Transformer une entreprise, c’est une expérience humaine

Frédérik Damilot et Melanie Mc Cluskey (EY)“Le bon leader doit avoir à la fois la confiance en sa vision et l’humilité de ne pas trop savoir par quel chemin y arriver.” © pg
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Les transformations d’entreprise sont rarement une réussite, pointe une étude d’EY. Notamment parce que les dirigeants ne prennent pas suffisamment en compte les facteurs humains, décisifs pour une tel exercice.

Transformer son entreprise, beaucoup de patrons ou de comités de direction en rêvent mais la plupart n’y parviennent que de manière très imparfaite. Une enquête menée par EY auprès d’un échantillon de 935 chefs d’entreprise nous apprend en effet que 67% d’entre eux ont expérimenté une transformation “sous-performante” au cours des cinq dernières années. Cela confirme des études des année 1990 qui concluaient que 30% des tentatives de transformation d’une entreprise se soldaient par un échec.

Ce constat est dramatique car les évolutions technologiques, réglementaires, sociétales (modes de consommation) et désormais climatiques imposent des changements réguliers aux entreprises, comme à toutes les organisations sociales. “Le rythme s’est accéléré, le changement, ce n’est plus tous les cinq ou dix ans mais en permanence, explique Frédérik Damilot, partner chez EY Agility Services. Il n’y a plus de période de stabilité entre deux transformations. La question aujourd’hui est: comment vivre avec ce changement permanent?” Une question d’autant plus urgente que l’expérience montre qu’une transformation ratée hypothèque les suivantes, qu’elle sape la confiance envers les dirigeants de l’entreprise ainsi que la motivation pour mener les futures transformations.

Anticiper les émotions

L’enquête d’EY pointe heureusement un facteur susceptible d’augmenter la probabilité de mener à bien l’opération de repositionnement d’une entreprise ou d’une organisation: placer les facteurs humains au cœur de ce cheminement multiplierait vos chances de réussite par 2,6. “Quand on parle de facteurs humains, on parle de nos émotions, de la peur, de la colère, de la joie, toutes ces choses auxquelles on n’associe pas forcément EY, sourit Mélanie Mc Cluskey, directrice d’EY Agility Services. Ramener les émotions au cœur de la transformation des entreprises, c’est peut-être contre-intuitif mais c’est essentiel. Je peux vous assurer que quand on ne tient pas compte par exemple de la mésentente entre personnes de différents services, on peut ralentir énormément tout le processus.”

“Il faut, à l’inverse, s’appuyer sur les émotions pour embarquer les gens dans l’aventure, appuie Frédérik Damilot. Une vision, ce n’est pas juste des chiffres et des indicateurs de performance, c’est quelque chose qui va parler aux émotions, qui va apporter du sens.”

Ce discours va aider à identifier les gens, quelle que soit leur place dans la hiérarchie, qui aspirent à faire évoluer l’entreprise. “Ces 15-20% de personnes enthousiastes, ce sont vos alliés, il faudra leur donner les outils pour agir, pour rayonner, ajoute Mélanie Mc Cluskey. Les CEO hésitent parfois à reprendre des idées venant d’un N-25, comme s’ils craignaient de se mettre en danger en faisant cela. C’est tout le contraire: il sera reconnu positivement comme le CEO qui a permis de faire émerger des idées à tous les niveaux de l’entreprise.”

Contrairement à une idée reçue, les récalcitrants au changement ne se trouvent pas forcément parmi les travailleurs les plus âgés.

Elle insiste aussi sur l’implication du middle management, “le ventre mou dans l’entreprise, sans lequel rien ne bougera”. Il faudra donc éviter qu’ils ne basculent dans un autre groupe de 15-20% du personnel, celui des récalcitrants à tout changement (le solde, cette majorité silencieuse qui attend de voir dans quel sens les choses évoluent).

Les spécialistes d’EY invitent à ne pas perdre trop d’énergie à essayer de les convaincre mais à rester attentif à ces signaux parfois faibles mais qui peuvent révéler des craintes bien profondes au sein des équipes. Contrairement à une idée reçue, ces récalcitrants ne se trouvent pas forcément parmi les travailleurs les plus âgés qui seraient poussés par le poids des habitudes.

“Sincèrement, il y a aussi des jeunes très plan-plan, glisse notre interlocutrice. Les plus âgés ont la peur de devenir obsolètes et il faut écouter cette émotion. Ils sont aussi souvent soucieux de laisser une trace dans l’organisation. Ils peuvent être des acteurs clés pour la transmission des valeurs de l’entreprise.”

Le CEO se met en danger

La réussite de l’opération se jouera aussi au comité de direction. “Il faut détricoter cette image du leader qui sait tout, affirme Frédérik Damilot. La transformation d’une entreprise, ce n’est pas une droite du point A au point B, c’est un chemin tortueux. On n’évolue pas avec trois coups d’avance. Il faut constamment observer les réactions et s’adapter. Et parfois admettre que l’on s’est trompé. L’essentiel, c’est de retenir les leçons de ses erreurs et, bien entendu, que le cycle soit le plus court possible. Un dirigeant d’entreprise n’a pas forcément l’habitude de cela et c’est pourquoi nous proposons des services spécifiques d’accompagnement de ces transformations.”

Mélanie Mc Cluskey et Frédérik Damilot confient avoir parfois refusé des missions quand le CEO et son comité de direction ne semblaient pas avoir très envie d’engager un véritable processus collaboratif avec leurs équipes et voulaient un peu trop imposer “leur” plan de transformation.

“Le bon leader doit avoir à la fois la confiance en sa vision et l’humilité de ne pas trop savoir par quel chemin y arriver, résume Mélanie Mc Cluskey. La première étape, c’est se connaître soi-même, reconnaître ses blind spots et accepter de se sentir vulnérable.”

La transformation réussie de Buildwise

Quand il est arrivé à la tête du centre d’expertise du secteur de la construction, Olivier Vandooren avait pour mission de repositionner cette organisation en “un vrai partenaire d’innovation” pour ces entreprises. “Un tel changement ne se décrète pas, il doit pouvoir se vivre”, concède-t-il trois ans plus tard. Il a fallu insuffler de la transversalité dans une structure très hiérarchisée et “silotée” , amener une approche marketing dans des équipes d’ingénieurs pour lesquelles c’était “presque un gros mot” et, plus largement, embarquer dans une aventure par nature incertaine des collègues “aux profils très analytiques et qui n’ont pas l’habitude de se lancer avant d’avoir des réponses à toutes leurs questions”.

Conseillé par Frédérik Damilot (EY), Olivier Vandooren a veillé à bien mettre le facteur humain au cœur de ce plan de transformation. Il s’est appuyé sur les personnes les plus enthousiastes (les “ambassadeurs”) pour consolider progressivement la démarche. “Aujourd’hui, avec le recul, le mouvement s’impose plus facilement, commente le CEO de Buildwise. Ils sont fiers de voir l’impact concret de leur travail sur les chantiers à travers le pays. Le trajet est parfois un peu fastidieux mais, heureusement, il y a le retour très positif des entreprises, de nos clients. C’est là que je vais chercher mon énergie.” Le mouvement n’est pas achevé, dans cette organisation qui, auparavant, n’avait guère bougé en 65 ans. La nouvelle philosophie de travail a conduit à remettre toute la structure à plat pour construire une nouvelle hiérarchie avec nettement plus de transversalité. “Tout le monde est challengé, certains collègues doivent repostuler pour une nouvelle fonction, conclut Olivier Vandooren. Ce n’est pas une restructuration. Nous ne faisons pas des économies, au contraire. Nous essayons de faire cela dans une approche inclusive, ouverte et collaborative, pour que les gens soient mieux à leur place.”

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