapeute de 50 ans qui a souffert de deux burn-out au cours de sa carrière. Chaque semaine, Geneviève s’attelle à diverses tâches au sein du producteur de fruits et légumes bio l’Artichamp à Ittre. “Cela me donne une raison de me lever, je sais qu’on m’attend et que mon aide sera utile.”
François (*), menuisier de formation, a lui aussi souffert d’un burn-out suivi d’une sévère dépression. Il est bénévole au Champ du Chaudron à Anderlecht. Il explique y avoir retrouvé une certaine joie de vivre après des années de profond mal-être. Le travail de la terre qu’il effectue dans ce lieu “ressourçant” et “valorisant” a insufflé une nouvelle dynamique positive à son quotidien. “C’est le jour et la nuit par rapport à mon état d’il y a trois ans. J’apprends de nouvelles choses, en toute liberté“, raconte-t-il.
Des contacts rapprochés avec Dame Nature
Et si la réintégration sur le marché du travail des personnes souffrant de troubles de santé mentale légers à modérés passait non pas par des rendez-vous avec le médecin-conseil, mais plutôt par des contacts rapprochés avec… Dame nature ? L’initiative qui sort des sentiers battus est portée par un collectif fondé à l’initiative de la Fondation Terre de Vie. Il comprend des associations – dont la Fondation Roi Baudouin – et des experts de la santé.
“Quand je sème des petits pois, mes ruminations s’envolent”
Géneviève, bénévole dans une ferme.
Les chiffres font froid dans le dos. Selon les derniers relevés de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami), près de 500.000 personnes sont en incapacité de travail longue durée (plus d’un an), dont près d’un quart, soit 118.000, souffrent de burn-out ou de dépression. Les invalidités liées à ces deux maladies ont subi une augmentation de plus de 46 % entre 2016 et 2021. D’ici à 2035, ce chiffre devrait encore augmenter de 20% pour atteindre 600.000 personnes, à politique inchangée. Un problème de santé publique qui représente un coût croissant, soit plus d’1,6 milliard d’euros assumé par l’assurance indemnités en 2020.
Lire aussi | Le scandale des certificats médicaux
Face à ce constat alarmant, le collectif suggère l’introduction dans le cadre législatif belge de l’accompagnement des personnes concernées via des “soins verts”, prescrits en bonne et due forme par un médecin généraliste. Un protocole qui a déjà fait ses preuves aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
“The sky is the limit”
Les profils des bénéficiaires vont de l’ouvrier au cadre sup’, en passant par l’enseignant. “Le burn-out résulte de l’absence de limites, explique le Dr Benoit Gillain, chef du service psychiatrie de la Clinique Saint-Pierre à Ottignies, et l’un des signataires du mémorandum. Il se manifeste dans certains milieux professionnels, comme le secteur des soins de santé ou celui de la finance, où le slogan ‘The sky is the limit’ a donné le ton dans les années 1980-1990.”
Concrètement, cette “thérapie verte” se décline en activités variées réalisées auprès d’agriculteurs, de maraîchers ou de gestionnaires de forêts. Retourner la terre dans un potager, semer, désherber, prendre soin d’animaux, participer aux vêlages et à la traite dans une ferme, entretenir de jeunes forêts ou encore réparer des outils agricoles sont autant de tâches déléguées aux personnes qui se portent volontaires quelques heures par semaine. Le Dr Gillain expose les bienfaits, mais aussi les contraintes de cette approche: “On ne vit la finitude des choses que quand on s’y frotte. L’humain se confronte aux limites imposées par la nature, à son rythme, son espace, ses semences en quantité réduite, à la saisonnalité des plantes…”
“On ne vit la finitude des choses que quand on s’y frotte”
Dr Gillain, chef du service psychiatrie de la Clinique Saint-Pierre à Ottignies
Car, les initiateurs du projet tiennent à le souligner, les “soins verts” ne consistent pas à profiter passivement d’un “bain de forêt” régénérateur ou d’une longue balade méditative dans les champs, l’idée est de remettre en douceur le pied à l’étrier des personnes au mental fragile.
Se confronter aux éléments naturels
“L’objectif est de replacer ces personnes dans un univers de travail qu’ils vont assimiler à quelque chose de positif. Passer du temps chez un agriculteur, dans une ferme, un maraîchage pour travailler le sol, semer des plantes, s’occuper du bétail et voir le résultat de son labeur procure énormément de plaisir et de fierté, commente Lionel Frankfort, administrateur de la Fondation Terre de Vie. On travaille dans un rapport à l’effort, à une certaine discipline. L’activité physique a aussi un effet bénéfique.”
Les structures accueillantes ont leur ambiance propre, absente de toute course à la performance où chacun est libre de s’investir à son rythme. Il y règne une solidarité entre des personnes qui partagent le même état psychologique fragilisé.
Voir le résultat de son labeur procure énormément de plaisir et de fierté.
Lionel Frankfort, administrateur de la Fondation Terre de Vie
Le docteur Gillain poursuit: “Le quotidien de ces personnes est à nouveau structuré, cela leur donne un nouvel élan. En travaillant la terre, leurs pensées négatives cessent, ils se vident l’esprit. Répéter les mêmes gestes, comme arracher des mauvaises herbes dans un champ de betteraves, a le don de faire cesser la rumination mentale. C’est basé sur mon intuition, je n’ai pas de preuves scientifiques. Mais si je vois qu’un de mes patients se sent mieux après un stage dans une ferme, j’en déduis que l’initiative est efficace”.
Prise en charge rapide
Les signataires du mémorandum insistent sur un point crucial: cette thérapie d’activités en lien avec la nature pourrait être proposée aux patients dès les premiers signes de mal-être. Elle est envisagée comme une étape intermédiaire dans le cadre du trajet de réintégration sur le marché du travail, avec le soutien de l’assurance maladie-invalidité. Cette approche pourrait ainsi éviter que des patients en incapacité de travail de courte durée ne tombent dans un état d’invalidité de longue durée, ce qui engendre un coût supérieur à long terme. “Un des moments charnières avant de tomber dans la maladie de longue durée semblerait être six mois d’inactivité, ce qui est très court”, avertit le Dr Gillain. L’initiative “réduirait la charge financière sur la sécurité sociale et générerait des économies budgétaires significatives”, selon le spécialiste.
Les membres du collectif ne désirent pas aborder, à ce stade, son financement. “Nous sommes en phase d’exploration avec les intervenants pertinents, l’Inami, les mutuelles et les pouvoirs publics, afin de pouvoir donner des estimations selon plusieurs scénarios : un dispositif pilote, un dispositif plus large et un dispositif généralisable”, explique Lionel Frankfort.
De son côté, l’Inami apporte à l’initiative son expertise en matière d’incapacité de travail, de prévention et de soutien à la réinsertion socioprofessionnelle, nous fait savoir Sandrine Bingen, du service communication de l’Institut, soulignant qu’”aucun positionnement ni reconnaissance n’a jusqu’à maintenant été pris concernant cette initiative externe”.
L’approche pourrait éviter que des patients en incapacité de travail de courte durée ne tombent dans un état d’invalidité de longue durée.
60 personnes à recruter
Afin d’encadrer son développement, un dispositif expérimental en collaboration avec la KULeuven a été mis sur pied pour une période de trois ans. L’objectif consiste à se baser sur six structures existantes de l’agriculture sociale afin d’étudier l’impact du protocole. Au total, par l’intermédiaire de cinq projets pilotes partenaires francophones, il existe une centaine de lieux d’accueils potentiels à Bruxelles, en Brabant wallon, dans le Hainaut et dans la province du Luxembourg. Du côté flamand, l’organisation Steunpunt Groene Zorg réunit plus de 1.000 structures d’accueil.
L’Inami participe également au pilotage de l’étude en assistant à des réunions spécifiques d’experts. “On compte recruter 60 personnes en 2024 à l’échelle de la Belgique, la moitié en Flandre, et l’autre en Wallonie, via notamment les soins psychologiques de première ligne. On étudiera les effets des ‘soins verts’ sur les personnes qui en bénéficient, afin d’identifier les facteurs facilitant ou empêchant une amélioration de leur état de santé et de leur motivation”, nous informe Samuel Hubaux, directeur de l’ASBL Nos Oignons et en charge de la coordination du dispositif expérimental. Le recrutement devrait démarrer au printemps avec comme but ultime que la “prescription verte” soit mise à l’agenda de l’accord du prochain gouvernement.
(*) Prénoms d’emprunt.
“Vivre au rythme de la nature permet d’échapper à la monotonie d’une journée de bureau”
Damien Dardenne, 41 ans, est pharmacien. Sans évoquer de réel burn-out, il nous confie avoir vécu dans son travail, qui demande une grande concentration, des moments d’intense fatigue. Suite à cela, il a décidé de réduire son temps de travail à mi-temps, pour se ménager. Il s’est porté bénévole dans la petite ferme de maraîchage Ô Champ d’Abeilles située à Ecaussinnes.
A la haute saison, il s’y rend deux à trois fois par semaine. “On touche à tout. De la graine jusqu’à la récolte du légume. Quand on est occupé à repiquer mille épinards, cela demande aussi une certaine concentration.” Damien trouve très gratifiant de voir le résultat concret de son labeur quand il peut récolter et déguster un beau légume, “ce qui n’est pas toujours le cas dans des métiers qui n’ont pour certains employés plus beaucoup de sens”, constate-t-il.
“Quand j’ai terminé une journée de maraîchage, je ne suis pas stressé, je ressens une bonne fatigue. J’ai peut-être un peu mal au dos, mais je sais pourquoi.” Le travail de la terre lui offre une véritable échappatoire par rapport à la routine de son emploi. “On est dehors toute la journée, au fil des saisons, on est confronté à tous les éléments; la pluie, le vent, le froid, mais aussi le chaud. Vivre au rythme de la nature permet d’échapper à la monotonie d’une journée passée dans un bureau.”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici