Une certaine bêtise ne nuit pas forcément aux entreprises

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La stupidité fonctionnelle ou bêtise organisationnelle a un réel impact sur les organisations du travail. Un phénomène complexe, mais pas toujours négatif. S’il est présent en une juste proportion.

La bêtise en entreprise peut se définir de deux façons. La première est une simple carence au niveau des capacités cognitives ou intellectuelles. Une définition globale qui ne suffit pas à expliquer ce que l’on constate dans l’actuel monde du travail. C’est pourquoi André Spicer (professeur de comportement organisationnel à la Bayes Business School) et Matts Alvesson (professeur suédois de sciences de gestion à l’université de Lund) en proposent une seconde. Pour eux, la bêtise est le refus volontaire de faire preuve de « réflexivité ou d’esprit critique ». Un refus souvent induit, voire encouragé, par certaines structures organisationnelles. En privilégiant le suivi des ordres plutôt que l’initiative personnelle, les organisations du travail contemporaines entretiennent cette «bêtise organisationnelle». Toujours selon Spicer et Alvesson, une juste dose de bêtise est pourtant nécessaire pour que l’entreprise puisse fonctionner efficacement. La remise en question perpétuelle empêche d’avancer et il faut parfois pouvoir trancher. Selon ces mêmes chercheurs, toute la difficulté consiste donc à déterminer la « bonne dose » de bêtise.

La bêtise, une pathologie organisationnelle ?

Gabriel Lomellini, assistant Professor, HR and Organizational Behavior à la ICN Business School nuance ce point de vue dans son article sur The Conversation. En s’appuyant sur la psychodynamique du travail, il argue que la bêtise organisationnelle n’est rien d’autre qu’une “pathologie organisationnelle”. Elle est le symptôme de l’inhibition de l’intelligence au travail par la « folie de la norme » ou « normopathie ». En obligeant les employés à suivre des normes et des procédures rigides, l’on finit par étouffer toute intelligence.

Pour contourner ce problème, on devrait davantage prôner une approche plus multidisciplinaire. Concrètement, les managers ne devraient pas se borner à des encouragements occasionnels sur l’accomplissement de certains objectifs, mais aussi prendre en compte les aspects plus discrets du travail. Soit en montrant que d’autres logiques que celles purement quantitatives de l’évaluation ou du contrôle sont prises en compte. Car le travail n’est pas que la somme des directives explicitement indiquées par l’organisation. Il recèle une réalité beaucoup plus vaste et complexe. Ou comme le résumait Christophe Dejours, clinicien du travail, psychiatre et psychanalyste dans son ouvrage « Ce qu’il y a de meilleur en nous. Travailler et honorer la vie » : « Ce qui est prescrit, c’est ce que l’on désigne sous le nom de tâche. Ce que font les travailleurs, concrètement, c’est l’activité».

D’où l’importance d’intégrer des dimensions esthétiques dans la gestion du travail. En donnant, par exemple, les moyens de faire un «beau» travail. Un travail bien fait dans de bonnes conditions est en effet un support d’identité. Ainsi ne pas pouvoir faire du bon travail par manque de moyens peut entraîner de véritables souffrances. Des souffrances que même une bonne rémunération ne peut gommer. Dans cette optique, l’approche affective ne doit pas non plus être négligée. Car l’intelligence c’est aussi, voire surtout, comprendre. Comprendre ce qu’il se passe – ou du moins avoir l’impression de comprendre- est donc essentiel. Or en l’assommant de norme et le plaçant dans une position de soumission volontaire, on gomme la responsabilité morale du travailleur.

Bien faire son travail, c’est bon pour le moral

Ne pas tenir compte de ces deux aspects souvent négligés du travail peut pousser l’employé à se mettre dans une forme de résistance managériale. Ce qui est non seulement contre-productif pour l’entreprise, mais aussi nocif pour le travailleur. Car on ne le dira jamais: pouvoir bien faire son travail, c’est bon pour le moral. Encore faut-il déterminer ce qu’est un “travail bien fait”. Aujourd’hui, l’employeur est encore trop souvent le seul à déterminer la qualité du travail. Ce qui nous fait revenir à la juste dose de bêtise organisationnelle. Et si une « juste » de dose de bêtise n’était rien d’autre qu’une forme d’intelligence situationnelle ?  De celle qui permet de survivre dans la jungle qu’est le monde du travail actuel.

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